Sous l'égide de Cervantes, Shakespeare et Victor Hugo, les écrivains préférés d'Edmond Rostand dont les bustes ornent le jardin de la Villa Arnaga, le Prix des Trois couronnes revient cette année à trois poètes dont nous publions ci-après les poèmes :
L’Âme du Pays Basque de Marielle Pujoulade
Là-haut, sur les sommets des belles Pyrénées,
Où l’âme des anciens guide les destinées,
S’élève vers le ciel, plus pur qu’un diamant,
L’irrintzina sacré, ce cri vif et perçant.
Dans les vallons profonds où paissent les brebis,
Où les sources d’eaux pures chantent leur mélodie,
Le berger solitaire, au cœur de son domaine,
Fait vibrer dans les airs sa voix qui se déchaîne.
La txalaparta tinte au cœur des soirs d’été,
Ses battements de hêtre, au rythme respecté,
Racontent dans la nuit des histoires anciennes
De ces gardiens, de nos terres pyrénéennes.
Et quand le printemps revient fleurir tous nos prés,
Les voix de nos cantaires, aux timbres cuivrés,
S’élancent vers le ciel en notes cristallines,
Et l’écho les transporte au-delà des collines.
Dans les villages blancs, aux toits couleur de feu,
Le zortziko s’élève en rythme vers les cieux,
Les danseurs font claquer leurs espadrilles blanches,
Au son d’un fandango qu’on danse le dimanche.
Euskal Herria vit, son âme est dans ces chants,
Ces voix immaculées en traversent le temps,
Ces hymnes ancestraux aux accents indomptables,
Sont dans nos mémoires, de façon immuable.
Et tant que brillera l’étoile du berger,
Que l’aube sur nos monts viendra se prolonger,
Ces chants, témoins vivants de notre terre antique,
Porteront vers les cieux notre âme linguistique !
Sous le ciel de Gascogne d'Anaïs Delhorbe
Au creux des vallons d’or, et sous l’ombre des chênes,
Où le vent des coteaux, fait danser les épis,
S’étire la Gascogne, et ses teintes sereines,
Terre d’orgueil et de feu, aux éclats assoupis.
Les remparts de Lectoure, dressés comme les lances,
Veillent sur les moissons et les blés ondoyants,
Tandis qu’au loin résonnent, en de vives cadences,
Les pas d’un chevalier, sous un ciel éclatant.
L'armagnac des veillées, aux chauds reflets de l’ambre,
Sertis dans le cristal, des tavernes d’antan,
Tu nous réchauffes encore, sous tous ces toits de cendre,
Les cœurs que le temps use, et berce en s’étirant.
Et les masures de pierre, des toits roux de Gascogne,
S’enveloppent quand vient le soir, d’un parfum de sarment,
Quand sous la cheminée, sous l’ombre d’une pogne,
Etincelle un fagot, d’un rouge incandescent.
Dans les coteaux sauvages, où l’on écrit l’histoire,
Vibre un souffle lointain, empreint de liberté.
D’Artagnan, le héros, forgea son auditoire,
Portant haut son panache et son verbe en clarté.
De Bayonne jusqu’à Pau, des landes aux rivages,
Le Sud-Ouest resplendit, de toute sa beauté.
Dans les pas d’un berger, dans l’onde et le feuillage,
Aux pieds d’un pigeonnier, d’un cloître déserté.
Et lorsque vient l’automne, aux vignes écarlates,
Quand le raisin s’endort, sous l’éclat des pressoirs,
Un doux refrain s’élève, effleurant les stigmates,
Chants de Gascogne ancienne, aux échos pleins d’espoir.
Landes de Germinal Rameau
Quelle est cette région qui s'est évaporée
Dans le choeur lancinant de l'immensité creuse
Et qui a soutenu la forêt amoureuse
Quand le néant l'avait tendrement rejetée
Si le néant un jour eut la vie pour compagne
C'est ici que l'union de leurs deux corps transis
Jeta sur le rivage éteint de ces campagnes
Un voile sablonneux de cendre et d'infini
Je suis né de l'alcôve à l'étrange paroi
De la plaine et de son magnétique mystère
Enfin de l'inconnu qui s'ouvrait devant moi
Je le vois après tout c'est une pauvre terre
C'est le commencement d'un très long cimetière
Où jamais un soupir ne reste sans écho
Et comme une promesse étend ses vils oiseaux
Sur le noir balancier des arbres séculaires
C'est le dernier pays où chante la sorcière
Le chemin sablonneux des malheureux damnés
La pinède où passant le loup vient dévorer
La très rare denrée de la simple chaumière
Ne vois-tu pas juché sur ses échasses frêles
L'étrange vagabond qui nous a fasciné
Et dans le marigot où il s'est enfoncé
N'entends-tu pas plaintif le grand troupeau qui bêle
J'y ai vu les printemps les étés les automnes
Et quand est revenu son hiver monotone
J'ai retrouvé l'absence au visage éclatant
D'un peuple qui vivait ici il y a longtemps
En marchant je trouvai un jour une mansarde
Témoin silencieux à l'airial millénaire
Au moment où l'aurore avide se hasarde
Dans les fendillements aigus de la lumière
Quelle est cette demeure c'est une landaise
La maison que Manciet a décrite souvent
Temple sans religion des étendues françaises
Miroir de mon passé qui scrute mon présent
En entrant je trouvai dans cette pièce obscure
Réchauffée par un feu éteint depuis longtemps
Une chaise un placard croûlant de moisissures
Une table brisée et le lit d'un enfant
Rien d'autre Et m'approchant de l'unique ouverture
Mon regard se perdit dans l'horizon couché
Et je me demandais et je me demandais
Écoutant seulement le funèbre murmure
De cette immensité qui s'épandait au loin
Depuis cette maison abandonnée des hommes
Etrange monument stérile de fantôme
Et je m'assis rêveur et je ne disais rien
Une voix néanmoins tout au fond de mon être
Répétait de vains mots chuchotant quelquefois
« Je ne vois qu'infini par la moindre fenêtre »
Et disait lentement et tout au fond de moi
J'ai peut-être vécu dans la Lande autrefois
J'ai peut-être suivi d'un oeil libérateur
Le vol de la palombe entrée par les sous-bois
Dans le soupir léger d'une humide lueur
J'ai peut-être dormi dans ce lit si étroit
Réveillé le matin par les chasseurs de lièvres
Le parfum de résine et le chien qui aboie
Après l'odeur du maître et de sa gibecière
En tirant de mon coeur un soleil crucigère
Contre mon front tanné par le sable et les vents
Plus doux que le baiser de la tiède atmosphère
Et je me lèverai précautionneusement
J'aurai vestige ancien vu des murs sous le lierre
C'est la tour que Rameau bâtit dans la nature
Dont on disait devant l'improbable structure
« Qu'es héyt de man d'omi qu'es tout plen de péyres »
Pauvres hommes nos rêves furent-ils hors d'atteinte
Dans son crépitement le feu ne me conduit
Que sur l'humble clarté que s'agite sans bruit
Embellie par l'éclat rougi des térébinthes
Venez explorateurs c'est ici qu'on vendange
L'astre miraculeux dont votre esprit a faim
C'est ici que tout bas s'envoleront les anges
En grands vols parfumés de cendre et de benjoin
Et les pins en dansant leurs incessantes rondes
Comme l'immense nef dont la voile est ternie
Par le sanglant soleil qui annonce la nuit
Disaient « Voyez je fus la blessure du monde »