1 - Février mois des célébrations civiles et religieuses
Après la Chandeleur du 2 février, le calendrier au quotidien indique le mardi gras du 21 et l’entrée en Carême du 26 du mois, selon une régularité annuelle ininterrompue au fil des jours...
Une époque propice aux déguisements, masques et maquillages pour renoncer à l’homme ancien hivernal et sombre et renouer avec les parures d’un printemps annoncé à grand renfort de danses, de lancers de confettis ou de serpentins agités par les enfants.
Un temps féerique pour renouer avec le retour de la lumière qui dés le début de février pointe et réduit la durée des nuits hivernales sous les frimas et la neige.
Pour nous, contemporains d’une saison protégée par l’éclairage continu, le chauffage et la lumière, ce pourrait sembler inopportun, mais jadis, pour nos aïeux le contraste de l’hiver avec la venue des jours meilleurs à l’heure du solstice avait un sens plus accentué.
L’homme de la terre, agriculteur et éleveur de son état, vouait à ce cycle saisonnier un culte profond tel que le rapportent les Lupercales de l’Antiquité et quelques poteries grecques du IVème siècle avant notre ère montrant les manifestations carnavalesques de leurs contemporains.
Dans une société privée de viande et souvent réduite aux productions légumières, le temps du carnaval et ce mardi gras inscrit dans le calendrier chrétien ultérieur, donnait lieu à quelques libations avant l’entrée en quarantaine de Pâques par le carême observé avec rigueur en toute la chrétienté.
On se souviendra de la résistance des premiers papes romains à ces pratiques dont les chrétiens usaient comme tout tout citoyen impérial, lors des Lupercales et les renoncements successifs à de tels rites difficiles à accorder avec le christianisme.
Au temps de ces libations, de plaisirs avant carême, ces heures frivoles et de décontraction du règlement en l’état, permettaient de marquer le cycle du temps passé et le passage du nouveau suivant et bienvenu.
Molière dans le Bourgeois gentilhomme cite « On dit que vous voulez donner votre fille en mariage à un carême-prenant, par ce mardi gras d’exception », montrant l’importance de ce jour dans le rituel du temps pré-pascal de ce monde rural.
Rien ne pouvait priver l’imaginaire collectif de la ferveur de personnages de circonstance créés pour le jour advenu représentant bien souvent des figures mythologiques anciennes de la primitive tradition gauloise.
Chars, défilés, masques, costumes, montures habillées, grosses têtes, tout à la joie et à la fête, composaient l’univers féerique de ce mardi gras et du carnaval qui s’y invitait.
2 – Une cosmogonie nouvelle chaque année
Le temps du carême observé dans la rigueur et la loi privative de viande, d’alcool nécessitait ce jour de dessaisissement de l’esprit qui bâtissait la cosmogonie rituelle de l’année par le renouvellement des fonctions de chacun et de leur utilité sociale.
L’Antiquité avait appris aux anciens le dispositif des saturnales, le pouvoir des âmes disparues et toujours actives de l’hiver, la quête de délivrance par des plaisirs délurés, la boisson et les accompagnants sensuels qui en permettaient la totale libération, une sorte de passage du chaos de la nuitée hivernale vers une journée meilleure attendue.
En somme, une cosmogonie qui selon le calendrier répétait le cycle de la nature et des saisons, toutes barrières interdites étant bannies le temps contraint de ce mardi gras et du carnaval.
Voulant se régénérer en abolissant le temps de l’hiver écoulé à la merci d’une création nouvelle, on pouvait recréer un nouveau monde illusoire mais symbolique, dense et imaginaire !
Les rites de fin de ce monde d’hier, le rapport au feu de la vie que l’on éteint et rallume à la braise neuve de paille ou de feuilles séchées, avait force symbole et parlait aux acteurs de ces fêtes de la nuit où les acteurs pouvaient à la fois incarner les hommes et les esprits les plus cachés de la terre.
Toutes les barrières sociales étant bannies pour ces quelques heures sous masques et déguisements, ne reconnaissant quiconque, et associant tout un chacun à la féerie de la fête en commun, le besoin de se régénérer en profondeur abolissait le temps passé et toutes les frontières séparant les vivants entre eux, dans un état social bien compartimenté et pourtant possible à transgresser.
Les parures théâtrales de circonstance faisant de chacun un diable ou quelque démon, un sorcier ou quelque démiurge, dans la noirceur d’un visage grimé, le personnage central de la fête, le roi Carnaval avait à la fois mission expiatoire pour ses témoins et connaissait le destin fatidique du feu, de la décapitation ou de quelque noyade qui l’attendait !
