Puisque nous évoquons par ailleurs le Traité des Pyrénées signé voici exactement 358 ans, il n’est pas inutile d’en rappeler brièvement le contexte historique :
- 1648 : les traités de Westphalie concluaient la guerre de Trente Ans et la guerre de Quatre-Vingts Ans, laissant la France en position de force en Europe. La dynastie des Habsbourg qui régnait sur l'Espagne, les Pays-Bas espagnols et une partie de l'Europe centrale en ressortait affaiblie.
- 1658 : à la bataille des Dunes (entre Dunkerque et Nieuport, en Flandre), l’Espagne était vaincue par les armées françaises commandées par Turenne.
En fait, les négociations de paix avaient déjà débuté en juillet 1656 à Madrid, menées par Hugues de Lionne pour le royaume de France et don Luis de Haro pour celui d'Espagne. Après avoir traîné en longueur, la victoire de Dunes amène l'Espagne à la conciliation. Des préliminaires sont signés à Paris, le 4 juin 1659, et les négociations, menées par Mazarin et D. Luis de Haro, aboutissent à un traité. Mais, avant la signature de cette Paix des Pyrénées qui interviendra le 7 novembre 1659 et mettra fin à la guerre franco-espagnole, il fallut résoudre d'innombrables conflits d'étiquettes.
Ainsi, en août 1659, Mazarin, qui était déjà miné par la maladie, faillit recevoir au lit, au château d’Urtubie où il pensait se rendre, son homologue espagnol Don Luis de Haro. Mais Mazarin préféra finalement le territoire rendu neutre de l’Ile des Faisans située au milieu de la Bidassoa afin de ne pas indisposer le roi d’Espagne Philippe IV qui n’appréciait pas que l’on fît trop d’avances et de politesse au ministre français. II est des sites que leur position géographique destine tout naturellement à être choisis pour certaines circonstances. Tel est celui de la Bidassoa, qui a toujours servi de frontière entre les royaumes de France et d'Espagne, et présenté la traversée la plus facile d'un royaume à l'autre.
En remontant le cours de l'histoire, on se souviendra des entrevues de France Louis XI avec le roi de Castille, Henri IV. François Ier, échangé contre ses fils comme otages en Espagne, et, quatre années plus tard, l'échange accompli de la même façon - au beau milieu de la rivière, mais entouré des plus minutieuses précautions - entre les enfants de François Ier et la rançon exigée par Charles Quint pour sa libération.
Au commencement du XVIIe siècle, autre échange, moins douloureux. Une princesse de France, Élisabeth, sœur du roi Louis XIII, va épouser l'infant d'Espagne qui régnera sous le nom de Philippe IV. Une princesse espagnole, Anne d’Autriche, vient épouser le roi de France.
Rappelons également que c'est à l'île des Faisans que se réunissaient (avec moins d'apparat que dans les circonstances royales que nous venons d’évoquer) les députés du Labourd, d'un côté, du Guipuzcoa et de la Biscaye de l’autre, pour débattre et signer les traités de bonne correspondance par lesquels ils s'assuraient la continuation du cabotage et d’un libre commerce de part et d’autre de la frontière, malgré l'état de guerre entre la France et l'Espagne.
Mais revenons au Traité des Pyrénées.
Pour prévenir toute difficulté, Mazarin et Luis de Haro reconnurent cette île comme mitoyenne entre les deux royaumes. On y construisit un bâtiment qui la divisa en deux parties égales, l'une réservée aux Français, l'autre aux Espagnols. Au milieu se trouvait une salle qui avait deux portes, affectées à la même destination.
Cette salle elle-même était meublée, moitié par D. Luis de Haro et moitié par Mazarin. Deux tapisseries la coupaient par le milieu. Sur le bord de la séparation se trouvaient, de chaque côté, une table et une chaise, pour chacun des deux plénipotentiaires qui se trouvent, l'un sur le territoire français et l'autre sur le territoire espagnol. Pour l'Espagne, le baron de Watteville, gentilhomme franc-comtois; et pour la France, le marquis de Chouppes, sont comme les experts géomètres qui ont tout disposé, selon une symétrie rigoureuse.
