Un couple de jeunes citadins, originaire de Barcelone, Elena (Vicky Luengo) et Ivan (Pol Lopez), emménage dans une « finca » (exploitation agricole) de 500 hectares dont Elena a hérité. Les jeunes amoureux, Elena est enceinte, architectes de métier, ne connaissent rien à l’univers campagnard dans lequel ils s’immergent. Pour vivre décemment, ils doivent à la fois restaurer la ferme, en mauvais état, sans confort, et exploiter une vaste forêt de chêne-liège. Ils décident de ne pas intégrer la coopérative locale et préfèrent donner l’exploitation du liège (suro en catalan) à un écorceur professionnel lequel accomplira le pénible travail avec son équipe de compagnons.
Ivan choisit de partir en forêt afin de comprendre et de s’initier au travail des ouvriers, tandis qu’Elena reste au mas élaborant des plans ambitieux d’aménagements de celui-ci. Des dissentions apparaissent dans le couple, jusqu'alors fusionnel, lorsque Elena reproche à Ivan d’aller dans la chênaie où les écorceurs sont à la tâche, délaissant ainsi les travaux importants d’aménagements du mas et de ses alentours (potager, réservoir, etc.).
Ivan, idéaliste, s’obstine dans ces travaux harassants puis s’écroule de sommeil le soir venu. Devenus proche des écorceurs, il découvre qu’une partie de l’équipe est d’origine marocaine. Un jeune marocain filiforme Karim (Ilyass el Ouahdani) est le souffre-douleur de l’équipe catalane … Ivan attentionné, humaniste, contre l’avis d’Elena, soucieuse du devenir de la « finca », tente de s’interposer, de le protéger.
Inexorablement, la tension monte entre les catalans et les marocains …
Suro (chênes-lièges ou liège en catalan) est le premier long métrage du scénariste réalisateur Mikel Gurrea (38 ans). Ce dernier a réalisé de nombreux courts métrages qui ont été sélectionnés dans plusieurs festivals internationaux (Venise, San-Sébastian, Montréal, etc.). En 2009, sans emploi, il a fait une saison (« temporada ») comme écorceur dans une forêt de chêne-liège de Catalogne, d’où dans son film, l’authenticité évidente dans de nombreuses scènes forestières. Le metteur en scène, par un montage soigné, alternatif, mixe les séquences intérieures (ferme) d’abord idylliques puis agressives, avec celles de l’extérieur (forêt, champ) d’abord documentaires puis glissant dans la violence. Grace un casting intelligent, Mikel Gurrea associe aux deux comédiens professionnels, Vicky Luengo (Elena) et Pol Lopez (Ivan), des acteurs non professionnels, authentiques écorceurs, dont les gestes sont vrais, non simulés.
Mikel Gurrea dans son opus de près de 2 heures (116 minutes) s’efforce de maintenir un équilibre entre deux mondes : celui des néo-ruraux idéalistes mais ignarants du monde rural et celui des ouvriers paysans durs à la tâche, en osmose avec la forêt de chêne-liège, loin de la mégalopole catalane (Barcelone : 1,7 millions d’habitants !). Le réalisateur prend ainsi du temps cinématographique (lenteur de l’exposition), pour narrer ces deux univers si éloignés, l’un de l’autre, malgré les efforts méritoires d’Ivan pour les rapprocher. C’est le combat douteux entre l’idéalisme (Ivan) et le réalisme (Elena). De fait, Leur couple tend, sous la pression des faits, à se distendre d’autant que le personnage de Karim est tout à la fois, un révélateur de contradiction et un accélérateur de crise.
Suro est une sorte de thriller forestier dans la veine espagnole de deux autres films qui nous ont ravis en 2022 : Nos Soleils (Ours d’or à la Berlinale 2022) de Carla Simon sur le dépérissement d’une exploitation de fruits cernée par d’avides propriétaires ; As Bestias de Rodrigo Sorogoyen sur un couple de français écologistes installés dans la campagne galicienne en proie à l’ire des voisins. Les trois films (nous avons fait en son temps la critique des deux derniers) sont en tous points remarquables.
Suro a été sélectionné au Festival International de San-Sébastian 2022. Il a obtenu trois prix Gaudi 2023 : meilleur nouveau réalisateur, meilleure actrice, meilleur acteur.