Le peintre Michèle-Angelo Merisi, plus connu sous le nom du Caravage (Caravaggio en italien, du nom du village dont est originaire sa famille, dans la région de Bergame) est né en 1571 à Milan. Durant sa brève existence (décédé de maladie à l’âge de 38 ans), il a connu cette période agitée postérieure au Concile de Trente (1545 à … 1565) laquelle a enclenché la refondation de l’église catholique par la mise en place (laborieuse) d’une riposte à la Réforme protestante : la Contre-Réforme. Il s’agissait pour l’église catholique de se forger les outils spirituels et matériels afin de combattre la propagation du protestantisme dans l’Occident chrétien. Pour appliquer cette nouvelle politique offensive de l’église, durant la courte existence du Caravage (1571/1610), pas moins de sept Papes se succèdent : Grégoire XIII (1572/1585), Sixte Quint (1585/1590), Grégoire XIV (1590/1591), Innocent IX (1591/1591), Clément VIII (1592/1605), Léon XI (1605/1605) et enfin Paul V (1605/1621) !
Après des années d’apprentissage dans des ateliers lombards, dont nous ne possédons que peu d’informations, Le Caravage arrive en 1592 à Rome, ville monde, phare du catholicisme, en pleine transformation sous la Papauté de Clément VIII : on y construit, transforme les églises ; « les princes de l’église » commandent en nombre des fresques, des sculptures, des tableaux, des objets de culte pour magnifier la religion catholique, apostolique et romaine. Rome capitale des États Pontificaux est en pleine effervescence immobilière et culturelle. Il faut donner un lustre théâtral, éclatant, à la religion catholique par opposition à la rigueur luthérienne (Martin Luther 1483/1546).
C’est dans cette ville agitée, en perpétuels travaux de construction, de rénovation, que le peintre expérimenté de 21 ans s’installe dans des ateliers de peinture alors fort nombreux, afin de satisfaire les commandes. Le Caravage entame une existence romaine tumultueuse. Impatient, il séjourne brièvement dans plusieurs ateliers : dès son arrivée chez Lorenzo Carli, plus connu sous le nom de Lorenzo Siciliano (1592/1593), puis chez Giuseppe Cesari dit « le cavalier d’Arpin » où il peint des fleurs et des corbeilles de fruits avant qu’excédé par ces travaux répétitifs, il rompe brutalement (1593/1594).
Ses ennuis commencent : il participe à plusieurs rixes, est brièvement emprisonné. Le Cardinal del Monte (Michèle Placido) passionné d’études picturales à motifs religieux devient son protecteur en 1597.
Le Caravage exécute de nombreuses œuvres de commandes qu’il exécute dans un style propre, novateur : « le baroque » (les sujets sont librement réinterprétés par le peintre mêlant, dans le même espace, sacré et profane). Les tableaux de chevalet, de dimensions très variables, sont des compositions non « classiques » : les corps ont des postures inhabituelles, les axes de composition sont obliques, en V, en X, etc.
Sa technique de représentation de ceux-ci, est le « clair/obscur » (les personnages sont éclairés par une source lumineuse, alors que le fond du tableau est sombre : de fait, ils semblent vivants, comme surgissant de la toile et quelquefois, fixant le spectateur). Le Caravage trouve ses modèles dans le petit peuple romain qu’il côtoie : vagabonds, mendiants, prostituées, etc. et les intègre dans ses compositions.
En 1605, Alessandro Ottaviano di Medici (1655/1621) devient pape sous le nom de Paul V. Le Caravage toujours turbulent, tue en duel un certain Ranuccio Tomassoni. Condamné à mort par contumace, il s’enfuit précipitamment de Rome et après quelques mois d’errance, finit par s’installer à Naples, alors sous domination espagnole, loin des États pontificaux. Lorsque Paul V apprend que le peintre utilise des prostituées, des vagabonds, des voleurs comme modèles pour ses tableaux renommés, il lance un inquisiteur/enquêteur sur ses traces : L’Ombre (Louis Garrel). En effet, le Caravage a demandé l’octroi d’une grâce au souverain pontife lequel ne la lui accordera que si les résultats des investigations de L’Ombre sont positifs.
Chemin faisant, L’Ombre découvre les vices et les vertus du Caravage …
Le Caravage est un long métrage plein de bruit et de fureur de Michèle Placido (76 ans) artiste multicarte italien fort connu, à la fois acteur (100 films, 30 téléfilms !), réalisateur (15 films), scénariste d’une demi-douzaine d’œuvres. Ses réalisations sont toujours fougueuses (2005, Romanzo criminale), empreintes d’énergie. Dans son dernier opus, il a voulu rendre une ville en pleine ébullition, faisant suite à une longue aphasie, durant la phase active, agressive, de la Contre-Réforme ou l’église se battait pour sa survie contre une nouvelle « religion prétendument résformée » (RPR) qui se propageait rapidement dans l’Occident chrétien.
Le chaos de ces temps bousculés est perceptible grâce à la mise en scène survoltée, intense, la fragmentation du parcours erratique du Caravage, homme au demeurant peu sympathique, mais artiste de génie nonobstant le nombre limité de peintures visibles de nos jours (de nombreuses œuvres originales ont disparu, mais elles avaient été abondement copiées).
Après la mort inopinée de son fondateur, « Le caravagisme » a eu une importance grandissante dans l’histoire de la peinture européenne. Ses descendants, parmi d’autres, ne sont rien moins que Pierre Paul Rubens (1577/1640), Georges de la Tour (1593/1652), Diego Velasquez (1599/1660), et Rembrandt (1606/1669), pour ne citer que les principaux.
S’adossant scrupuleusement à ce que nous savons des dernières années de la vie de l’artiste mais en y ajoutant un personnage de fiction (L’Ombre) qui enquête sur lui, Michèle Placido nous donne à voir un film plein d’une féroce humanité, avec des éclairs de violence. Malheureusement le film, par son montage rapide, saccadé, nous perd en route par instant. Cependant, pour les amoureux de l’art pictural il demeure une excellente œuvre cinématographique ambitieuse. La force du récit des dernières années de la vie du Caravage de 1605 à 1610 submerge nos réserves.
A propos de son film Michèle Placido déclare : « Aujourd’hui je mets en lumière la noirceur impénétrable d’un génie capable d’illuminer le monde par son art et d’un individu en conflit avec lui-même ». Malgré quelques maladresses, Caravage est hors des sentiers battus ; il mérite d’être vu. Les biographies d’artistes peintres sont difficiles à dérouler sur un écran malgré quelques exemptions notables : 1973, Edvard Munch de Peter Watkins ; 1991, Van Gogh de Maurice Pialat. Il faut donc visionner le dernier long métrage de Michèle Placido.