A Bayonne comme dans d’autres villes et villages de France et de Navarre, le 14 juillet sera « commémoré » par des feux d’artifice, des bals et diverses festivités. L’occasion de rappeler quelques événements historiques « incontournables » d'un 14 juillet « ambigu », selon qu’il se rapporte à l’année 1789 ou à 1790.
Or, même si officiellement, c'est le 14 juillet 1790 - la Fête de la Fédération, moment fugitif et illusoire d’« union nationale » - que l'on célèbre (avec, chaque année, près d’un millier de voitures brûlées), le télescopage des deux dates prête très souvent à confusion.
Voici d'abord ce qu'on lit, non point sur quelque blog "extrémiste" ou "complotiste"... mais sur le site officiel de la présidence de la république : https://www.elysee.fr/la-presidence/la-fete-nationale-du-14-juillet
« L'imagination populaire s’est emparée de la Bastille, dont elle fait volontiers un redoutable symbole d’absolutisme royal et d’arbitraire en matière de justice, plein des gémissements d’innombrables prisonniers s’étiolant sans libération possible à l’ombre de murs impénétrables. En réalité cette forteresse construite par le roi Charles V pour défendre la porte Saint-Antoine, un temps utilisée comme prison, avait progressivement perdu son importance au cours du XVIIIe siècle. Lors de l'ouverture de la forteresse conquise ou simplement remise suite à la reddition de sa garnison, le peuple de Paris n'y trouva que sept prisonniers, dont quatre faussaires. Vers cinq heures, la garnison de la Bastille se rend sur la promesse d'être bien traitée. La foule déferle dans la Bastille, y saisit la poudre qu'elle était venue chercher, pille les archives et libère quelques prisonniers. Le bilan des morts de la journée s’élève à une centaine de Parisiens. La garnison est emprisonnée, le gouverneur Launay tué, sa tête tranchée au canif par un jeune boucher. Le prévôt des marchands Jacques de Flesselles, dont la fonction se rapproche de celle d’un maire de Paris moderne, est lui aussi assassiné pour traîtrise. Leurs deux têtes sont plantées sur des piques et promenées dans Paris jusqu'au Palais Royal. »
Il convient également de rappeler que lors des quatre mois qui précédèrent l'épisode de la Bastille, la France fut livrée à des centaines d'émeutes, depuis Nantes où le 9 janvier 1789, l’Hôtel de Ville avait été envahi et les boutiques des boulangers pillées, jusqu'en Picardie où des bandes armées envahissaient les villages, emportant le blé et pillant les maisons de fond en comble. Les environs immédiats de Paris étaient plongés dans la terreur par des bandes de vagabonds armés comptant trois, quatre, cinq cents hommes - appelés « brigands » dans les documents - qui pillaient les villages et saccageaient les récoltes : une "anarchie spontanée" comme la qualifiera Taine, qui s'accentuera à mesure que l’on approchait du 14 juillet 1789...
Comme je l'indiquais dans mon ouvrage "La déportation des Basques sous la Terreur" (édité chez Cairn), sous beaucoup de rapports, le gouvernement des dernières années de l’Ancien Régime présente de frappantes analogies avec les errements qui continuent de saper actuellement la Ve République : multiplicité d’impôts, lenteurs de la justice, instabilité et enflure des budgets, paralysie des affaires résultant de textes légaux qui s’enchevêtraient copieusement dans la confusion.
Viendra le délire suscité par la croyance en une « humanité régénérée » qui provoquera, selon une formule chimique explosive, un « précipité » auquel ne s’opposera, du moins en ce moment crucial, aucune « élite énergique et judicieuse », découragée à l’avance par un exécutif chancelant et un souverain qui, au nom des principes humanitaires en usage, répugnait à la moindre violence.
