Ce dimanche 12 septembre, alors qu’une liturgie sera célébrée à 10h30 à la Chapelle aux Icônes à Cambo, Saint-Pétersbourg accueillera les principales célébrations en l'honneur du 800ème anniversaire de la naissance du saint prince Alexandre Iaroslavovitch « Nevsky » : c’est le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie qui présidera dans la cathédrale de la Sainte-Trinité de la Laure qui porte le nom du saint un office solennel suivi d’une procession religieuse avec les reliques du prince, d’un dépôt de gerbes au monument du prince Alexandre Nevsky et de divers événements festifs : défilé d'une compagnie de la garde d'honneur et des cadets des écoles militaires de Saint-Pétersbourg, concert de groupes choraux, chanteurs, auteurs-compositeurs de chants sacrés, etc.
Dans l'église de l'Annonciation, où les reliques du prince avaient été transférées depuis la ville de Vladimir par décret de Pierre Ier, il est prévu d'inaugurer un buste d'Alexandre Nevsky. Une délégation de Belgrade, dirigée par le maire de la ville Zoran Radojicic, participera à la cérémonie : "Le même buste ornera la capitale de la Serbie, Belgrade, à l'automne. Notre prince russe est devenu un symbole d'unité et de solidarité pour l'ensemble du monde slave", a déclaré le gouverneur Alexander Beglov.
Le président russe Vladimir Poutine se rendra dans la région de Pskov afin d'y participer à la cérémonie d'inauguration du groupe mémorial "Prince Alexandre Nevski avec ses compagnons" : il s'agit d'une composition de 50 tonnes composée des figures d'Alexandre Nevsky et de ses chevaliers, au-dessus de laquelle ondoient des bannières avec les visages des saints.
Quant à notre région, les deux églises russes - celles de Pau et de Biarritz, cette dernière ayant été "kidnappée" par des éléments hostiles à la spiritualité et à la tradition russes - ne sont-elles pas consacrées (tout comme la cathédrale russe de la rue Daru à Paris) à Saint Alexandre Nevsky, mieux connu (par le célèbre film d’Eisenstein) pour sa clairvoyance politique et son courage militaire que pour ses réelles vertus de sainteté ?
C’était au temps où les Russes étaient pris dans un redoutable étau, entre les Tartares-Mongols à l’Est et la coalition germano-scandinave dirigée par les chevaliers teutoniques à l'Ouest. Or, ce XIIIe siècle n’avait-il pas son équivalent en Europe occidentale, avec Saint-Louis en France et Saint-Ferdinand en Castille ?
Comme dans tous les pays chrétiens, la sainteté a pris diverses formes. Ermites et moines, princes et évêques, simples laïcs ou « fols-en-Christ » ont chacun participé au progrès spirituel de leur temps. Cependant, aucun de ces saints n’a surgi « accidentellement ». Ils sont apparus à des moments précis où des événements dans l'histoire russe appelaient à un combat spirituel auquel ils avaient répondu en témoignant de leur amour pour Dieu et pour leur terre et ses habitants.
L’histoire avait débuté lors du baptême de la Russie en l'an 988 / voyez notre article dans « La Lettre » du 30 juillet :
https://www.baskulture.com/article/saint-wladimir-et-le-1033me-anniversaire-du-baptme-de-la-russie-4134
à travers des invasions et des guerres, et se poursuit jusqu’aux nouveaux martyrs et confesseurs de la Foi, dont certains ont souffert et sont morts de notre vivant, sous le régime communiste.
Il est d’ailleurs intéressant de voir que la Russie avait commencé à se libérer des chaînes de la dictature la plus terrible et la plus terrible sanguinaire, à notre connaissance, à l’occasion de la commémoration du millénaire de son baptême : 988 – 1988, presque conjointement à la célébration en France du millénaire capétien : 987 – 1987.
