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Patrimoine
Anniversaire : Paul Dutournier, défenseur du patrimoine basque
Anniversaire : Paul Dutournier, défenseur du patrimoine basque

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Anniversaire : Paul Dutournier, défenseur du patrimoine basque

« Les sept provinces sans Paul Dutournier, c'est comme s'il n'y avait jamais eu Santa Cruz, légendaire curé guerrillero pendant les guerres carlistes ; Ganich de Macaye, mystifiant la gendarmerie royale de Louis-Philippe ; Ramuncho dans le roman de Pierre Loti; Chiquito de Cambo fouettant d'une balle rasante le mur du fronton... » L’hommage à l’ancien maire de Sare avait été écrit d’une plume lyrique par notre ami commun, Alain Pujol, auquel nous avions, Paul et moi, rendu plus d’une fois visite dans sa thébaïde forestière au milieu des bois de Villandraut. Voilà 27 ans que Paul Dutournier n’est plus : il était parti le 1er avril 1993, à la suite d’un accident de voiture… 

D’ailleurs, l'histoire, avec Paul Dutournier, commence souvent avec une belle voiture. Maire de Sare pendant trente-quatre ans après les sept maires de sa famille qui l'avaient précédé, il était toujours très fier de montrer la belle écharpe tricolore en soie qui avait été donnée à son aïeul par l’impératrice Eugénie. Et Paul m’avait raconté plus d’une fois l’épisode de la « journaliste » Magda Fontanges, débarquée avec son chic cabriolet Fiat à Sare en 1937, en plein tournage de « Ramuntcho » avec Louis Jouvet et d'autres acteurs célèbres mêlés aux réfugiés de la chorale Eresoïnka qui servaient de figurants (mais dont certains contestaient la présence à Sare)… 
Je l’ai relaté en détail dans mon livre « Biarritz Folies » : avec l’aide de sa très bonne amie Maguy Hiriart, représentante de la Croix Rouge, Popaul lui avait fait traverser la frontière (fermée à cause de la guerre d’Espagne) car la belle aventurière voulait retrouver le Maréchal Graziani qui campait au milieu de l'état-major du corps expéditionnaire italien à l'hôtel Jaureguy de Fontarabie. Or, à contrebandier basque, digne émule de Ramuntcho, il n’y avait rien d'impossible - surtout quand on était le descendant de "travailleurs de la nuit" qui avaient procuré des canons Krupp aux bataillons carlistes du curé Santa Cruz sous couvert de pianos à queue.
Mais, quelques jours plus tard, le commissaire divisionnaire en charge de la frontière appelait notre passeur : « Ecoutez, Dutournier, je vous connais, vous êtes un chic type. Je comprends très bien, les extrêmes se touchent, je suis un gars du Nord, un frontalier aussi, alors que vous aidiez vos frères basques, chapeau ! Mais moi, je suis commissaire de police, et il faut que je fasse mon métier. Je ne veux pas savoir qui a fait passer la frontière à Magda Fontanges ! J'allais vous dire que... Finalement, c'est un marché que je vous propose : Magda Fontanges est en train de flanquer la panique à tous les Italiens, à commencer par le maréchal. Elle est dangereuse, elle est intrigante, elle révolutionne Fontarabie, au sein de l'état-major italien et espagnol. Or elle est, malgré tout, citoyenne française, et le ministre de l'Intérieur et celui des Affaires Etrangères me demandent de la protéger... Tous ces messieurs italiens et espagnols savent qu'elle est capable de flanquer une balle dans les fesses à quiconque, et moi je vous demande une chose : débrouillez-vous pour qu'elle revienne, qu'elle quitte ma circonscription, et je vous donne ma parole d'honneur que si elle quitte le territoire dont je suis responsable, vos amis d'Eresoïnka resteront à Sare ».
Or, Paul Dutournier avait spontanément sympathisé avec ce Tourquennois, ayant lui-même effectué un stage de quatre ans à Tourcoing et à Lens en vue de représenter en Espagne une société de câbles dont la fabrication était soumise à des essais dans les mines du Nord. Il s'était juré, là-bas, de venir en aide aux pottoks qui terminaient misérablement leur vie à tirer des chariots au fin fond d'obscures et noires galeries, si loin de leurs riantes collines basques. Plus tard, il établira un registre généalogique pour préserver la pureté de la race, et fera même émettre aux postes monégasques un timbre à l'effigie du petit cheval préhistorique.
Chose promise, chose due ! Magda Fontange fut rapatriée en France par le même procédé qu’à l’aller…
Et, en quarante-huit heures, sur les conseils du commissaire Maurice Sangla, du maire de Bayonne, Pierre Simonet et du sous-préfet Pierre Daguerre, Paul Dutournier formait une association "française" qui permettait à Eresoïnka de s'installer à Sare et de rayonner dans le monde où ses concerts lui apportèrent beaucoup de succès.
D'Oldarra à Etorki et bien d'autres, presque toutes les chorales qui fleurirent chez nous après-guerre lui furent redevables.

