A l'occasion du 150e anniversaire de la naissance d’Edmond Rostand commémoré à Arnaga en cette fin de semaine pascale, il n'est pas inutile de rappeler que la tombe d’Edmond Rostand au cimetière Saint-Pierre à Marseille, laissée à l'abandon pendant un siècle, avait été réhabilitée et inaugurée il y a exactement un an grâce à Thomas Sertillanges. Cet amoureux d'Edmond Rostand qui étudie depuis plus de trente ans son œuvre, sa vie et sa famille aime à rappeler que « chaque soir, quelque part dans le monde, le rideau se lève sur Cyrano ». A l’origine d’un projet de « Musée Cyrano de Bergerac », Sertillanges avait récolté en trois ans 15 000 Euros de dons auprès de la Ville de Marseille, de grandes entreprises et de mécènes (entre autres, les Amis d’Arnaga) pour rénover la tombe de l'écrivain. Le précieux marbre de Carrare avait eu le temps de noircir depuis un siècle, et les noms des dix membres de la famille Rostand - le poète mais aussi Alexis Rostand, ancien maire de Marseille et président de la Chambre de commerce, ainsi qu’Eugène Rostand, ancien président de la Caisse d'Epargne -, étaient devenues illisibles, les racine de l’arbre voisin soulevaient une dalle et certaines pierres se détachaient du monument.
Le ciel était bas, des nuages menaçants s’entrechoquaient au son du grondement de tonnerre qui se rapprochait mais les impétueux éléments laissèrent cependant un répit à la belle cérémonie animée par la troupe de l’« Agence de Voyages Imaginaires » pour interpréter des extraits de Cyrano de Bergerac, de l’Aiglon et de Chantecler dont la célèbre ode au Soleil déclencha paradoxalement le déluge attendu.
Comment ne pas regretter l’absence de chers disparus – en particulier Pierre Espil - qui eussent été si heureux de voir le jeune Alexis Rostand, descendant d'Eugène Rostand, un oncle de l’écrivain, déposer un bouquet de fleurs aux pieds de la croix du monument ?
Autour de l’initiateur de cet événement, Thomas Sertillanges, de l’adjoint au maire de Marseille Maurice Rey et du jeune arrière-petit-neveu de l’homme de lettres, avaient ainsi pris place Alexandre de La Cerda, maître ès-Jeux de l’Académie des Jeux Floraux (comme Rostand) et administrateur des « Amis d’Arnaga et d’Edmond Rostand » qui ont participé financièrement à la restauration du monument ; Patrick Boulanger, de l’Académie de Marseille (dont Edmond Rostand fut lauréat dans sa jeunesse) représentait également la Chambre de Commerce qui eut naguère un Rostand à sa tête ; Anne-Claude Carta, présidente du Comité d’Intérêt de Quartier « Paradis-Rostand » qui s’implique dans l’organisation du 150e anniversaire de la naissance à Marseille d’Edmond Rostand et la commémoration du centenaire de sa disparition ; ainsi que les représentants de la mutuelle des artistes et de la Caisse d’épargne (présidée par Eugène Rostand fin XIXe/début XXe, et dont l’architecte – est-ce un hasard ? – était celui d’Arnaga, Albert Tournaire).
L’intervention d’Alexandre de La Cerda
On nous accuse, les Basques, d’avoir « capturé » Edmond Rostand » qui était venu se soigner chez nous… Mais nous avons donné à Marseille Mgr de Belzunce, votre célèbre archevêque – issu d’une antique famille bas-navarraise – dont un de vos cours porte le nom !
Et maintenant, je représente les Amis d’Arnaga et d’Edmond Rostand qui ont participé financièrement à la magnifique réhabilitation de sa tombe…
Mais, vous me pardonnerez d’abord ce souvenir personnel : mon premier vrai contact avec le théâtre date de 1963 ; j’avais alors treize ans, et ma grand-mère m’avait emmené au Châtelet pour la reprise de « L’Aiglon » avec Pierre Vaneck dans le rôle principal. Ancienne élève de l’Institut Smolny pour les jeunes filles de la noblesse russe à Saint-Pétersbourg, ma grand-mère se souvenait de la popularité dont jouissait Edmond Rostand dans son pays natal avant la révolution : à l’aube de son talent, la poétesse Marina Tsvetaeva n’avait-elle pas traduit « L’Aiglon » en 1909, à l’âge de 17 ans ? A Moscou, la façade du célèbre hôtel « Métropole » a gardé jusqu’à nos jours la mosaïque de Mikhaïl Vrubel « Princessa Gryoza » (ou la princesse des songes) réalisée d’après la fresque que le génial artiste de l’« Art Moderne » avait conçue pour la Foire internationale de Nijny Novgorod d’après « La Princesse lointaine », l’année même de la création de la pièce d’Edmond Rostand en 1895. Et six ans plus tard, au petit théâtre du château de Compiègne où ils étaient logés, n’avait-on pas déclamé devant Nicolas II et Alexandra le « Poème à sa Majesté l’Impératrice de Russie » écrit par Edmond Rostand ?