Je me souviens qu’à l’époque, le grand écrivain Wladimir Volkoff, hélas trop tôt disparu, notait à propos de la « sympathie entre la Russie et la France » affirmée par Châteaubriand qu’elle n’était pas seulement culturelle, mais aussi religieuse. « La fille aînée de l’Eglise et la fille cadette, malgré toutes les différences qui séparent Rome de Byzance, se sont signalées par le même engagement chrétien, et le culte marial, en particulier, semble s’être imposé aux Français et aux Russes dans la même tendresse et avec la même certitude ». Sans omettre, toujours selon Wladimir Volkoff, une source sacrée pour leurs premiers gouvernants respectifs : le roi de France et le tsar de Russie étaient, l’un et l’autre, sacrés au moyen d’un saint chrême, se reconnaissant tous les deux responsables devant le Roi des Rois, c’est-à-dire le Dieu des chrétiens.
Pour en revenir à la Russie qui s’était formée autour de Kiev et de Novgorod aux Xème et XIème siècles, et à propos d’Anne de Kiev, rappelons que l’épouse de Henri Ier était arrivée en France à une date charnière : elle devint reine de France avant l’année 1054, considérée comme celle du schisme. Cependant les rapports entre l’Orient et l’Occident continuèrent pratiquement sans changement jusqu’aux Croisades. En effet les légats du Pape furent triomphalement reçus à Kiev sur leur chemin de retour à Rome en rentrant de Constantinople.
Mais au XIIIème siècle, l’Eglise romaine entreprit une campagne contre Byzance, ce qui provoquera une rupture complète entre l’orthodoxie et le catholicisme.
C’est dans ce contexte de rupture que se situe la vie de Saint Alexandre Nevsky, descendant des premiers princes russes rurikides de Kiev et Novgorod.
Fils du prince Iaroslav II Vladimirski, Alexandre était né le 30 mai 1220 (ou 1221) à Pereslavl-Zalesski. Il devient prince de Novgorod (1236-1252) puis grand-prince de Vladimir (1252-1263).
Or, en ce XIIIème siècle, les Mongols conquirent la Chine sous la direction de Gengis-Khan . Son petit-fils Baty dirigea au début du XIIIe siècle son armée de cavaliers vers la Russie centrale, qu’il mit à feu et à sang. Les villes de Riazan, Vladimir, Kiev tombèrent tour à tour ; seules Novgorod et Pskov échappèrent au même sort, grâce aux forêts et aux marécages qui les bordaient au sud.
La Russie conquise et dévastée, Baty se dirigea vers l’Europe Centrale. Ayant pris Cracovie, il arriva jusqu’à la mer Adriatique. Ayant appris la victoire d’Alexandre Nevsky sur les armées occidentales, il décida de rebrousser chemin et de rentrer dans Saraï, la capitale de son nouvel empire (appelé ultérieurement « La Horde d’Or »), située sur l’embouchure de la Volga.
Ainsi, la religion orthodoxe semblait complètement détruite à l’exception des villes de Novgorod et Pskov. C’est alors que le Pape Grégoire IX ordonna au roi de Suède ainsi qu’aux chevaliers teutoniques d’attaquer Novgorod. Les Suédois se dirigèrent vers l’embouchure de la Neva en chantant des hymnes et en portant des croix. Et ils furent battus en 1240 par Alexandre, jeune prince de Novgorod. Cette victoire lui valut d’être universellement connu comme « Alexandre Nevsky ». Deux ans plus tard, il battit les chevaliers teutoniques sur les glaces du lac Peipus.
Il est intéressant de citer le brillant plaidoyer de l’actuel patriarche de Moscou, Cyrille, lors de la finale de l’émission « Imia Rossia » (« Un Nom pour la Russie »), un jeu télévisé original et passionnant qui avait tenu en haleine des dizaines de millions de téléspectateurs pendant plusieurs mois : il s’agissait pour les Russes d’élire la personnalité de leur histoire qui pouvait le mieux incarner leur patrie et lui servir de modèle à l’avenir … malgré les polémiques, la désignation d’Alexandre Newsky parmi les 500 personnalités proposées par l’Académie des Sciences de Russie demeura riche d’enseignements sur les aspirations de la Russie actuelle.
Voici l’analyse du patriarche Cyrille :
Alexandre Nevski était un grand stratège, celui qui avait pressenti les dangers pour la Russie - non les dangers politiques, mais les dangers pour sa civilisation. Il n'avait pas lutté contre des ennemis concrets, non contre l'Est ou l'Ouest, il avait lutté pour l'identité nationale, pour la prise de conscience nationale. Sans lui, il n'aurait pas existé de Russie, ni de Russes, ni de leur civilisation spécifique. Il était un homme politique, il défendait tout cela grâce à sa diplomatie fine et courageuse.