Le Cardinal arrive en magnifique équipage : 150 gentilshommes et autant de gens de service et de suite ; une garde de 100 chevaux et de 300 fantassins ; 24 mulets couverts de riches housses brodées de soie, 30 carrosses dont 7 pour sa personne.
En face, la noblesse espagnole qui accompagne Luis de Haro est vêtue plus modestement, mais parée de force pierreries de prix... Il y a 16 carrosses attelés chacun de 6 mules très belles et bien harnachées... Une grande partie de la cour se rend par eau au lieu de la conférence.
D’abord sagement confinés dans leurs logements respectifs, où ils attendent la fin de l'entrevue, seigneurs espagnols et gentilshommes français allaient se retrouver pour la première fois en présence.
Des deux côtés de la cloison réparatrice, pendant la longue entrevue des deux hommes d'Etat, les sentiments de curiosité s'avivaient ; les chroniqueurs racontent que l’impatience des Espagnols, finit par éclater : se servant de leurs jolies barques, ils firent le tour de l'île et vinrent aborder sur le pont des Français. Un grand d'Espagne se présenta le premier, quelques gentilshommes suivirent, puis tous les autres, même les valets. Tous ceux qui étaient au bord de la rivière se rendirent chez les Français, qui montrèrent envers chacun la plus grande courtoisie. Il arriva donc qu'à la fin de la conférence, quand les ministres firent rentrer dans leur salle les personnages de leur suite; pour se les présenter mutuellement, les connaissances entre eux étaient déjà faites et la glace entièrement rompue. C'était, de part et d'autre, dit une relation contemporaine, « un combat de civilité et de compliments, qui ne prenait point de fin ».
Il fallut 25 conférences pour élaborer les 124 articles du Traité des Pyrénées, dont deux se réfèrent à la région pyrénéenne. L'article 8 traite de la querelle de Hendaye et de Fontarabie. L'article 42 déclare : « Les monts Pyrénées, qui avaient anciennement divisé la Gaule et l'Espagne, seront dorénavant la division des deux royaumes ». Ainsi, le Traité des Pyrénées clarifia une situation confuse depuis 1512. A cette date, l'attaque de Ferdinand le Catholique avait entraîné la dislocation de la Navarre, le plus ancien des royaumes d'Occident. En vain, les rois de Navarre, c'est-à-dire les grands parents d’Henri IV, avaient-ils cherché à reconquérir Pampelune qui resta donc à l’Espagne alors que la province navarraise de Ultra-puertos (ou derrière les monts), avec Saint-Jean-Pied-de-Port et Saint-Palais, demeura définitivement acquise au royaume de France. Louis XIV put se marier avec l’infante Marie-Thérèse d’Espagne, ce qui n’évitera pas, d’ailleurs, de nouvelles guerres, très rapidement !
Il y eut encore plus d’une tractation diplomatique autour de cette rivière de la Bidassoa, notamment au XXe siècle.
Ainsi, pendant la guerre d’Espagne, beaucoup de missions diplomatiques s'installèrent à Hendaye ou à Saint-Jean-de-Luz. On pouvait ainsi y dénombrer au début de septembre 1936 les missions suivantes : Argentine, Belgique, Etats-Unis, Finlande, France, Grande-Bretagne, Japon, Norvège, Pays-Bas, Suède, Tchécoslovaquie, Venezuela, etc. Jusqu’au Sommet franco-africain des chefs d'Etat en novembre 1994, dont la réunion (préliminaire) des ministres des Affaires Etrangères eut lieu au château d'Urtubie. Et c’est encore le château d’Urtubie qui accueillit la commémoration solennelle du 300e anniversaire du Traité des Pyrénées en 1959. Cinquante ans plus tard, ce fut le tour d’une cinquantaine de consuls en poste le long de la chaîne des Pyrénées (voyez l’article ci-contre).
Alexandre de La Cerda