Bien plus tard, en feuilletant un recueil de l’Académie des Jeux Floraux au sein de laquelle je venais d’être élu, je m’aperçus qu’Edmond Rostand figurait depuis 1898 dans la liste des Maîtres ès-Jeux de l’Académie. En effet, le compte rendu de la séance du 3 mai 1898 révèle que l’Académie ayant jugé à propos d’octroyer des lettres de maîtrise à l’auteur, si justement applaudi et fêté, de « Cyrano de Bergerac », que Monsieur Edmond de Rostand les a acceptées avec reconnaissance sous la promesse de prendre, l’an prochain, une part active à la solennité du trois mai ». L’Académie des Jeux Floraux avait été fondée en 1323 par sept notables de Toulouse connus sous le nom « des 7 troubadours », qui instituèrent des « joutes » poétiques tous les 3 mai - date perpétuée à travers les siècles jusqu’à nos jours - où les plus beaux vers furent récompensés par une violette d'or. Les idéaux de « la plus ancienne société littéraire vivante du monde civilisé » correspondent ainsi merveilleusement à Jaufré Rudel, chevalier-poète de l’amour courtois que Rostand avait « modelé avec la cire de son âme », pour reprendre l’expression de Rosemonde Gérard.
Rêve poétique de l’Amour courtois et esprit chevaleresque que la plume d’Edmond Rostand imprimait naturellement à « la cire » de ses héros, de Jaufré Rudel à Cyrano. N’était-il pas dès sa jeunesse « pétri » de cet idéal inclus dans son étude « Deux romanciers de Provence : Honoré d’Urfé et Emile Zola » qui lui avait valu sa première récompense littéraire octroyée par l’Académie de Marseille ? Il y écrivait : « en cette Provence amoureuse de l’Amour (c’est chez elle qu’il a tenu des Cours célèbres), et qui aime tout ce qui en parle, où jadis, dans les manoirs seigneuriaux, on attendait impatiemment la venue chaque nouvel an, avec la saison des violettes, du Troubadour, ce romancier voyageur »…
Or, en fait de manoir seigneurial, ce n’est pas en Provence mais au Pays Basque que Rostand ira construire le sien – Arnaga - afin d’y soigner une santé fragile.
En 1902, le « Courrier de Bayonne » écrivait à propos du séjour d’Edmond Rostand à Cambo, que « l’auteur passait son temps uniquement en promenades. Sa santé est admirable, son rétablissement complet ». Une information reprise par la presse parisienne qui publiait des bulletins de santé comme s’il s’agissait d’un chef d’Etat. Des souverains ne lui câblaient-ils pas leurs vœux de rétablissement ? Dans la petite villégiature thermale basque que fréquenteraient quelques années plus tard Edouard VII d’Angleterre et Alphonse XIII d’Espagne, la présence du triomphant créateur de « Cyrano de Bergerac » et de « L’Aiglon » encore auréolé de son élection à l’Académie française, à l’âge de 33 ans, mettait le pays en émoi et le bureau de poste local s’enfiévrait de recevoir une quantité fantastique de courrier et d’interminables télégrammes de plusieurs centaines de mots signés Sarah Bernhardt ou d’Annunzio. Au milieu de toute cette agitation, et pendant qu’à Paris, l’Académie attendait impatiemment son discours de réception, le nouvel « immortel » répondait avec superbe ce qui pouvait constituer son « programme » et la raison de sa présence à Cambo, au Pays Basque :
« Ce que je fais, Monsieur ? Des courses dans les bois,
A travers des ronciers qui me griffent les manches ;
Le tour de mon jardin sous des arceaux de branches ;
Le tour de ma maison sur un balcon de bois.
Lorsque les piments verts m’ont donné soif, je bois
De l’eau fraîche en prenant la cruche par les hanches ;
J’écoute lorsque l’heure éteint les routes blanches,
Le soir plein d’angélus, de grelots et d’abois.
Ce que je fais ? Je fais quelquefois une lieue
Pour aller voir plus loin si la Nive est plus bleue ;
Je reviens par la berge… Et c’est tout, s’il fait beau !
S’il pleut, je tambourine à mes vitres des charges ;
Je lis, en crayonnant des choses dans les marges ;
Je rêve ou je travaille ».
Puisqu’il a été beaucoup question de Cyrano ce matin, je vous propose en guise de conclusion ce conseil que Rostand émit à l’intention des élèves du collège Stanislas, dont il fréquenta naguère la classe de rhétorique :
« Monsieur de Bergerac est mort. Je le regrette.
Ceux qui l’imiteraient seraient originaux.
C’est la grâce, aujourd’hui, qu’à tous je vous souhaite.
Voilà mon conseil de poète :
Soyez des petits Cyrano ».
ALC