Le grand Charles Péguy disparu dès le début de la guerre en 1914 après 33 jours de combat, se remémore au souvenir des français en ce temps d’anniversaire de sa naissance.
A 41 ans, l’écrivain rejoint ses camarades qu’il avait chantés dans son poème Eve.
“Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle, mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.”
A 40 ans l’âge où nous devenons ce que nous sommes, il a gardé l’âme des hussards noirs de son enfance. Le chrétien pas très catholique tisse une amitié avec un pasteur protestant, n’assiste pas à la messe et n’arrive pas à réciter le Notre père en son entier, il y a dans le Notre Père cette phrase terrible, dira-t-il, que votre volonté soit faite, cette phrase là ne peut pas me passer entre les dents. Il se tourne vers Marie, le dernier recours, et vers Jésus, le plus grand saint ; son patriotisme en est renouvelé.
“La France n’est pas seulement la fille aînée de l’église, elle est indéniablement une sorte de patronne et de témoin martyre de la liberté dans le monde”, écrit-il dans ses carnets en 1913, un an avant la guerre qui envahira le monde.
La grande guerre ne le surprend pas. Il la jugeait inévitable.
“On ne peut pas analyser le sentiment de l’homme qui se rue sur son semblable en face de lui avec une arme blanche pour lui percer la poitrine, ou se la voir percer par son adversaire.”
Il recevra une balle dans la tête qui fut pour lui fatale.
Etrange époque où les canonisations successives vont pleuvoir juste après la fin de la Grande Guerre.
- Jeanne d’Arc, si chère à Charles Péguy, est canonisée en 1920, le propos ajouté devant Dieu vient le situer, les âmes ne sont ni françaises ni allemandes. Cette pensée le traversera dans sa vie. Le Parlement français institue la Fête nationale de Jeanne d’arc et du patriotisme, le second dimanche de mai,
La fraternité des tranchées a effacé bien de aversions républicaines du temps passé. On serait entré dans un autre monde.
Pour les soldats de 1914, Thérèse de Lisieux ajoute une force d’âme supplémentaire. Son visage est agrafé sur l’uniforme des soldats du front, Charles s’en inspire, les deux mystiques sont présentes à la fois sous le drapeau tricolore et voient refleurir la républicaine et la chrétienne, du même mouvement comme l’avait annoncé Charles Péguy.
En 1925, Thérèse de Lisieux est à son tour canonisée par le pape Pie XI, et en 1944 toutes deux, Jeanne et Thérèse sont déclarées patronnes de la France.
Les coïncidences sont étonnantes.
Etonnement et questionnement absolus, Thérèse et Charles mèneront leur combat, celui spirituel et guerrier pour chacun à leur manière.
Thérèse se heurte à tous les niveaux de l’autorité de son environnement immédiat, le pape, l’évêque, le curé, femme de combat de l’esprit, “d’un bon combat” dont parle l’apôtre Paul dans l’épitre à Timothée.
Il y a comme une connivence entre ce combat et l’art militaire dans les récits bibliques continus. La guerre est un déroulé continuel des livres bibliques, disent les narrateurs.
Charles Péguy, pétri de catéchisme et de patriotisme, en fera le sien dans une société sécularisée combative du religieux de son temps : “ tout chrétien est aujourd’hui un soldat, le soldat du Christ, il n’y a plus de chrétien tranquille, ainsi nous sommes tous des îlots battus d’une incessante tempête, les plus faibles, femmes, les enfants au berceau sont déjà des assiégés, nous sommes tous aujourd’hui placés à la brèche, nous sommes tous placés à la frontière, la frontière est partout, la guerre est partout", écrivait-il en 1911.
Seule alternative à cette violence, le retour à Dieu et à son prochain dans l’amour est une issue possible, dira Thérèse. Le "self-made" saint est une illusion à savoir d’obtenir ce salut par soi même.
Thérèse témoignera d'une attitude réceptive à cette grâce divine, Charles l’appellera de ses voeux.
De ces deux figures magistrales françaises de la vie spirituelle que peut-on en retenir aujourd’hui ?
Tous deux montrent un chemin ardu 150 ans après leur naissance.
