Parmi les chapelles de la collégiale de Roncevaux, celle de San Agustín, recouverte d’une splendide voûte sur croisée d'ogives en étoile - ancienne salle capitulaire gothique du XIVe siècle - abrite le tombeau du roi Sanche VII le Fort. Le gisant du vainqueur de Las Navas de Tolosa, particulièrement expressif, fut sculpté sous le règne de son successeur Thibaud Ier (1234 – 1253). Les chaînes qui entouraient la tente du chef des musulmans Almohades et qui constituent le blason de la Navarre (avec l’émeraude au milieu), sont accrochées dans le chœur de la chapelle (voyez l’article de François-Xavier Esponde sur la Collégiale royale de Roncevaux). L’occasion pour nous d’évoquer quelques épisodes concernant la spiritualité en terre basque…
Présents sur leurs terres depuis le paléolithique, les Basques semblent avoir ajouté à leur fonds primitif de divinités « naturalistes » issues des bois, des montagnes, de la pierre ou du feu tels « Basa-Jaun » et « Mari », des éléments indo-européens orientés vers les astres ou le tonnerre (le jeudi, « ortz-eguna » ou jour du tonnerre est semblable au Donners-tag des Germains). Le cérémonial catholique a encore gardé quelques traces « pré-chrétiennes » comme l’Ezpata Dantza ou danse des épées exécutée devant l’autel pendant l’Elévation.
Cependant, l’évangélisation des terres basques fut sans doute plus précoce que ce qui est communément affirmé, saint Firmin ayant prêché en Navarre dès le IIIe siècle. Ce fils de fonctionnaires importants de l’administration romaine à Pampelune s’établit ensuite à Amiens où il devint évêque à 24 ans. Pierre d’Artajona, évêque de Pampelune et fondateur du monastère de Santa María la Real de Iranzu (à Abarzuza près d’Estella) rapatria d’Amiens dans son pays natal une relique du légendaire saint navarrais.
Des sanctuaires existaient déjà au cœur même des montagnes entre Biscaye et Navarre, dans des endroits pourtant à l’écart de la romanisation alors que, succédant à la « nuit » des invasions vandales et normandes, le siège épiscopal de Bayonne aurait été rétabli autour de sa cathédrale.
Mais c’est la destruction du royaume wisigoth d’Espagne lors de l’invasion arabe musulmane en 711 qui influa durablement sur la situation politique et religieuse de la Vasconie.
Après leur défaite à Poitiers en 732, les musulmans furent bientôt ramenés à l’Ebre par nos ancêtres. Dès lors, relate Pierre Charritton dans sa « Petite histoire religieuse du Pays Basque », « notre pays devint le bastion de la Chrétienté en face de l’Islam ». La dynastie des « Arizta » qui, par la deuxième victoire de Roncevaux en 824 s’était dégagée de la tutelle franque pour atteindre son apogée il y a mille ans avec « l’empire » de Sanche le Grand, parvint alors à « cristalliser toutes les forces de résistance de notre peuple autour du trône de Navarre ».
Rappelons qu’à la fin du IXe siècle, Mohamed de Cordoue, successeur d'Abderraman II, avec sa puissante armée, avait déjà franchi l'Ebre et parcouru la campagne de Navarre, emmenant captifs à Cordoue les enfants du roi de Navarre. Fortun Garces (882-905) passera ainsi vingt ans de sa vie à Cordoue avec sa sœur. Mais ce fut Sancho Garces (905-925) qui forgea le royaume de Navarre en s'opposant aux Musulmans. Il arriva à reconquérir les terres riches occupées par les maures et leurs alliés les Banu Qasi, des nobles wisigoths que les envahisseurs maures avaient converti à l’islam, fixant ainsi la frontière de la Navarre sur l'Ebre.
A ce sujet, Pierre Charritton précise encore dans son ouvrage qu’à la fin du IXe siècle, lorsque les Normands auraient décapité saint Léon à Bayonne, « l’occupation musulmane dans la péninsule, jusque-là plus militaire que politique, se fit tracassière et sectaire ». Dans un article qu’elle avait consacré aux relations entre musulmans et chrétiens en Alava et en Navarre (« Lapurdum » VIII), Yvette Cardaillac-Hermosilla de l’Université de Bordeaux III explique comment, jusqu’à l’orée du XIe siècle, s’exerçait la domination des conquérants musulmans sur les populations chrétiennes soumises. Selon les prescriptions du Coran, l’Islam procède à « une division en trois groupes : les Musulmans, les gens du Livre et les idolâtres ». Si ces derniers sont exclus de toute « tolérance pluraliste », en revanche les gens du Livre (Chrétiens et Juifs) « bénéficient » de la Dhimma, véritable contrat de « protection-soumission » : ils sont admis avec leurs croyances et leur culte mais « devront être humiliés et payer leur admission dans la communauté des croyants » au moyen d’un impôt ou « Jizya ». Oscillant entre conversions forcées à l’Islam et collecte de l’impôt auprès des « Dhimmis » (soumis), la politique des califats musulmans se terminait parfois dans un bain de sang…
D’où, peut-être, l'institution des abbés laïques (origine du patronyme « d’Abbadie ») auxquels on avait assigné la défense des communautés pyrénéennes contre les invasions des Sarrazins musulmans (d’ailleurs, la fondation de paroisses à l’entrée du XIe siècle semble avoir été largement due à l’initiative de laïcs épaulant les autorités politique et épiscopale).
De nombreux évêques durent s’exiler et d’anciens évêchés comme celui de Calahorra, disparu, laissèrent la place à de nouveaux sièges en pays libre, en particulier en Alava et à Najera, dans la Rioja, où Sanche le Grand établira sa cour. Le souverain accorda une charte (fuero) à la ville, origine de la législation navarraise et y fit frapper les premières monnaies connues de la Reconquista. Une vingtaine de Km séparent Najera du monastère de San Millan de la Cogolla où l’on a trouvé les premières traces écrites de la langue basque dans les « Gloses Emiliennes » qui datent de cette époque.
Cependant, le péril musulman s’éloigne et le trône navarrais s’affirme sous Sanche le Grand qui réorganisera définitivement la carte ecclésiastique du Pays Basque : selon Charritton, il ramènera l’évêché de Leyre à Pampelune, restaurera sans doute celui de Bayonne, alors qu’Oloron annexe l’archidiaconé de Soule. Mais c’est bien le roi de Navarre Sanche VII « le Fort » et ses chevaliers qui prirent une part déterminante dans la victoire des troupes chrétiennes coalisées sur celles de l’envahisseur musulman Muhammad an-Nasîr. Le lundi 16 juillet 1212, la bataille de Las Navas de Tolosa, localité située loin des terres basques, au Nord de l’Andalousie fut décisive à plus d’un titre pour l’avenir de la Navarre et de toute notre région (voyez notre LETTRE du 21 juillet 17).
Pour sa part, de cette histoire tourmentée, l’archevêque d’Auch conservera - subsistant de ses anciens droits - le titre honorifique de « primat de Vasconie et des deux Navarres »…
Alexandre de La Cerda
Roncevaux : le gisant de Sanche VII le Fort et le vitrail de Las Navas par Mauméjean