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Portrait
Vingt ans sans Pierre Espil, le bouvreuil de la montagne basque
Vingt ans sans Pierre Espil, le bouvreuil de la montagne basque

| Alexandre de La Cerda 1520 mots

Vingt ans sans Pierre Espil, le bouvreuil de la montagne basque

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Pierre Espil présente le palmarès du Prix des Trois Couronnes ©
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Poète et critique dont la plume légère et talentueuse a maintes fois embelli l’œuvre des créateurs, Pierre Espil a durablement marqué un siècle en étant le témoin et l'acteur privilégié d'un incomparable foisonnement littéraire et artistique. 

Depuis le caveau familial auprès de l’église d'Ayherre où il repose depuis sa disparition le 17 septembre 2000, par-delà l'antique et solide stèle de grès qui affirme pour la postérité « Espil diren azken egoïtzak » (ce sont les dernières demeures d'Espil), le poète contemplera la belle maison-souche familiale où naquirent son grand-père et sa mère tant adorée (à qui il dédia à l’adolescence un de ses premiers poèmes). Et son âme libérée s'évade à nouveau sur les flancs de la proche montagne :
"Ursuya, c'est toi ma jeunesse ;
Ursuya, c'est toi mon pays,
Ma poésie et ma tristesse
Et tout ce que je n'ai pas dit..."

Sous le signe de Jammes

Jeune Basque sensible et bucolique, Pierre Espil avait éprouvé l'incomparable bonheur de trouver pour maître Francis Jammes, que la Providence avait conduit à Hasparren "avec son troupeau d'enfants", en particulier son fils Paul Jammes, rencontré au collège et qui introduira son ami auprès de son père. L'adolescence se passa dès lors à parcourir les sentes de "la petite montagne à l'ombre balsamique et bleue, au profil de velours", en compagnie de son mentor en poésie,
"... grand promeneur, joyeux et jamais las,
Avec son béret basque et sa cape de bure,
Qui se désaltérait aux sources d'Ursuya
Et qui mangeait des mûres..."
Le chantre original et pittoresque des "Géorgiques chrétiennes"
"Qui semblait un Burgrave à la barbe fleurie 
Et dont les yeux savaient être si pétillants
De charmante ironie..." 
ne manqua pas de lui transmettre, sous l'apparence du plus classique des alexandrins, une leçon poétique de simplicité savoureuse,
"... le geste habituel
De votre main, si pâle à présent sur la toile,
Volant sur les feuillets dont vous faisiez un ciel,
En y jetant quelques étoiles."

Cet éden artistique et littéraire était également peuplé des œuvres d'Anna de Noailles, surnommée perfidement "l'abeille" par Jammes ; Pierre Espil racontait, non sans quelque malice, comment la lyrique comtesse s'en était vengée, par un bon mot aux dépens d'un recueil dont la parution avait suivi la "conversion" du patriarche d'Hasparren : "j'aimais bien sa rosée, mais j'aime moins son eau bénite !" Les deux poètes tombèrent cependant dans les bras l'un de l'autre lors de la visite d'Anna de Noailles à Eyhartzia où, dans le salon provincial et vieillot, on lui offrit "un goûter très Clara d'Ellébeuse : sirops, confitures, orangeades, avec une tarte à la frangipane aussi large qu'une roue de voiture."

Associons-y encore le souvenir de Cocteau, accomplissant ses fredaines dans le "Versailles basque" des Rostand et, plus tard, animant le "Festival du film maudit" à Biarritz, avec Pierre d'Arcangues et Graham Green ; sans omettre ceux de Pierre Benoît, d'André Lichtenberger et de Paul Gadenne, le romancier des "Hauts-Quartiers" et de "L'Invitation chez les Stirl", avec qui Pierre Espil partageait volontiers quelques loisirs à la terrasse du "Royalty". Quant à Tristan Derème, il considérait que "l'art divin de la poésie, loin d'être hermétique, se révélait comme la chose la plus commune et la plus précieuse du monde, tout de même que l'air que nous respirons." 

A l'ombre de Rostand

Le même air avait-il poussé une jeune basquaise d'Hasparren à se rendre dans la ville voisine de Cambo, par une belle journée de ce XXème siècle commençant, "pour porter des roses de son jardin au poète qui faisait alors vibrer et rêver toute la France : Edmond Rostand. Touché, celui-ci retint pour le thé sa jeune admiratrice. Et comme elle avait une voix de rossignol, elle chanta, chanta tout un après-midi, pour lui et pour les siens, des chansons basques en s'accompagnant elle-même sur le piano à queue offert par Massenet en cadeau de noce à Rosemonde Gérard..."

Cette "basquaise mélodieuse" était la mère de Pierre Espil, qui saura, plus tard, si bien éveiller la sensibilité de son fils à la poésie d'Edmond Rostand. Le jeune Haspandar eut dès lors l'occasion de fréquenter la famille du grand écrivain, particulièrement Madame Rostand ainsi que ses fils Maurice et Jean. Mais également Paul Faure, son grand confident et, parmi d'autres amis de l'auteur de l'Aiglon, le poète provençal Emile Ripert, Albert Bauzil, le chantre de l'Occitanie, dont on ignore souvent qu'il lança Charles Trenet à ses débuts...
Dans son dernier livre qu'il consacra à Edmond Rostand, Pierre Espil saura d'ailleurs admirablement faire revivre l'époque, "remettant les pendules à l'heure et les maîtresses à leur place !"

Romancier et critique

Mais ses premiers poèmes, "Clarines sur l'Ursuya", Pierre Espil les avait dédiés - ou plutôt "restitués", comme il se plut à l’écrire - à sa mère, "dont le charme et la voix reflétaient le ciel et l'âme basques" !