Il comprenait qu'il était impossible de faire face à la Horde. Car au XIIIème siècle, la Horde avait dévasté tout la Rus’ à deux reprises, atteint la chaîne des Carpates, la Slovaquie, s'était emparé de Cracovie, avait gagné la Hongrie, la Croatie et, ayant battu les Croates dans la région de Split, était arrivé sur la mer Adriatique. Et en même temps, elle s'était assujetti la Chine elle-même, et pénétrait jusqu'au Moyen-Orient. Une menace de domination mondiale. La Russie est anéantie à deux reprises. Faut-il une résistance militaire? Alexandre Nevsky fait face à tous les assauts de la Horde. Mais pourquoi ne pas relancer la lutte contre la Horde? Oui, la Horde avait envahi la Russie, mais les Tatars-Mongols n'avaient pas affaire à notre âme ou à notre esprit. Les Tatars-Mongols réclamaient nos poches et ils les vidaient, mais ils n'usurpaient point notre identité nationale. Ils n'étaient pas en mesure de briser notre code de civilisation.
Mais quand l'Occident s'est mis à menacer son pays, quand les chevaliers teutoniques couverts d'armure se rendirent en Russie, là Alexandre Newsky n’accepta pas de compromis.
Quand le Pape écrivit à Alexandre en essayant de l’attirer de son côté, Alexandre répondit "Non". Il y voyait une menace pour la civilisation. Il répondit à ces chevaliers en armure sur le lac Peïpous et il les vainquit, de même que, grâce à Dieu, il avait battu avec sa petite armée les soldats suédois, qui s’étaient avancés dans la Neva. Il se trouvait devant le dilemme suivant : soit payer de l'argent, soit devenir asservi spirituellement. Et il a payé de l'argent car il comprenait que ce n'était pas très grave - une Russie devenue forte pourrait se faire rembourser son argent. Mais il était autrement plus important de préserver son âme, l'identité nationale, la volonté nationale. Pour se relever de ces ruines, il fallait rassembler ses forces. Si on ne les avait pas rassemblées, si on n'avait pas pacifié la Horde, si on n'avait pas arrêté les chevaliers lettons - où en serait la Russie ? Elle n'aurait plus existé !
Alexandre Nevsky était d'une part, un chef d'Etat, d'autre part, un fin décideur et, bien sûr, un philosophe.
Et comment tout cela avait-il commencé ? Le cauchemar – une armée qui dépassait plusieurs fois les effectifs d'Alexandre. La résistance était-elle possible? Après avoir prié à la cathédrale Sainte-Sophie de Novgorod, en sortant de l'église, il s’adressa ainsi à ses hommes : « Dieu n'est pas dans la force, mais dans la vérité. Ceux-ci viennent sur leurs chars, ceux-là sur leurs chevaux ; et nous invoquons le nom de notre Dieu ».
On peut imaginer la puissance de ces paroles : penseur, philosophe, stratège, guerrier, il fut le héros épique. Il avait vingt ans lors de sa victoire sur les Suédois. C'était un héros épique - un beau jeune homme, dont on dit : « Beau comme Joseph le patriarche, sage comme Salomon, audacieux comme l'empereur Vespasien, fort comme Samson ». Et en plus de l'aspect physique de cet homme qui constituera un « visage » pour la Russie, et en dehors de ses qualités d’homme politique, de décideur et de stratège, il étaitt devenu un saint.
Il constitue notre espoir, parce que même aujourd'hui, nous avons besoin de ce à quoi œuvrait Alexandre Nevsky.
Alexandre Nevsky défendit encore longtemps les chrétiens russes contre l’oppression tartare. Epuisé par les voyages et par la maladie, il mourut le 14 novembre 1263 dans la petite ville de Gorodets, au retour de sa dernière expédition à Sarai, la ville dont dépendait Novgorod depuis la fragmentation de la Horde d'Or.
À sa mort, un culte local lui sera voué, sa vie, rédigée, et il sera canonisé le 26 février 1547. Le 30 août 1724, l'empereur Pierre le Grand fit transférer ses reliques de Vladimir à Saint-Pétersbourg dans la laure récemment construite dans la nouvelle capitale de l’Empire russe.