Au Pays Basque d'Espagne, c'est surtout à la compagnie guipuzcoane des « Caraques » que l'on doit sa remarquable extension.
Monté sur le trône madrilène sous le nom de Philippe V, le petit-fils de Louis XIV entreprit de consolider durablement son règne et de relever l'économie espagnole en créant de nouvelles compagnies de commerce en n'hésitant point à prêcher d'exemple pour encourager l'investissement privé.
Mettant fin à des siècles de monopole détenu par Cadix et Séville pour le commerce avec les Amériques, il autorisa un des plus illustres membres de la noblesse basque, don Francisco de Muñibe e Idiaquez, comte de Peñaflorida (voyez nos articles consacrés aux frères Elhuyar), à créer une compagnie maritime qui ferait partir ses navires depuis Saint-Sébastien jusqu'au Vénézuela ou « Côte des Caraques » (d’où le nom de Caracas).
Les bénéfices retirés en furent extraordinaires, particulièrement pour le cacao, acheté dix pesos la fanègue (environ 55 litres) à Caracas et revendu à quarante-cinq pesos en métropole, parfois aux marchands bayonnais qui s'approvisionnaient par la « frontière d'Aïnhoa » ! Sans compter le développement sur place des cultures de cacao associées à celle du tabac.
Le XVIIIe siècle fut donc assurément celui du chocolat en Guipuzcoa, au point qu'un voyageur anglais relatait qu'aucun donostiar (habitant de Saint Sébastien) ne sortait sans avoir absorbé une tasse du divin breuvage, et que l'évêque se voyait obligé d'admonester des religieuses pour en avoir constitué dans les cellules des provisions à leur usage particulier !
Aliment énergétique pouvant remplacer un repas en période de guerre ou de disette, il était très en vogue parmi les combattants carlistes du fameux curé Santa Cruz : là commence l'histoire des Saint-Gérons de Mendaro, dont le chocolat demeure le dernier rescapé, de nos jours, d'une longue tradition artisanale Outre-Bidassoa !
A bonne distance de Saint-Sébastien, de sa Concha bordée de restaurants étoilés où se bousculent les gloires festivalières, bien au-delà encore de la vallée de l'Urola qui mène à Loyola, chez les Jésuites de Saint Ignace, le cours torrentueux du Deba, avant de gagner l'Océan, entraîne route, autoroute et chemin de fer dans un défilé étroit et sinueux que garde fièrement une chapelle perchée comme une vigie sur une roche abrupte.
En août 1845, la reine Isabelle II et sa mère Cristina, traversant ce pays perdu appelé Mendaro pour gagner les plages de Saint-Sébastien et les baignades dans l’océan, s'y étaient déjà vues offrir une espèce de gâteau rustique accompagné de cette tirade du maire-sacristain du village, dûment consignée au Journal Officiel de l'Armée : -« Madame ! Ce biscuit faire à Mendaro pour toi. Ne rien faire d'autre à Mendaro. Y faire seulement biscuit. Partage donc ça avec la mère » (sic). La souveraine se rappellera souvent la brièveté bien sentie de ces propos lorsqu'elle subissait à Madrid les « discours-fleuves » de ses courtisans.
A peine quelques années après ce mémorable événement, le village reçut une autre visite, qui eut des conséquences plus durables : en cette époque troublée par les guerres carlistes, un militaire français originaire de Mauléon, la capitale de la Soule, Bernard Saint-Gérons, épousa une fille du coin pour s'établir à Mendaro et y fonder un commerce d'épices. Leurs enfants en firent une des cent chocolateries qui parsemaient le Guipuzcoa pour le plus grand plaisir des élégantes de l'aristocratie espagnole, curistes assidues aux stations proches de Cestona, Deba et Zarauz...
Dans le rustique bâtiment qu'ils y avaient acquis, un âne actionnait le moulin pour broyer les fèves de cacao, avant que d'être remplacé - en 1902 - par un moteur électrique de marque Peugeot ; c’était le premier du genre utilisé dans la province, il est actuellement exposé à l'école des ingénieurs de Bilbao !
Cependant, au bout de plusieurs générations, la mécanisation industrielle faillit emporter l'affaire familiale, moribonde d'un univers désormais révolu... Mais la dernière chocolaterie artisanale de Guipuzcoa fut sauvée in-extremis en 1988 par Begoña Garate, épouse d'un neveu de l'ultime maître-chocolatier de la lignée qu'une scarlatine précoce avait rendu sourd-muet et confiné dans la tâche casanière de faire doucement tourner le moulin ; Begoña en recueillit les recettes, restaura l'antique bâtisse et, sensible aux encouragements du grand maître confiseur de Tolosa, Jose Maria Gorrotxategi, remit en marche la production artisanale. Elle forma deux employés, s'initia elle-même, ainsi que ses deux filles, aux raffinements les plus secrets de la profession et ouvrit deux magasins, à Saint-Sébastien et à Bilbao : une petite entreprise était née !
Les fèves de cacao, toujours écrasées par la pierre concave chauffée, au grain ferme sans être trop doux pour s'égrainer, ni trop dur pour recevoir le poli, fournissent aujourd'hui encore la pâte sucrée qui sert à fabriquer une infinie variété de truffes et de crottes de chocolat, régal des gourmands !
Et la petite échoppe attenante à l'atelier de production - qui prend des allures de musée - laisse diffuser dès l'entrée ce léger parfum d'épices qui raconte la longue histoire des chocolats Saint-Gérons de Mendaro...
ALC