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République ? Vous avez dit valeurs de la République ?
République ? Vous avez dit valeurs de la République ?
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| Alexandre de La Cerda 1076 mots

République ? Vous avez dit valeurs de la République ?

Lundi dernier, Emmanuel Macron à peine élu président, Richard Ferrand, le secrétaire général d'« En Marche ! », d’annoncer lors d'une conférence de presse que le mouvement serait rebaptisé « La République en marche ». Pour singer l’UMP rebaptisée en « Les Républicains » l’année dernière ? Tout comme le nouveau chef de l’Etat qui croit que c’est « in » et « cool » de se frapper ostensiblement la poitrine gauche de la main droite – confondrait-il l’hymne américain « The Star Spangled Banner » avec la Marseillaise ? Il est vrai que Sarkozy avait déjà fait sienne cette mise en scène venue d’outre-Atlantique… Il ne manquerait plus que la « chancelière » Merkel qui viendrait nous chanter le « Deutschland über alles » sous nos fenêtres, et le tableau de l’« ouverture au monde » serait complet… Les mêmes s’offusqueraient sans doute si l’on entonnait notre « Gernikako arbola » ou l’actuel hymne officiel du Pays Basque : « Gora ta Gora Euskadi, aintza ta aintza bere goiko Jaun Onari »...

A voir, si Emmanuel Macron réitérerait maintenant ses déclarations à l'hebdomadaire « Le 1 » du 8 juillet 2015 et que j'avais alors reprises dans mon "Bloc-Notes" de La Semaine : « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. On le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. Tout s’est construit sur ce malentendu ». L'année suivante, alors que se profilait déjà la campagne électorale pour les présidentielles, le site « Atlantico » publiait une enquête selon laquelle les sondés estimaient que « valeurs républicaines » et « identité nationale » étaient galvaudées ou avaient perdu de leur contenu, alors que ces formules étaient de plus en plus utilisés dans le discours politique français depuis les attentats. Et de citer le commentaire de Jérôme Fourquet, directeur du Département opinion publique à l’IFOP : « Depuis un an et demi, l'actualité ayant été marquée par la recrudescence des thématiques de la République et des valeurs républicaines (attentats de janvier 2015, "Je suis Charlie", défense des valeurs de vivre-ensemble et de liberté d'expression), nous avons souhaité connaître le degré d'adhésion des Français à ces sujets à travers cette enquête.

Nous observons aujourd'hui qu'ils suscitent un phénomène de saturation, et en particulier en ce qui concerne les valeurs républicaines, avec une forte dégradation depuis mai dernier. Alors que 35% des sondés y étaient attachés, aujourd'hui ce chiffre tombe à 25% soit dix points de moins, et estiment que cette thématique a été galvaudée et a perdu de son sens et de sa force. D'un côté on voit une inflation et un emballement de l'utilisation de cette thématique, que ce soit à gauche, mais aussi à droite (l'UMP a été rebaptisée dans ce sens), mais dans le même temps de moins en moins de Français sont en phase avec cette terminologie ».

La République n’a besoin ni de savants…

Curieusement, le jour même où le mouvement « En Marche ! » se républicanisait, l’éphéméride du 8 mai nous rappelait que le 8 mai 1794, Antoine Laurent de Lavoisier était guillotiné sur la place de la Concorde, anciennement place Louis XV... Les travaux de ce jeune scientifique - admis à l'Académie des Sciences à l’âge de 25 ans - en font un des grands savants de l'humanité. Fondateur de la chimie moderne (en découvrant l'oxygène), il est a considérablement fait progresser la physiologie et l’agronomie. Étant l'un des 28 fermiers généraux, Lavoisier est stigmatisé comme traître par les révolutionnaires en 1794 et guillotiné lors de la Terreur à Paris, le 8 mai 1794, à l'âge de 51 ans, en même temps que l'ensemble de ses collègues. Ayant demandé un sursis pour pouvoir achever une expérience, il s’entend répondre par Jean-Baptiste Coffinhal, l’accusateur du tribunal révolutionnaire : « La République n'a pas besoin de savants ni de chimistes ; le cours de la justice ne peut être suspendu » ! Coffinhal sera lui-même guillotiné trois mois plus tard, le 6 août 1794...  Cette célérité s'explique par le fait que les biens des condamnés étaient confisqués au profit de l'État et les fermiers généraux possédaient les plus grosses fortunes de France...

… Ni de poètes, et encore moins de langues « régionales »

Il est vrai que si « la République n’avait pas besoin de savants », elle ne prêtait guère plus d’attention à la poésie, le sacrifice d’André Chénier en témoigne : exécuté le 25 juillet 1794 avec un autre poète, Jean-Antoine Roucher, leurs corps furent jetés avec 1 300 autres victimes de la Terreur guillotinées place de la Nation dans une fosse commune du couvent des chanoinesses devenu le cimetière de Picpus à Paris. Quant aux langues « régionales, leur sort ne fut guère plus enviable : ainsi, Barère, l’un des principaux inspirateurs et acteurs de la Terreur, estimait en janvier 1794 que « chez un peuple libre, la langue doit être une et même pour tous ». En juin de la même année, l’Abbé Grégoire présentait devant la Convention son « Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir le patois, et d’universaliser l’usage de la langue française » où il expliquait qu’il fallait « consacrer au plus tôt, dans une République une et indivisible, l’usage unique et invariable de la langue de la liberté ». En juillet, le décret du 2 thermidor An II imposa le français comme seule langue de l’administration. On estime que les « patois », appelés parfois « idiomes féodaux », étaient liés à l’Ancien Régime et freinaient la diffusion des idées révolutionnaires : ils devaient disparaître au nom de l’unification de la nation. Ainsi, l’utilisation de la langue basque, malgré quelques affiches et proclamations révolutionnaires rédigées ou traduites en euskara (pour arriver à se faire comprendre), était également qualifiée de « véhicule du fanatisme ». À la fin du XIXe siècle, la Troisième République va accélérer l’uniformisation linguistique : l’éducation laïque et obligatoire devait enraciner à travers le français les principes et les « valeurs » de la République !

Alexandre de La Cerda

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