(Photo de couverture : La Vierge et l'Enfant avec sainte Anne et donateurs par Benozzo Gozzoli, v.1470, Musée de Pise)
Comment imaginer et représenter Anne, la mère de Marie et grand mère de Jésus, autrement que sous la plume d'écrivain, du pinceau de l'artiste-peintre ou du couteau de graveur ?
Le Nouveau Testament et les Evangiles évoquent à peine sa figure, et le peu d'indications de sa mission auprès de sa fille laisse filer l'imaginaire à la recherche d'indices d'éducation que rien sinon quelques écrits apocryphes attribuent à cette femme priée en juillet selon le calendrier religieux.
Il y faut le génie du sculpteur pour contempler le chef-d'œuvre en bois polychrome réalisé au XVIème siècle par le Maître de Saint Benoît travaillant à Hildesheim en Allemagne. Anne et sa fille Marie assises portant un livre ouvert pour Anne, fermé pour Marie sur les genoux. Marie couronnée, Anne la tête voilée à l'orientale, dans des habits majestueux du siècle médiéval qui veut les représenter en tenue d'époque !
Que se disent la grand-mère et la mère de Jésus ?
Les mères disposant dans la famille juive traditionnelle d'une fonction unique dans l'éducation des enfants, et particulièrement des filles par leur lignée directe, la mémoire des origines se transmettait par voie orale.
Les anciens disposaient, ce parait être le cas, d'une capacité de rapporter les sources de la tradition de génération en génération, de la Torah, livre par excellence de l'histoire du peuple de l'Alliance.
Déchiffrer et commenter revenait à la mère pour sa fille, comme le père avait la même mission auprès de son fils dès son adolescence.
Toute jeune fille à cette époque étant appelée à la maternité dès ses quinze ou seize ans, le récit biblique concernant Marie la représente comme instruite (par sa mère) des choses de la foi au point de citer dans l'Ecriture les mots de la louange spontanée pour saluer sa propre cousine Elizabeth, Luc, 39,55 avec des mots bibliques de circonstance, conservés de génération en génération en imaginant combien se sont perdus au fil du temps !
Il reviendra naturellement à toute mère devenue grand-mère et toujours mère pour la première, seconde et désormais troisième fois en nos familles contemporaines, de reconnaître cette mission qui dépasse la posture de la simple filiation et se transforme en véritable vocation de la femme, de la mère et de toute ancienne dans la famille humaine.
Contempler cette sculpture allemande fascine par la rareté même de son inspiration.
A Rome, à la même époque, la Renaissance triomphe selon les historiens de l'art, avec les sculptures de Michel Ange (1475-1564).
Cette sculpture serait à rapprocher du gothique rhénan tardif, "dans l'archétype signifiant des figures et la convention des drapés creusés d' ombres profondes".
Et les historiens ajoutent, "on devine cependant des évolutions annonciatrices d'un nouveau style révélant faire l'économie du style Renaissance en passant au baroque" !
Chacun voit en effet dans cette sculpture une abondance de tissus et de toiles vestimentaires dignes d'une collection privée de maison de couture ?
Mais au delà du visuel apparent la plasticité acquise par deux femmes en valeur réelle et non seulement virtuelles, donne de la matière à l'humanité de leur origine.
Et nous rapprochent des nôtres !
Mère et Grand mère sont deux adultes qui se font face. Loin des clichés factices jadis de vierges fades et sans inspiration comme dans un temps moderne de femmes surfaites ou factices comme des clones de bandes dessinées !
Comment interpréter la précaution d'Anne de vouloir fixer l'attention de Marie sur les Ecritures ouvertes sur les genoux ?
Comment comprendre le Livre fermé sur les genoux de Marie, absente ou ailleurs ou conviée à une attention distraite de l'élève appelée à l'Ecriture et saisissant ce qu'elle en aura retenu.?
Le regard croisé entre ces deux mères en dit long sur le sens de ce que ce langage des yeux dit à l'observateur que nous sommes.
Le silence et la parole laissent place à la compréhension du Testament nouveau qui s'ouvre pour Anne et pour Marie. "Qu'il me soit fait selon ta parole, qu'en mon sein de Mère l'Ecriture s'accomplisse" comme cet Esprit incarné dans la Vie "Et Verbum caro factum est", ainsi attribué à Anne par les artistes des XIVème et XVIème siècles.
"L'Education de la Vierge" représentée par les peintres demeurait une source d'inspiration comme le serai encore aujourd'hui toute illustration imaginaire de créateurs contemporains voulant exprimer par l'image, le son, les couleurs de la vie , le cinéma, cette vocation surnaturelle de la Mère de Dieu incarnée comme en chacune de nos mères originelles !
Il y a quelques décennies le texte biblique fut source d'inspiration de majestueux films hollywoodiens.
Les sujets bibliques ou sociétaux modernes pourraient-ils s'en inspirer à nouveau ?
Seuls les professionnels peuvent appréhender ces thèmes contemporains. Ils ne manqueraient de saveur, de caractère et de difficulté à les aborder. Père, mère, enfance, éducation sont des laboratoires majeurs de l'apprentissage de la vie spirituelle de tous les temps.