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Cinéma
Tromperie (105’) - Film français d’Arnaud Desplechin
Tromperie (105’) - Film français d’Arnaud Desplechin

| Jean-Louis Requena 923 mots

Tromperie (105’) - Film français d’Arnaud Desplechin

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"Tromperie" d’Arnaud Desplechin ©
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"Tromperie" d’Arnaud Desplechin ©
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Londres 1987. Philip (Denis Podalydès), la cinquantaine, est un célèbre écrivain américain exilé en Angleterre afin de poursuivre son œuvre littéraire loin des tumultes de sa ville : New-York. Pour écrire en toute quiétude, il travaille dans un petit appartement, sobrement meublé, au rez-de-chaussée d’un immeuble londonien. Une anglaise trentenaire (Léa Seydoux) lui rend visite de temps à autre. Ils sont amants. Ils bavardent longuement avant ou après avoir fait l’amour. L’amante anglaise est cyclothymique, souvent mélancolique avec quelques accès de larmes, puis tout à coup joyeuse, expansive. Elle est malheureuse en ménage ; son mari semble de désintéresser d’elle bien qu’elle soit une belle femme blonde, aux cheveux courts, vêtue avec recherche. L’écrivain américain et son amante irrégulière dialoguent sans fin sur l’adultère, les femmes anglaises, et l’antisémitisme des élites anglaises. Philip est un auteur juif américain grand admirateur de l’écrivain austro-hongrois de langue allemande et de religion mosaïque : Frantz Kafka (1883/1924) dont le portrait orne son bureau.

Philip et son amante sans nom, outre leurs joutes verbales ponctuent de temps à autres leurs spirituels échanges par des jeux érotiques qui se déroulent dans le huis clos spartiate de l’appartement. Philip est un écoutant, un audiophile qui fait son miel des échanges avec sa jeune maitresse. Il prend des notes sur un carnet afin de se servir de ce matériau verbal, par nature volatil, pour ses écrits. Ceux-ci stimulent sa créativité littéraire : il s’en nourrit.

En dehors de son travail solitaire et de des rencontres épisodiques dans son bureau, Philip a quelques points d’attaches à l’extérieur : Rosalie (Emmanuelle Devos) une ancienne maitresse gravement malade, qui est hospitalisée à New-York ; son épouse (Anouk Grinberg) qui se morfond dans un hôtel londonien loin de son mari qu’elle soupçonne d’adultère.

Rien ne semble faire dévier la trajectoire littéraire de Philip toute consacrée à la rédaction de son œuvre autofictionnelle. Ni les femmes présentes, ni celles du passé : une étudiante américaine (Rebecca Marder) une tchèque (Madalina Constantin).

Philip hanté par la mort, par sa propre finitude, graphomane acharné, solitaire, construit son œuvre sur la vie des autres …

Arnaud Desplechin (61 ans) a découvert l’écrivain américain Philip Roth à l’âge de 25 ans. Il a toujours été fasciné par la complexité de son travail littéraire (une trentaine de romans, nouvelles, mémoires et essais) et, en particulier, le court texte sous forme de dialogue paru au Etat-Unis en 1990 : Deception (Tromperie, traduction Maurice Rambaud édité par Gallimard en 1994). Il a tenté de l’adapter sans succès à plusieurs reprises. Désœuvré, lors du premier confinement (mars/mai 2020), il a repris l’adaptation avec l’aide de Julie Peyr (46 ans) de cette autofiction satirique rédigée par Philip Roth lors de son exil volontaire à Londres avec sa compagne l’actrice britannique Claire Bloom. Après la parution de Deception (Tromperie) le couple formé depuis 1977, divorcera avec fracas : Claire Bloom publiera en 1996 des mémoires vengeresses sur son époux (Leaving a Doll’s House) et Philip Roth répondra en 1998 par I Married a Communist (J’ai épousé un communiste traduction de Josée Kamoun édité par Gallimard en 2001). Une rupture difficile qui accréditera auprès du grand public, le caractère peu amène, la misogynie du romancier américain. De fait, nominé à plusieurs reprises, il n’obtiendra pas le prestigieux prix Nobel de Littérature.

Arnaud Desplechin et son chef opérateur Yorick Le Saux (53 ans), lequel éclaire habituellement les films d’Olivier Assayas et de François Ozon, ont de concert fabriqué un long métrage remarquable malgré une contrainte : la plupart des scènes se déroulent en huis clos entre les deux personnages principaux ; de surcroit elles sont répétitives ! Pour dynamiser celles-ci ils ont opté pour des plans rapprochés et des gros plans, en multipliant les axes de prise de vues, ainsi ils nous évitent les ennuyeux, paresseux, champ contrechamp. Le travail sur la lumière (décors naturels, étoffe, corps nus, etc.) est tout aussi remarquable. Au cours du montage Tromperie a été découpé en 12 chapitres couvrant les quatre saisons (de l’automne à l’été : de l’obscurité à la clarté). Arnaud Desplechin use de procédés cinématographiques peu usités de nos jours : split screen (écran partagé), transparences, fausses fermetures à l’iris qui isole sur l’écran un personnage. Les maitres du réalisateur sont à l’évidence Ingmar Bergman (1918/2007) et François Truffaut (1932/1984) dont on reconnait ici la direction d’acteurs, la science des gros plans, pour le premier, la fluidité narrative pour le second.

Les interprètes sont épatants quoique très différents : Denis Podalydès (Philip) est un comédien chevronné sociétaire de la Comédie Française. D’autre part il est metteur en scène et écrivain (Scènes de la vie d’acteur ; Voix off, etc.). Il est étonnant de séduction, de duplicité madrée nonobstant un physique assez banal (ce n’était pas le cas de Philip Roth !). Le charme réside dans sa qualité d’écoute et sa voix suave. Léa Seydoux (l’amante anglaise, la femme sans nom) joue avec son instinct exacerbé d’actrice « brute ». Elle n’est jamais dominée dans ses échanges avec Denis Podalydès malgré l’écart d’âge (25 ans environ) et de connaissance qui les séparent. Dans de courtes mais intenses apparitions, Emmanuelle Devos (Rosalie, la new-yorkaise hospitalisée) et Anouk Grinberg (l’épouse délaissée) nous offrent des scènes bouleversantes. Arnaud Despleschin nous propose une sorte de partition musicale à plusieurs instruments, plusieurs mouvements (12 chapitres), d’une fluidité remarquable en dépit de multiples scènes courtes, saccadées, qui au final, forment un large puzzle d’une grande richesse émotionnelle.

Tromperie a été retenu dans la sélection Cannes Première (« cinéastes confirmés ?»), mais inexplicablement pas dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2021. C’est fort dommage car le treizième long métrage d’Arnaud Desplechin y méritait sa place.

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