0
Cinéma
Dune (155’) - Film américano-canadien de Denis Villeneuve
Dune (155’) - Film américano-canadien de Denis Villeneuve

| Jean-Louis Requena 1365 mots

Dune (155’) - Film américano-canadien de Denis Villeneuve

zCinéma Dune de Denis Villeneuve.jpg
"Dune" de Denis Villeneuve ©
zCinéma Dune de Denis Villeneuve.jpg

Frank Herbert (1920/1986)

Au XXème siècle, la littérature nord-américaine, de langue anglaise, s’impose dans le monde entier à la fois par nombre de ses écrivains influents, et par la richesse foisonnante des thèmes abordés. Parmi ceux-ci, celui de la science-fiction, au sens large, incluant une multitude de sous-genres (anticipation, dystopie, uchronie, space-opéra, etc.), occupe une place sans pareil. La génération d’écrivains américains nés entre 1920 et 1930 est exceptionnelle. Citons les plus emblématiques dont certaines œuvres ont été adaptées au cinéma : Isaac Asimov (1920/1992) L’Homme bicentenaire (1999) de Chris Colombus, I, Robot (2004) d’Alex Proyas ; Ray Bradbury (1920/2012) Fahrenheit 451 (1966) de François Truffaut, La Foire aux ténèbres (1983) de Jack Clayton ; Richard Matheson (1926/2013) L’Homme qui rétrécit (1957) de Jack Arnold et Je suis une légende (2007) de Francis Lawrence ; Philip K. Dick (1928/1982) Blade Runner (1982) de Ridley Scott, Minority Report (2002) de Steven Spielberg, et enfin Frank Herbert.

C’est lors d’un reportage pour des journaux de la côte-ouest des États-Unis, que Frank Herbert (1920/1986) découvre, en 1959, « les dunes de Florence » dans l’état de l’Oregon. Il n’écrira jamais l’article sur cette particularité géologique du nord de la côte-ouest des U.S.A, mais commencera la longue, laborieuse, rédaction de son premier roman de science-fiction : «Dune ». D’abord publié dans une revue confidentielle, Frank Herbert fait parvenir son tapuscrit à une vingtaine d’éditeurs qui, tous, rejettent ce « pavé » le jugeant impubliable. En 1965, une petite maison d’édition de Philadelphie (Pennsylvanie) l’accepte. «Dune » est immédiatement reconnu comme le chef-d’œuvre dépassant le cadre du sous genre : « Space Opéra ». La saga littéraire de Frank Herbert ("Dune"est le premier tome, cinq autres suivront) outrepasse en complexité thématique tout ce qui était paru dans ce genre littéraire : elle aborde le thème, alors innovant, de l’écologie (survie de l’espèce humaine, destruction de l’environnement, etc.), mais aussi celui de la philosophie, de la politique, de la religion. L’écrivain américain a créé un macrocosme foisonnant, où les nombreux personnages de la galaxie incarnent la difficulté des rapports humains (violents ou non violents) dans un univers projeté dans un très lointain futur (102 siècles !).

L’industrie cinématographique et … « Dune »

Des "moguls" de cinéma se sont intéressés à "Dune" dès sa parution en librairie tel Arthur P. Jacobs (1922/1973) célèbre producteur américain de la Planète des singes (1968) de Franklin J. Schaffner (1920/1989) à l'origine d'une franchise. Le projet sera abandonné. En 1975, le producteur français Michel Seydoux contacte le réalisateur franco-chilien Alexandro Jodorowsky dont les deux derniers films inventifs, poétiques, El Topo (1970) et la Montagne sacrée (1973) ont eu un grand succès mondial, particulièrement en Europe où ils tranchaient avec la production cinématographique courante. Exalté par le sujet, Alejandro Jodorowsky lui-même illustrateur de talent, travaille l’aspect visuel avec des dessinateurs tels le français Jean Giraud (1938/2012), alias Moebius, le suisse H.R. Giger (1940/2014) et l'anglais Chris Foss (1946). Le projet devient un énorme story-board, "La Bible", richement illustré que le réalisateur en quête de financement (budget : 15 millions €) montre aux patrons de plusieurs studios hollywoodiens. Ces derniers sont effrayés par l’ampleur du projet : le film ne se fera pas ! Trop compliqué, trop cher, avec un réalisateur bouillonnant d’idées donc peu maitrisable dans le système "industrialisé" des majors américaines. "La Bible" en circulant dans plusieurs compagnies inspirera des films de science-fiction quelques années plus tard : Star Wars (1977) de George Lucas, Alien (1979) de Ridley Scott. Et d’autres longs métrages moins célèbres.