Car, immergé en quelque sorte dans ce halo littéraire qu'irradiaient les réceptions de Madame Espil, voisine des Jammes, leur lumière l'enveloppa et lui fit littéralement chausser des "sandales de vent", celles de François de Xavier ou d'autres saints dont il raconta les merveilleuses et grandes gestes pour l'enfance, ainsi que les "Pages de la Madone", histoire des apparitions de Fatima.
Peut-être la dédicace par le célèbre Père Lhande d'un de ses livres au jeune Pierre, qui venait de lui réciter un poème, fut-elle prémonitoire ?
Mais d'autres héros inspirèrent également Pierre Espil, "Les voyages de Chérubin", ou plutôt l'enfance de Mozart, ainsi que la destinée de notre grand barde souletin Etxahun, dont le récit sans fard lui valut même quelques critiques de la part d'un Pierre Lafitte d'ordinaire plus "libéral"... 

Poète dont la science incontestable de la versification ne prévalut jamais sur le fond, romancier, auteur de théâtre à la carrière d'acteur contrariée, Pierre Espil exerça également ses talents dans les colonnes du quotidien "Sud-Ouest" ; bien que la critique y eût parfois percé sous la louange, ces chroniques artistiques qui lui firent inlassablement - jusqu'à la fin de sa vie - sillonner toute la région en autobus ou en train, ont contribué au lancment de nombreuses galeries et "propulsé" plus d'un artiste.

Les couronnes du poète

Titulaire de plusieurs décorations et lauréat de nombreux prix littéraires, dont un de l'Académie française, il se dépensa sans compter pour celui des Trois Couronnes.
En "connivence de plume" avec l'ancien sous-préfet de Bayonne, Pierre Daguerre, qui avait déjà esquissé ses "Croquis au pied des monts" et brossé le "Roman d'une Infante", et avec le préfet Gabriel Delaunay - qui affirmait volontiers que ces amitiés littéraires étaient de "celles qui lui tenaient le plus à coeur", Pierre Espil réunit ainsi pendant quarante ans le monde des Lettres pour "remarquer les différents talents s'intéressant à notre région". Je fus du nombre...
C'était à l'heure où des inquiétudes littéraires et une éloquence fleurie embrassaient encore l'esprit de quelques grands commis de l'Etat qui, nonobstant les devoirs de leur charge, "laissaient faire" aux muses. Louis Ducla, fondateur de l'Académie Pyrénéenne que dirigera plus tard Michel Fabre de Beauchamp, et la princesse Galitzine, personnalité bien connue dans le monde biarrot, les avaient alors rejoints. Sentant son heure venir, Pierre me demanda d’être son continuateur.

Infatigable, Pierre Espil y ajoutait encore ses activités au sein de l'Académie des Lettres pyrénéennes, de l'association régionaliste du Béarn et du Pays Basque, de l'Union Bayonnaise des Arts, des Poètes de l'Adour et de l'Académie des Jeux Floraux dont il était, depuis 1979, maître ès-Jeux.

Dans cette "lumière, ambrée ainsi qu'un raisin mûr, cette douceur de miel enveloppant l'espace d'un automne qui, chez nous, est un autre printemps", le poète "qui a fait sonner son coeur ainsi qu'une clarine" s'en était allé...
A l'image de la belle définition du rôle de l'écrivain qu'il appliquait à André Lichtenberger, Pierre Espil n'avait jamais manqué de "peupler l'âme de l'homme, de l'enfance jusqu'au déclin, des visions qui l'aident à vivre et à mourir"

Cher Pierre Espil, vous qui avez pris fait et cause pour défendre Anna de Noailles, injustement oubliée, et combien d'autres, souffrez qu'à notre tour, comme en cette rêverie que vous écrivîtes au portail du Palais, au sortilège des couchants mélancoliques, nous n'ayons pour nous bercer au long du siècle amer, que la voix d'un poète et le chant de la mer...

PS : En dehors de tous nos nombreux échanges littéraires, des préfaces qu’il me fit l’honneur d’écrire pour quelques-uns de mes livres et ses critiques élogieuses dans le quotidien régional en faveur de mes ouvrages, je retiendrai particulièrement ce dîner des mensuels « Mardis de l'histoire » que je lui avais consacré en mai 1998 au Casino Municipal dont le chef, après notre colloque et la séance de dédicaces, avait apprêté un dîner à la manière de Rosemonde Gérard, l’épouse de Rostand et maîtresse de maison à Arnaga : salade "sauvageonne" au champignons citronnés, comme "lors des courses (avec ses deux fils) dans les bois, à travers les ronciers qui leur griffaient les manches"; crevette et saumon en julienne de légume, de la "teinte d'écaille jaspée" des sentiers qui descendaient jusqu'à "l'eau charmante de la Nive"; et soufflé glacé à l'Izarra, à la saveur du "soir plein d'angélus, de grelots et d'abois"... 

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Photo dédicacée de Maurice Rostand "à son cher Pierre Espil" ©
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Pierre Espil, "Méditation dans la cathédrale de Bayonne" pendant la guerre, octobre 1939 ©
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Dédicaces de Pierre Espil aux "Mardis de l'Histoire" du Casino de Biarritz, mai 1998 ©
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Répondre à () :

Mathieu ortlieb | 11/12/2020 15:42

Je vous propose de visionner un film que j'ai réalisé il ya quelques années déjà sur Pierre Espil. https://www.youtube.com/watch?v=DgKf02_h7n4&t=325s

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