Les « gens instruits » avaient l’esprit embrumé des chimères enseignées dans les Loges: républiques d’une Antiquité idéalisée, Contrat social et Encyclopédie. Rousseau faisant naître « l’homme naturellement bon », on donna libre cours aux « citoyens », « patriotes » et autres activistes autoproclamés formant un « peuple » et une « nation » d’une substance évolutive et aux contours indéfinis… Les pouvoirs légitimes « qui n’étaient plus en pleine vigueur » laissèrent ainsi le champ libre aux aventuriers, bandits et terroristes de la pire espèce, véritables acteurs des émeutes dont on justifiera les crimes au nom d’une volonté populaire en réalité inexistante (sinon manipulée par les « sociétés de pensée » comme l’a magistralement démontré Augustin Cochin), avant d’en faire des « valeurs républicaines » encore en usage de nos jours !
Des récoltes déficientes faisant craindre un début de famine précipitèrent les émeutiers à l’assaut des boulangeries et d’endroits fortifiés - à l’occasion des châteaux - où l’on pensait trouver des entrepôts de blé et de farine. Et l’on eut tôt fait de traiter d’« accapareurs » des marchands prévoyants ou des autorités soucieuses d’organiser un légitime approvisionnement.
Pillages et vandalisme systématiques
Dès les premières semaines de mai 1789, près de Villejuif, une troupe de cinq à six cents vagabonds veut forcer Bicêtre et s’approche de Saint-Cloud. Il en vient de trente, quarante, cinquante lieues ; tout cela flotte autour de Paris et s’y engouffre comme dans un égout.
Pendant les derniers jours d’avril, les commis voient entrer par les barrières « un nombre effrayant d’hommes mal vêtus et d’une figure sinistre ».
Dès les premiers jours de mai, on remarque que l’aspect de la foule, a changé. Il s’y mêle « une quantité d’étrangers venus de tous les pays, la plupart déguenillés, armés de grands bâtons et dont le seul aspect annonçait ce qu’on en doit craindre ». On rencontrait, dit un contemporain, des physionomies « comme on ne se souvenait pas en avoir vu on plein jour ».
Pour occuper une partie de ces sinistres sans-travail dont la présence inquiétait tout le monde, on forma, à Montmartre, des ateliers, où dix-sept à dix-huit mille hommes furent employés à des travaux "de fantaisie" moyennant vingt sous par jour.
Mais cela n'empêcha guère d'agresser et de vandaliser les ateliers de deux manufacturiers, le salpêtrier Dominique Henriot et le fabricant de papiers peints Réveillon, pourtant connus pour leur engagement en faveur de leurs ouvriers : dans la nuit du 27 avril 1789 et la journée du 28, des bandes hurlantes envahirent les maisons de Réveillon et de Henriot, qui furent mises à sac.
Partout, on constate une dévastation sauvage et systématique : il ne reste que les murailles, ce qui n’a pas été volé a été mis en mille pièces. Les « brigands », c’est l’expression du commissaire, jetèrent une partie du mobilier par les fenêtres, dans la rue, où ils en firent des feux de joie. « Une partie de la horde était ivre ; elle ne s’en précipita pas moins dans les caves, où les tonneaux furent défoncés. Quand tonneaux et bouteilles furent vides, les émeutiers s’attaquèrent aux flacons contenant les drogues de teinture ; ils en absorbèrent à grands traits et roulèrent, dans des contorsions atroces, empoisonnés.
Quand on pénétra le lendemain dans ces caves, elles offraient un horrible coup d’œil, car les misérables en étaient arrivés à se prendre de querelle, et à s’égorger entre eux ».
Les agitateurs
Pendant ce temps, Camille Desmoulins haranguait désœuvrés et vandales dans les jardins du Palais Royal, et ses incitations à l'émeute redoublèrent lors du renvoi du ministre Necker le 11 juillet : « Je venais de sonder le peuple. Ma colère contre les despotes était tournée en désespoir. Je ne voyais pas les groupes, quoique vivement émus et consternés, assez disposés au soulèvement…. Je fus plutôt porté sur la table que je n’y montai. À peine y étais-je, que je me vis entouré d’une foule immense. Voici ma courte harangue que je n’oublierai jamais : « Citoyens ! Il n’y a pas un moment à perdre. J’arrive de Versailles ; M. Necker est renvoyé : ce renvoi est le tocsin d’une Saint-Barthélemy de patriotes : ce soir tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ de Mars pour nous égorger. Il ne nous teste qu’une ressource, c’est de courir aux armes ! »
Ce fut le contraire des menaces agitées par Camille Desmoulins qui arriva : le 13 juillet, tandis que les troupes se retiraient et les habitants se réfugiaient chez eux, les « brigands » armés de piques et de bâtons parcouraient les rues, menaçaient leurs maisons et livraient au pillage les boutiques des boulangers et des marchands de vin. Des filles arrachaient les boucles d’oreille des passantes ; si la boucle résistait, l’oreille était déchirée. L’hôtel du lieutenant de police fut saccagé par des bandes armées de torches et de bâtons.