En 1981, le célèbre producteur italien Dino De Laurentiis (1919/2010) installé aux Etats-Unis négocie les droits de "Dune" auprès de l’auteur et décide, avec sa fille Raffaella, d’engager le réalisateur David Lynch auréolé de la gloire de son précédent long métrage : Elephant Man (1980). Après l’élaboration difficile d’un scénario (1 an et demi !) et un tournage éprouvant (7 mois), le réalisateur livre un premier montage de 3h30’ (210’). Au terme de longues tractations le "final cut" (montage définitif) échappera à David Lynch qui n’accepte pas la version cinéma de 2 h17’ (137’) rendant par moments la narration incompréhensible. Dune sorti en 1984 sera, compte tenu de son coût (45 millions de $), un demi-échec loin des attentes du public. Aujourd’hui nonobstant ses défauts Dune (version 1984), est devenu un film culte quoique renié par son célèbre réalisateur.

"Dune" (2021) de Denis Villeneuve

Depuis l’industrie hollywoodienne, mais pas uniquement elle, a produit de nombreux films de science-fiction aux scénarios souvent indigents, à la réalisation gorgée d’effet spéciaux numériques jusqu'à la nausée. Après une filmographie remarquable (7 au total) et ses deux derniers films réussis, Premier Contact (2016), Blade Runner 2049 (2017), le canadien Denis Villeneuve (54 ans) est contacté par la compagnie Warner Bros pour adapter et réaliser Dune à partir du roman à la structure protéiforme toujours réputé inadaptable au cinéma. Il s’y attèle avec deux coscénaristes chevronnés : Éric Roth et Jon Spaihts.

En l’an 10191 après la fondation de la Guilde spatiale, l’univers connu est régi par l’empereur Shaddam IV, chef de la maison Corrino, qui exerce un pouvoir féodal sur son vaste empire lequel s’étend sur des centaines de mondes dans la galaxie. Sur Caladan, fief ancestral de la Maison des Atréides, le duc Leto Atréides (Oscar Isaac), chef de la Maison des Astréides, vit avec sa concubine officielle, dame Jessica (Rebecca Ferguson) et son jeune fils Paul (Timothée Chalamet), héritier ducal. Hors sa famille, le duc Leto est entouré de son clan qui lui est dévoué jusqu'à la mort. Caladan est à proximité (spatiale) de la planète Arrakis. Cette planète de sables est également dénommée Dune : c’est un monde aride, hostile presque entièrement recouvert d’un désert brûlant. De cette planète inhospitalière l’on extrait une substance précieuse : "L’Epice", une drogue qui prolonge la vie humaine, immunise contre les poisons, développe des facultés mentales surhumaines.

Sur ordre de l’Imperium, le duc Leto, sa famille et son armée doivent s’installer sur "Dune" pour mieux y maîtriser l’extraction de l’"Epice" … C’est un piège infernal …

Denis Villeneuve et son équipe artistique (images de Greig Fraser ; direction artistique de Patrice Vermette ; musique de Hans Zimmer) ont réussi a inventer un univers cohérent sans gadgets superflus à l’architecture monumentale, mais dépouillée, qui ne disperse pas notre attention du récit par ailleurs foisonnant. C’est une prouesse qui était une mission presque impossible a accomplir tant la multitude des personnages, la diversité des lieux, ramassés en 2h35’, pourraient rendre le déroulé de l'histoire incompréhensible. Les personnages sont projetés dans des mondes physique et mentaux différents habités par des motivations diverses : c’était une gageure que cela soit lisible sur l’écran. Le cinéma d’aujourd’hui est un alliage toujours instable entre l’image et le son : trop d’images de synthèse (acteurs sur fond vert pour incrustation) "effilochent" l’histoire ; trop de sons tonitruants (dolby atmos) annihilent l’image. Denis Villeneuve a fait construire des décors monumentaux mais simplifiés en dur, filmer de nombreuses scènes en extérieur (Jordanie, le désert du Wadi Rum, les Emirats arabes unis et la Norvège) pour sortir de la « zone de confort » des studios qui "aseptisent" en définitive le résultat sur le grand écran. Tant de longs métrages ont cet air de déjà vu en dépit de l’inexorable escalade vers plus de bruits effroyables et de d’actions invraisemblables.

Denis Villeneuve contient l’une et maitrise l’autre en nous livrant un produit à la fois coûteux (budget : 165 millions $ !) et ambitieux qui le singularise de la production habituelle (franchise Marvel et ses sous-produits, Star Wars, etc.) dont nous sommes accablés depuis trop d’années. Le réalisateur avait souhaité tourner les deux épisodes de Dune ensemble pour garder la dynamique du tournage et effectuer des économies d'échelle. Le studio Warner Bros s'y est opposé. Le premier épisode bouclé, la firme a préféré face à la pandémie et l'impossibilité de projeter le film en salle aux U.S.A, le vendre à une plate-forme de streaming américaine (HBO max) obérant l'exploitation du film dans des circuits traditionnels. Une stratégie de myope !

P.S : Nous pouvons prolonger ou précéder le film de Denis Villeneuve en visionnant deux Dvd intéressants sur Dune : 
Dune (1984) le film « maudit » de David Lynch version Blu-ray (136’) édité en 2020.
Jodorowsky’Dune (2016) documentaire hilarant sur la tentative d’Alejandro Jodorowsky et de Michel Seydoux de produire Dune et le pillage pictural de "La Bible" qui s’en est suivi.

Répondre à () :

| | Connexion | Inscription