Une figure marquante du Pays Basque

Paul Dutournier, je le connaissait depuis ma jeunesse, il m’avait introduit dans bien des cercles culturels et politiques de part et d’autres de la frontière de l’époque, quand toute relation avec le Pays Basque Sud paraissait suspecte de ce côté : nous avions créé, Paul et moi, la fondation « Arraya Pasa » qui, comme son nom l’indique, se jouait des préjugés de l’époque pour établir des liens entre Euskadi et notre Iparralde. Nous avions, entre autres, suscité des journées communes des responsables et animateurs des offices de tourisme des deux côtés qui se déroulèrent alternativement chez eux et chez nous, afin d’établir une meilleure connaissance de l’offre patrimoniale, culturelle, gastronomique des deux côtés de la muga, efforts qui débouchèrent même sur une promotion commune de Biarritz et de Saint-Sébastien hors du Pays Basque…
Avec François de La Lande d' Olce qui élevait ses pottoks, tout comme Séhabiague et le « vétérinaire (azkaindar) de la frontière » Barnetche, Dutournier avait fondé l’association Nationale du Pottok et créé avec les haras le livre de la race du petit cheval basque. Je me rappelle les avoir tous entraînés, à la fin des années 80, à la découverte d’une ferme d’équithérapie à Montpellier, concept nouveau pour l’époque, peut-être un peu trop pour certain « cadre » de l’association ! Parfois, Paul – qui était alors maire de Sare et président des maires du Labourd - nous rejoignait également au conseil de rédaction de Herria qui réunissait chaque mardi - pour déjeuner à Mouguerre -  les chanoines Pierre Lafitte et Etienne Salaberry, l'abbé Emile Larre et André Ospital, auxquels s'associaient encore à l’occasion d'éminentes personnalités du monde linguistique ou historique, tels les professeurs Haritschelhar et Allières… Il avait également « restauré » la tradition de la table des signatures des traités de faceries liant les communes transfrontalières de part et d’autre de la Rhune.
Paul était particulièrement fier d’avoir reçu le « Tambour d’Or » donostiar en présence des premières autorités d’Euskadi : « c’est ma Légion d’Honneur », affirmait-il, avant de la recevoir également, en 1988. 
Churchill, séjournant à Urrugne à la fin de la guerre, était venu à Sare à l’invitation de Paul Dutournier à qui il aurait déclaré : « en somme, vous autres contrebandiers basques, vous êtes les précurseurs de l’Union européenne » ! C’était tout dire !

Alexandre de La Cerda

Rare photo de Paul Dutournier avec les chanoines Lafitte et Salaberry, et Eskutik (chroniqueur de pelote sur Radio Adour, et son épouse), lors d'une assemblée d'Eskualtzaleen Biltzarra : j'y avais présenté (en euskara) un rapport sur ma station Radio-Adour-Navarre)

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Sophie Bouyssou | 04/04/2020 18:29

Cher Alexandre, j'ai été très émue de vous voir célébrer Popaul Dutournier. Je l'ai souvent vu chez mes parents quand nous habitions Sare.

Truffaut | 05/04/2020 11:35

J'ai aussi beaucoup de souvenirs de jeunesse avec Paul Dutournier entre autres quand il fut au milieu des années 70 un grand soutien du Comité Ibaneta ( pour la commémoration de la victoire des basques à Roncevaux en 778) dont j'étais le Secrétaire et Eugène Goyhènéche le Président Thierry Truffaut

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