Une bande enfonça à coups de hache la porte des Lazaristes, brisant la bibliothèque, les armoires, les tableaux, les fenêtres, le cabinet de physique, se précipitant dans la cave, défonçant les tonneaux pour se soûler : vingt-quatre heures après, on y trouva une trentaine de morts et de mourants, hommes et femmes, dont une enceinte de neuf mois. Devant la maison, la rue était pleine de débris et de brigands qui tenaient, les uns des comestibles, les autres un broc, forçant les passants a boire et versant à tout venant. S'étant emparés des habits sacerdotaux, certains émeutiers les avaient revêtus et, sous cet accoutrement, criaient et gesticulaient dans la rue.
Et le matin du 14 juillet, tant les brigands et autres émeutiers, que les habitants pour se protéger des vandales, se précipitèrent d'abord aux Invalides (où la foule enleva 28.000 fusils et 24 canons) afin de se procurer des armes de défense pour les uns, ou de retrouver les moyens d’attaque et de pillage pour les autres... Avant de se retourner vers la Bastille où étaient déposées d’autres munitions de guerre !
Et pour mieux décourager les quelques défenseurs de la Bastille sous la direction de l'hésitant M. de Launay, les assiégeants imaginèrent de capturer Mlle de Monsigny, la fille du capitaine de la compagnie d’invalides de la Bastille, qu'ils traînèrent sur le bord des fosses, et, par gestes, firent comprendre à la garnison qu’ils allaient la brûler vive si la place ne se rendait : ils avaient renversé la malheureuse enfant, évanouie, sur une paillasse, à laquelle, déjà, ils avaient mis le feu. Voyant le spectacle du haut des tours, son père, Monsigny, voulut se précipiter vers son enfant et sera tué par deux coups de feu. Un soldat s’interposa cependant avec courage et parvint à sauver la jeune fille.
Finalement, contre la promesse des émeutiers pour lui et ses soldats d'avoir la vie sauve, M. de Launay livra la Bastille... et fut aussitôt massacré de la pire manière : ses bourreaux lui séparèrent la tête du tronc, peu à peu, à coups de canif. L’opération fut effectuée par un garçon cuisinier nommé Desnot « qui savait, comme il le dit ensuite avec orgueil, travailler les viandes ».
Les invalides Asselin et Béquart furent pendus, l’aide-major Miray, le lieutenant des invalides Person et l’invalide Dumont furent massacrés, tout comme le prévôt des marchands Flesselles, sur les degrés de l’Hôtel de Ville.
Dans ses mémoires, l'écrivain (fils de laboureurs) Rétif de la Bretonne évoque un "sinistre défilé : je sors vers les trois heures et demie, écrit , et je m’avance du côté du pont Notre-Dame, lorsque j’aperçois devant moi une foule tumultueuse… O spectacle d’horreur ! ce sont deux têtes que je vois au bout d’une pique ! La tête de Flesselles, défigurée par le coup de pistolet qui venait de terminer sa vie, roulait avec les flots de la Seine. C’était Launey et son major que je voyais outrager.
Après avoir passé l’arcade de l’Hôtel de Ville, je rencontre des cannibales ; l’un, je l’ai vu, réalisait un horrible mot, prononcé depuis ; il portait au bout d’un taille-cime (instrument à deux lames destiné à tailler la vigne ou d'autres végétaux, ndlr) les viscères sanglants d’une victime de la fureur, et cet horrible bouquet ne faisait frémir personne.
