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Poésie
Urrugne : "L'horloge" de Théophile Gautier
Urrugne : "L'horloge" de Théophile Gautier

| ALC 858 mots

Urrugne : "L'horloge" de Théophile Gautier

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Le cadran solaire de l’église Saint-Vincent d’Urrugne ©
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Théophile Gautier (1811 - 1872) relatait dans "La Gazette nationale ou Le Moniteur universel" du 29 septembre 1856 son voyage dans notre région :
"Quand on est à Bayonne et que l'on voit se découper à l'horizon la crête bleuâtre des Pyrénées, on se dit : 
-  l’Espagne est là derrière ; en quelques tours de roues nous y serions ! (...) Lorsqu’une large calèche, attelée de trois chevaux, nous emportait, nous et nos compagnons, sur la route d’Irun. 
Nous avons revu en passant l'église d'Urrugne et l'inscription mélancolique de son cadran "Vulnerant omnes, ultima necat," qui nous avait inspiré, il y a bien des années déjà, une pièce de vers où la funèbre pensée était commentée à notre façon :

Vulnerant omnes, ultima necat.

La voiture fit halte à l'église d'Urrugne,
Nom rauque, dont le son à la rime répugne,
Mais qui n'en est pas moins un village charmant,
Sur un sol montueux perché bizarrement.
C'est un bâtiment pauvre, en grosses pierres grises,
Sans archanges sculptés, sans nervures ni frises,
Qui n'a pour ornement que le fer de sa croix,
Une horloge rustique et son cadran de bois,
Dont les chiffres romains, épongés par la pluie,
Ont coulé sur le fond que nul pinceau n'essuie.
Mais sur l'humble cadran regardé par hasard,
Comme les mots de flamme aux murs de Balthazar,
Comme l'inscription de la porte maudite,
En caractères noirs une phrase est écrite ;
Quatre mots solennels, quatre mots de latin,
Où tout homme en passant peut lire son destin :
" Chaque heure fait sa plaie et la dernière achève ! "

Oui, c'est bien vrai, la vie est un combat sans trêve,
Un combat inégal contre un lutteur caché,
Qui d'aucun de nos coups ne peut être touché ;
Et dans nos coeurs criblés, comme dans une cible,
Tremblent les traits lancés par l'archer invisible.
Nous sommes condamnés, nous devons tous périr ;
Naître, c'est seulement commencer à mourir,
Et l'enfant, hier encor chérubin chez les anges,
Par le ver du linceul est piqué sous ses langes.
Le disque de l'horloge est le chant du combat,
Où la mort de sa faux par milliers nous abat ;
La Mort, rude jouteur qui suffit pour défendre
L'éternité de Dieu, qu'on voudrait bien lui prendre.
Sur le grand cheval pâle, entrevu par saint Jean,
Les Heures, sans repos, parcourent le cadran ;
Comme ces inconnus des chants du Moyen Age,
Leurs casques sont fermés sur leur sombre visage,
Et leurs armes d'acier deviennent tour à tour
Noires comme la nuit, blanches comme le jour.
Chaque soeur à l'appel de la cloche s'élance,
Prend aussitôt l'aiguille ouvrée en fer de lance,
Et toutes, sans pitié, nous piquent en passant,
Pour nous tirer du coeur une perle de sang,
Jusqu'au jour d'épouvante où paraît la dernière
Avec le sablier et la noire bannière ;
Celle qu'on n'attend pas, celle qui vient toujours,
Et qui se met en marche au premier de nos jours !
Elle va droit à vous, et, d'une main trop sûre,
Vous porte dans le flanc la suprême blessure,
Et remonte à cheval, après avoir jeté
Le cadavre au néant, l'âme à l'éternité !

Qu’on nous pardonne de remplacer quelques ligues de prose par ces vers assez anciens pour paraître nouveaux. Depuis ce premier voyage, que de blessures nous ont faites les Heures cruelles ! que de tristesses et d'agonies elles ont sonnées pour nous ! — et pour les autres, hélas ! car en ce monde on ne possède même pas l’originalité de sa douleur ; voir disparaître les chers cercueils sous la terre brune, enfouir soi-même les têtes aimées, pleurer ses espérances à jamais perdues, sentir diminuer jour par jour le trésor de sa jeunesse, cela est tout simple et tout naturel. 

Le cimetière de l’église d’Urrugne ne ressemble à aucun autre. On dirait le champ de repos d’une race disparue. Les tombes en pierre grisâtre affectent des formes étranges, celtiques, phéniciennes, Scandinaves, et d'un archaïsme qui fait remonter à l'imagination le courant des âges ; tantôt ce sont des dalles élargies au sommet et qui figurent vaguement les épaules du mort, comme des boîtes de momie, tantôt des disques à piédouche fichés en terre comme les pieux de marbre terminés en turban des cimetières turcs, et où la croix grossièrement gravée s’inscrit dans un cercle.

- Vous écartez les herbes qui entourent ces tombes dont vous essayez de déchiffrer les inscriptions sculptées en relief. Ce sont des noms inusités, des configurations de syllabes singulières, n’appartenant à aucun idiome connu,—des épitaphes on Basque, — une langue que, selon les savants, Adam parlait en paradis ; à des dates toutes récentes, 1852, 1854, vous vous apercevez que ces monuments d’une rudesse si primitive, d’une apparence si antédiluvienne, ont été élevés hier. — Sans doute ce peuple à part, que nous appelons Basque, et qui se nomme lui-même Escualvanac, est fidèle à ses vieilles formes tumulaires comme à sa langue antique, dont nul ne connaît l’origine. 

Des tribunes à claire-voie en charpente et un retable doré à la mode espagnole donnent à l’intérieur de l'église d’Urrugne une physionomie exotique. L’on comprend que l’on approche des frontières..."

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