La Ciotat (Bouche du Rhône). Un chantier de construction d’une villa. Des ouvriers travaillent dur sous un soleil de plomb. Parmi eux, un jeune homme de 16 ans, Enzo (Eloy Pohu). Bien qu’intégré dans l’équipe dans laquelle il œuvre depuis huit mois, il peine à suivre le rythme soutenu de ses collègues. Lors d’une visite du patron de l’entreprise, monsieur Corelli (Philippe Petit), ce dernier s’emporte contre lui : son travail est mal fait ; il est beaucoup trop lent. Furieux, il lui ordonne d’arrêter et l’amène illico chez ses parents dans le but de rompre son contrat de travail.
A la stupéfaction de monsieur Corelli, les parents d’Enzo, Marion (Elodie Bouchez) sa mère, et Paolo (Pierfrancesco Favino) son père, habitent une magnifique villa d’architecte avec piscine et vue sur mer. Les parents comprennent la volonté d’Enzo de devenir un bon maçon. Veut-il arrêter l’expérience ? Enzo refuse la proposition et promet de se reprendre. Il retournera sur le chantier.
La famille d’Enzo est composée de grands bourgeois cultivés : Marion est ingénieure en génie civil et Paolo professeur d’université. Ils ont deux fils dont l’aîné, Victor (Nathan Japy), prépare les grandes écoles : son souhait est d’incorporer le Lycée Henri IV à Paris. C’est un brillant élève contrairement à Enzo qui a rejeté le système scolaire. Victor est ouvert et disert avec ses amis tandis qu’Enzo est solitaire et taiseux. Les deux frères sont on ne peut plus dissemblables.
De retour sur le chantier, au fil des journées, la qualité du travail d’Enzo progresse. Bien que les tâches soient harassantes, il améliore ses prestations lesquelles sont remarquées par les autres ouvriers. Moins taciturne, Enzo se lie d’amitié avec Vlad (Maksym Slivinskyi) et Miroslav (Vladyslav Holyk), deux compatriotes ukrainiens.
Enzo plus détendu, est irrésistiblement attiré par la personnalité charismatique de Vlad …
Enzo est le cinquième long métrage de Robin Campillo (62 ans) également scénariste de tous ses films et monteur de certains. Son dernier film est particulier : en effet celui-ci devait être réalisé par son ami de longue date, rencontré au début des années 80 à l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques), Laurent Cantet (1961/2024) mort d’un cancer avant le début du tournage. Ensemble, ils ont écrit le scénario et choisi les comédiens lors de castings. « Ainsi ENZO est un film à mi-chemin entre Laurent Cantet et moi » affirme Robin Campillo. Auparavant, ce dernier avait collaboré à quatre scénarios de son ami défunt dont Entre les murs (2008), Palme d’or au Festival de Cannes 2008 et César de Meilleure adaptation en 2009. Lui-même en 2017, a obtenu à ce même festival, le Prix du jury pour 120 Battements à la minute et Trois César en 2018 (Meilleur film, Meilleur scénario original, Meilleur montage).
Les deux amis ont la même sensibilité concernant la société française : complexité des rapports de classes, rapports de domination, transfuges de classes, etc. Notre bonheur est qu’ils échappent aux œuvres militantes, en apparences fortes dans l’instant, mais qui s’étiolent puis se ridiculisent dans le temps. Les organisations humaines évoluent rapidement, mutent parfois, devenant ainsi rétives aux « grilles idéologiques » par nature figées. Ce constat n'interdit pas aux deux amis d’avoir de solides convictions : ils sont membres du collectif 50/50 pour promouvoir l’égalité des femmes et des hommes et de la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel. Par ailleurs Laurent Cantet est l’un des fondateurs avec d’autres cinéastes français de talent, Pascale Ferran, Cédric Klapisch, de LaCinetek, une plateforme vidéo à la demande dédiée aux films de patrimoine.
Le personnage d’Enzo (Eloy Pohu) qui reste un mystère est, ici, un révélateur du fameux adage : « Famille je vous hais ! » (Les Nourritures terrestres d’André Gide – 1869/1951). Le nœud gordien de sa personnalité tourmentée est sa famille trop parfaite, trop lisse, vivant dans un lieu idyllique. A cet égard Robin Campillo déclare : « La famille est peut-être la construction la plus aléatoire de la société. Enzo se sent en tout cas comme déclassé dans la sienne. Laurent (Cantet) tenait à ce que l’adolescent ne soit pas montré comme une chenille en crise qui peine à atteindre l’âge adulte, mais plutôt comme un personnage totalement déconnecté de sa famille ».
Comme son ami décédé, Robin Campillo mélange des acteurs professionnels chevronnés (Elodie Bouchez, Pierfrancesco Favino) avec des occasionnels Eloy Pohu (une révélation !) et les deux ouvriers ukrainiens, Maksym Slivinskyi (Vlad), Vladyslav Holyk (Miroslav), déchirés par la guerre dans leur pays. Tous ces personnages avec leur complexité apparente, ou cachée, évoluent sous le soleil écrasant de Provence. A cet égard les images de la directrice de la photographie Jeanne Lapoirie (62 ans), partenaire habituelle du réalisateur, sont lumineuses, nettes, sans être esthétisantes. La mise en scène de Robin Campillo est remarquable, frontale, nonobstant le modeste budget (3,7 millions €) du film.
Enzo est un film franco-italien de qualité. Il nous rend nostalgique de ces nombreuses coproductions entre ces deux pays durant les années 50 jusqu'aux années 80. Depuis ces décennies fastueuses, le Belzébuth télévisuel a sévi et notre nostalgie de croître. Aussi, faut-il rester vigilant quant à notre riche et variée production cinématographique.