Déclarée Docteur de l’Eglise en 1997 par le pape Jean Paul II, autre soldat du Christ à notre époque, Thérèse qualifiée de “petite voix” est considérée désormais comme une grande figure de la Foi dans l’histoire récente de l’Eglise.
Charles ne fut pas élevé sur les autels, il ne le voulait pas déjà de son vivant : “Il importe extrêmement de ne pas m’affubler en père de l’église, écrit-il dans ses lettres, c’est déjà beaucoup d’en être le fils, comprenant que la sainteté et une cathédrale sans nombre, sur terre et dans l’éternité.”
Se heurtant à l’incroyance de son épouse Charlotte, Charles relaya cette relation avec Jacques Maritain son ami, pour établir des passerelles spirituelles et des échanges en ce dessein.
Le sentiment partagé de Charles demeura que tout salut se devait être commun, partagé avec les autres ; on ne peut sauver son âme comme un trésor individuel, on doit se sauver avec les autres, pour parvenir ensemble auprès de Dieu, écrira-t-il.
“La foi est une épouse fidèle, la charité est une mère, une mère ardente pleine de coeur, ou une soeur ainée qui est comme une mère", écrivait Charles dans le Porche du mystère de la deuxième vertu, en 1911, comme s’il prévoyait sous sa plume le rayonnement de Thérèse. L’espérance est une petite fille de rien du tout, c’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes, cette fille de rien du tout, elle seule portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
Des signes difficiles à commenter, si mystérieux de ces prophéties de deux géants de l’esprit, Charles et Thérèse célébrés ensemble cette année dans leur charisme personnel au demeurant différents et si proches !
Une bibliographie d’anniversaire pour accompagner ces 150 ans de leur naissance :
- Eloge d’une guerrière de Jean de Saint-Cheron chez Grasset
- Charles Péguy, un enfant le monde moderne de Matthieu Giroux, Première partie.
- Thérèse de Lisieux... sainte, de véronique Gay-Crosier, chez Arpège,
- En route vers Chartres. Dans les pas de Charles Péguy,de Pierre-Yves Le Priol, Le Passeur
- Nous sommes tous à la frontière de Charles Péguy, textes choisis de Hans Urs von Balthasar, éditions Johannes Verlag
Fx Esponde
Personnellement, j'y ajouterai la thèse que le Père Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jussé, supérieur des Serviteurs de Marie et de Jésus, avait consacré à Péguy et où il notait que l'écrivain, après son retour à la foi, reprochait beaucoup aux catholiques "de vouloir pactiser avec le monde moderne : Péguy reprochait aux chrétiens de singer leurs adversaires, de se rendre à leurs arguments par désir de complaire, ou par honte de soi. Les clercs ont pris leur parti du monde moderne, ils recherchent l’approbation des intellectuels dont ils reprennent la méthode et les concepts, ils cherchent à accommoder les restes du christianisme avec leur époque, jusqu’à
« vendre Dieu » de peur de paraître ridicules à la Faculté. C’est ce que Péguy ne supportait pas, qu’il trouvait indigne.
Et à ce « monde moderne », Péguy reprochait d’avoir « désorganisé » la société en abattant l’ancienne France, plus que l’Ancien Régime : une société fondée sur des solidarités personnelles, un monde gouverné par l’humilité qu’impose le travail de la terre, par l’honneur et par le respect : respect du travail, de la femme et de l’enfant, de la famille, de la parole donnée, de Dieu. Au contraire, le monde moderne a le culte du progrès, de la mécanique et de l’argent « devenu maître à la place de Dieu ». La civilisation technicienne en vient à n’estimer que ce qu’elle produit et, par-là, elle s’adore elle-même. Mais en rejetant ce qui l’a précédé, le monde moderne provoque l’effacement de l’humanité ; en se désintéressant de la nature, en se détournant du réel, il se condamne à la stérilité. C’est un monde fatigué, qui se survit d’idées toutes faites, d’idéologies. Bernanos dira que la civilisation moderne est « une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». Péguy est un précurseur..
Malgré cela, pour Péguy, "l’espérance est la grande réponse au monde moderne". Espérer, pour Péguy, c’est rester disponible à l’irruption de la grâce, à l’intervention de Dieu que le monde moderne a banni. C’est « aimer ce qui n’est pas encore et qui sera ».
ALC