Plus loin je rencontre les invalides et les Suisses prisonniers : de jeunes et jolies bouches, j’en frémis encore, criaient : « Pendez, pendez ! »
De l’un des cadavres on avait arraché le cœur, que la troupe rieuse se passait de main en main...»
Au Palais-Royal, deux des émeutiers s’étaient joyeusement mis à table pour dîner à un entresol en ayant placé une tête coupée et des entrailles sanglantes sur la table. D’en bas la foule les leur réclama et, Hop ! attrape ! — ils les lancèrent gaiement par la fenêtre !
Une scène de cannibalisme se déroula également en Normandie peu de temps après la Bastille, je la relate dans mon livre (cité plus haut) sur la déportation des Basques : il s'agit de l'assassinat du jeune officier bas-navarrais Henri de Belzunce, fils du bailli du Pays de Mixe/Amikuze, alors nommé à Caen, qui fut victime le 12 août 1789, sur la foi d’une provocation, d’une meute hurlante de voyous et de femmes en fureur qui le couvrirent d’insultes et le frappèrent, avant de tomber, atteint d’une douzaine de balles.
Mais ce n’était pas assez : on continua de tirer sur son corps inerte, dont on découpa la tête afin de la promener au bout d’une pique, une jambe qui atterrira dans un tombereau, et divers « morceaux » qu’un apothicaire placera dans un bocal d’alcool. De « dignes citoyens » continueront de s’acharner sur le corps de Belsunce pour ouvrir sa poitrine et en arracher le cœur qu’une furie aurait mangé, selon ce que relatera dans ses mémoires le futur général Dumouriez.
Et il n’y eut pas jusqu’à un paysan sans doute aviné qui n’apportât à un cabaretier un petit morceau de la chair du supplicié pour la lui faire cuire… Mais le tenancier de la gargote, mis au courant, chassa le cannibale qui se réfugia chez une certaine « dame Laforge où il put consommer son atroce rôti – à moitié cru – en l’arrosant d’une chopine de cidre », comme il ressort des interrogatoires des coupables.
Pour en revenir au 14 juillet 1789, ce sont des têtes qu’on promenait au bout des piques et dès cet épisode, la Terreur sera en gestation, la culture politique conduisant à la Terreur étant présente dans la révolution française dès l'été 1789, lors de la reddition de la Bastille qui inaugure le spectacle sanguinaire désormais inséparable de tous les grands épisodes révolutionnaires.
En fait, comme le relatent tous les témoins de ces horreurs criminelles, il n'y a jamais eu « prise » de la Bastille le 14 juillet 1789, mais la perfidie d'une poignée d'émeutiers sanguinaires, brutes avinées, assassins et terroristes dans l'âme, lesquels, après avoir promis liberté et vie sauve aux quelques dizaines d'hommes présents dans le lieu n'eurent rien de plus pressé que de les massacrer, de couper leurs têtes et de les promener dans les rues au bout de piques (de la Bastille, ne seront extraits que quatre faussaires, un libertin et deux fous, discrètement conduits, dès le lendemain, à Charenton).
Ainsi, la « glorieuse » tradition républicaine et notre actuel Système, héritiers de la Révolution "débutèrent" l’histoire de notre pays en 1789 ; la Révolution détruisit allègrement entre le quart et le tiers de notre patrimoine, un crime imprescriptible autant contre l'Art qu’envers l'Humanité, car la cruelle déportation des Basques suivra en février 1794. Auparavant, « la république n’ayant besoin ni de savant ni de poète », elle décapita le poète André Chénier et le chimiste Lavoisier...
Le mathématicien et astronome Jean Sylvain Bailly, premier maire de la Commune de Paris nommé le 15 juillet 1789 (précisément après l'assassinat du prévôt des marchands Flesselles), n’avait-il pas, lui aussi, été décapité en novembre 1793 pour n’avoir pas témoigné « dans le sens citoyen prescrit » lors du procès de Marie-Antoinette ?