Une voiture roule à vive allure sur une route ensoleillée. Le conducteur (Bertrand Bonello) est agacé : sa jeune fille, assise sur le siège arrière, donne des bourrades dans son dos. De plus en plus courroucé, il se retourne pour lui demander de cesser son agaçant manège. C’est l’accident ! Le père s’en sort indemne mais sa fille Alexia a un traumatisme crânien. Elle subit une opération au-dessus de l’oreille droite au cours de laquelle les chirurgiens lui posent une plaque de titane, un métal léger, résistant. D’après eux, elle ne souffrira d’aucunes séquelles et conservera toutes ses facultés mentales …
Alexia devenue adulte (Agathe Rousselle) cohabite tant bien que mal avec ses parents dans une grande maison moderne. Ces derniers semblent indifférents au sort de leur fille qui apparait comme sauvageonne, tatouée, incontrôlable…
Un long plan séquence. Alexia pénètre dans un grand hangar illuminé où sont exposés des voitures de luxe. La sonorisation est poussée à saturation, des projecteurs illuminent des scènes suggestives qui se déroulent autour et sur des véhicules de collection. Alexia exécute une danse érotique sur une Cadillac. Des hommes s’agglutinent autour d’elle durant sa prestation. A la fin du spectacle elle fait la connaissance d’une autre danseuse : Justine (Garance Marillier) … Elles sympathisent.
Alexia sort de la boîte de nuit et chemine, solitaire, sur le parking désert pour rejoindre sa voiture. Un homme la suit, elle accélère le pas …
C’est le début d’une cascade d’évènements convulsifs qui vont amener Alexia à rencontrer un personnage pour le moins étrange : Vincent (Vincent Lindon) un commandant de pompiers bodybuildé …
Titane est le deuxième long métrage de Julia Ducournau (37 ans) après Grave (2016) premier opus qui nous avait impressionnés par son scénario inédit (une jeune femme admise dans une école vétérinaire, découvre une appétence pour la chair humaine !) et la maîtrise formelle du récit (mise en image, sons). Julia Ducournau est une érudite : diplômée de la Sorbonne (lettres modernes-anglais) et de la Fémis (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son) en 2008 (section scénario). Fille d’un couple de cinéphiles avertis (mère gynécologue et père dermatologue), elle passe pour avoir visionné le film « gore » américain Massacre à la tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper à l’âge de six ans …
Titane est un film, sans conteste, impressionnant (interdit – 16 ans !) par son scénario qui brouille les genres (thriller, horreur, fantastique) et devient en quelque sorte transgenre, par sa mise en scène très assumée, paroxysmique (couleurs et bande son) et par le physique des personnages : les parents d’Alexia sont dans la normalité (montrée comme affligeante) ; Alexia se transforme tout au long du récit suivant un arc violent/actif, non violent/passif ; Vincent, le commandant, a une stature imposante mais une fragilité psychologique ; les pompiers sont des spécimens bodybuildés tels une troupe de Chippendales ! Ces univers se percutent et cohabitent, tant bien que mal, dans un climat de violence psychologique, physique, pétri de douleurs solitaires ou tout peut advenir. Les barrières morales, affectives, sexuelles sont effacées …
Titane est un film clivant qui aura ses louangeurs comme ses détracteurs, mais l’œuvre est là radicale, dérangeante, coruscante, d’une puissance cinématographique indéniable. Julia Ducournau, cinéphile avertie, est dans la lignée (rare) de cinéastes comme David Cronenberg (La Mouche – 1986, Crash – 1996), David Lynch (Blue Velvet – 1986, Twin Peaks – 1992) pour ne citer que ceux-là. Mais tout en admettant ces influences, elle prend soin de s’en éloigner, mûe par sa propre originalité, plus radicale que ces modèles (masculins !). Les acteurs principaux Agathe Rousselle brindille mutique à la peau tatouée (Alexia), Vincent Lindon au physique imposant, agile par instant, Garance Marillier danseuse amoureuse d’Alexia (Justine, l’étudiante vétérinaire dans Grave) interprètent leurs personnages d’une manière physique sans s’encombrer de psychologie : c’est du brutal !
Titane présenté en sélection officielle au dernier Festival de Cannes (juillet 2021) a obtenu, contre toute attente, par un jeune jury, présidé par le cinéaste américain Spike Lee (64 ans) la très convoitée Palme d’Or. C’est la première fois depuis 28 ans (1993 : Jane Campion pour La leçon de Piano ex aequo avec Adieu ma concubine de Chen Kaige) qu’une telle récompense est décernée à une femme !