Vestige de ces théâtres de rue qui au fil du temps endossent divers uniformes, deviennent parlants à des générations nouvelles, le carnaval - ou chez nous, San Pantsar - traverse l’imaginaire du temps, quelque peu décoiffé par le roi Léon, autre personnage saisonnier de l’été, autre Roi carnaval, que l’on ne livre pas encore au destin tragique du bûcher comme ses aïeux, brûlés vifs à l’issue de la fête, et restaurés dans leurs pelures, leurs chiffons, ou leur costumes à chaque saison répétée de l’an.
Avant le Carême, l’Eglise héritant de traditions antiques pré-chrétiennes pour certaines ne put ni entraver les pratiques, ni les encourager.
Mais elle en fit cas, les subissant ou tentant de les supplanter par d’autres cultes et rites d’un autre monde !
Elle fit preuve de précaution faute de mieux, car la demande compressive des populations allait en faveur de ce moment expiatoire de l’hiver, qui pour le cas n’a rien de religieux et s’inscrit dans le cycle naturel de la mort et de la vie d’une nouvelle saison.
L’imaginaire collectif des populations, des cultures particulières adoptant ce temps de liberté laissé à son génie propre, on put recueillir au fil de l’histoire une richesse patrimoniales de tissages, vestiaires, et costumes de circonstance, dans ce décor de feux de joie des uns, d’accès au vin nouveau des autres, sur un parterre de chars fleuris, où Bonhomme-hiver doit connaître le sacrifice et expier pour son austérité saisonnière !
Les Lupercales antiques, les Feralia romaines, les Bacchanales, les Dionysies ou les Lémuria de nos ancêtres donnent à imaginer ce que le peuple en attente pouvait espérer pour soulager ses pulsions et se distraire des fureurs et des contraintes d’un hiver sans merci.
Francois Villon, en poète, s’inspira de ces thèmes transgressifs pour ces rites de délivrance habités dans le mardi gras du carnaval, de railleries destinées au clergé et aux doctes de la société, préférant les langues régionales au franc du royaume, se moquant parfois des institutions, de leurs déguisements sous le masque, arborant la liberté, vertu souveraine en France, s’agissant de libérer l’imaginaire théâtral populaire et exposé dans la rue, en ces heures de délivrance !
3 – Les Lupercales romaines
Célébrées du 13 au 15 février ces manifestations autour de la grotte de Lupercal au pied du Palatin honoraient Faunus, le dieu des forêts et des troupeaux et la mémoire légendaire de Romulus et Remus, fondateurs de la ville de Rome.
Un temps de purification avant le 1er mars, début de la nouvelle année selon le calendrier ancien.
La découverte de ces deux jeunes enfants abandonnés sous le figuier sauvage est racontée par la légende, et l’adoption par des bergers Faustulus et Acca Larentia, épouse du berger aux mœurs légères, deux noms rapportés dans ce récit mythique pour donner du crédit au contenu.
En novembre 2007, les archéologues prétendent avoir découvert la grotte de Lupercal quelques mètres sous terre dans un décor de mosaïques devenu un dépotoir au fil du temps et soumis à un nettoyage en cours !
L’histoire convient à quelque rite sacrificiel, deux jeunes hommes participant à la grotte du Lupercal au rite initiatique.
Le front saigné d’un sang juvénile trempé de lait, ils courent dans Rome, armés de lanières et fouettant les filles en âge de procréer, pour leur permettre de devenir fécondes dans l’année...!
Associé à l’esprit souverain de la nature, “Faunus, dieu de la fête, perpétue cette croyance ancestrale d’avant la fondation de la ville, selon le rituel du passage dans la grotte pour l’obtention du souffle vital, riant aux éclats selon le rituel de libération des esprits, appelant la résurrection de la nouvelle année.”
Ovide rapporte le pouvoir de Faunus sur la protection des troupeaux, riche patrimoine des Romains, et les vertus initiatiques pratiquées en ce mois de février-mars dans ce temps des antiquités de la cité.
Les historiens évoquent pour ces pratiques initiatiques de la population, un passage de l’enfance vers la vie adulte, selon ces liturgies sommairement ancestrales mais observées par les anciens de ce temps.
En 494 le pape Gélase mit un terme à ces libations, interdites pour les chrétiens et les romains, qui cesseront plors de la conquête byzantine de la ville au VIème siècle...