Il y a une vingtaine d’années, afin d’éviter que le musée de la Marine nationale sur la place du Trocadéro à Paris ne fût sacrifié au bénéfice d’un « musée des arts premiers » intensément rêvé par le président de l’époque, Jacques Chirac, l'amiral Jean-Louis Battet, chef d'État-major de la Marine, avait battu le rappel des « bonnes volontés » autour de l’écrivain navigateur Jean-François Deniau, ancien ministre, ambassadeur, président de Conseil général, etc. L’occasion qui fit surgir un groupe des écrivains de marine, un peu sur le modèle des fameux peintres, créés un siècle plus tôt...
Ces « écrivains de la mer », au nombre d’une vingtaine, cooptés à l’unanimité et dont le choix est soumis à l’agrément du chef d’état-major de la marine, ont pour vocation de favoriser la propagation et la préservation de la culture et de l’héritage de la mer.
« Ils sont autorisés, comme les Peintres Officiels de la Marine, à porter l’uniforme lors de leurs embarquements à bord des navires de la marine nationale. Ils sont assimilés au grade de capitaine de frégate ».
Actuellement présidés par l'écrivain corse Patrice Franceschi, également aviateur, marin, cinéaste, parachutiste et officier de réserve, qui avait intégré leur compagnie en 2014, les Écrivains de Marine viennent de fonder un prix littéraire doté de 10 000 euros dont la première édition se tiendra en novembre prochain.
Touchant la littérature en général et non spécifiquement consacré à la mer, il récompensera un « ouvrage d’imagination s’attachant à dévoiler un pan de la condition humaine » (*).
A Bayonne, sur le « Bélem », avec Michel Déon
Il y a un peu plus d’une décennie, ils avaient fait relâche à Bayonne au cours d’« Escales Marines » qui avaient attiré sur le Quai Edmond Foy plusieurs milliers de passionnés de la mer en me permettant de rencontrer et de nouer une solide amitié avec l’écrivain Michel Déon : nous y avions, tous deux, signé nos ouvrages respectifs !
Avec Jean Pattou qui dévoilait ses belles aquarelles portuaires et bayonnaises, j’avais eu le plaisir de présenter - grâce à l’obligeante librairie Darrieumerlou – mes livres récemment publiés à l’époque : « Vol au-dessus de Bayonne » et « Histoires extraordinaires du Pays Basque », dont la dédicace sans discontinuer pendant deux jours de suite m’avait même valu une belle crampe à défaut de chevilles gonflées...
Quant à Michel Déon, en me dédicaçant « ses œuvres (presque) complètes » parues dans la collection Quarto de chez Gallimard, il avait ajouté de sa plume fine et sûre : « une longue vie à bourlinguer, rêver, parfois se venger, plus souvent à écrire ». Presque une confession ?
A près de 93 ans, le temps n'avait décidément aucune prise sur l’auteur des « Poneys sauvages » et du « Taxi mauve » qui demeurait l’éternel « jeune homme vert » dont les romans administrent encore aujourd’hui ce « coups de fouet » salutaire particulièrement rare aujourd’hui.
Une vigueur qui était peut-être due à l'air pur du comté de Galway.
Dans son ancien presbytère transformé en haras où son épouse élevait des chevaux dont sont friands, paraît-il, les Américains, Michel Déon, toujours amoureux d'un français au sommet de sa perfection, soignait ses beaux livres dont il appréciait, dans leur reliure d’origine, « le papier rare, la clarté des mises en page et la typographie élégante » (certains éditeurs feraient bien d’en prendre exemple, de nos jours).
« Comme une maison sans livres est une maison sans âme, un homme sans livres est un homme sans âme », avait-il remarqué dans un texte pour la librairie Gallimard intitulé « De la complicité des livres »…
L'œil pétillant au détour d’un trait d'humour, l’écrivain toujours fidèle aux idées et aux compagnons de sa jeunesse leur prodiguait volontiers des témoignages d'amitié, telles ces « Lettres de château que l'on adressait à ceux qui vous avaient bien reçu, au temps où la démocratie n'avait pas encore fait disparaître la politesse ». Soit, le panthéon d'une civilisation classique qui subsiste lorsque l’on a beaucoup lu et (presque) tout oublié, auquel il associait une nouvelle génération d’écrivains. Michel Déon semblait y déceler des éléments plus prometteurs, après un creux « existentialiste » de quelques décennies qui avait « tourné en rond ».
Iles de roman et d’aventure
Avec les livres, ce sont les îles qui avaient occupé la vie de Michel Déon. Après l’île grecque de Spetsai, certes inondée de soleil méditerranéen mais déflorée par un immobilier galopant, c’est en Irlande qu’il s’était fixé depuis près de quarante ans, en famille, avec son épouse et ses enfants Alice et Alexandre. Pourquoi l’Irlande ? Il « n’en savait rien, au juste ». Peut-être, « une envie, mûrie depuis longtemps, un obscur besoin de pluie, de vent, de prairies vertes, l’attrait que peuvent exercer une terre mouillée, de vastes paysages, la présence de l’Océan et le bruit sourd, continu de la houle se brisant sur les falaises de Moher. L’Europe s’achève ici, plus loin, c’est l’aventure. Il arrive que l’on aime toucher du doigt à ses limites et laisser grandir en soi de vieux rêves »…
Où la tentation d’aventure rejoignait celle de la littérature, depuis l’inspiration de ses « Poneys sauvages » et du « Taxi mauve ».
Elle ne datait pas d’aujourd’hui, cette attirance de Michel Déon pour les îles, « des bouées de sauvetage dans la solitude des mers terribles ». Ne s’était-il point « longtemps promené d'île en île » avec, dans sa tête, une phrase de Paul Morand (écrite en 1927) : « les îles seront peut-être le refuge des dernières aristocraties alors que les continents vont être écrasés sous les masses » ?
Or, presque deux siècles auparavant, Arnauld-Michel d'Abbadie, fils de notaire royal et maître de la maison abbatiale d'Arrast dans la province basque de Soule ne s’était-il pas réfugié dans la catholique Irlande afin de fuir les exactions de la révolution de 1789 ? Ce « poney sauvage » avant la lettre, âgé de vingt et un ans, s’y maria avec une fille du pays et reconstitua sa fortune en fournissant des armes à la France napoléonienne via le port de Bilbao sur les navires de son beau-père irlandais.
Mais il n’oubliera pas son Pays Basque d’origine et il suscitera l'intérêt de ses fils pour les études basques. De ses trois fils, l'aîné, Antoine, sera le savant astronome et explorateur de l’Ethiopie avant de construire à Hendaye ce manoir de style néo-gothique irlandais nommé « Abbadia » qu’il laissera à l’Académie des Sciences dont il avait été le président.
Au cours des années qui suivirent, une correspondance nourrie s’instaura avec lui (s’y était ajouté son vif attrait pour ma production viticole bordelaise).
Dans une de ses cartes datée du 10 juillet 2012 dans sa propriété irlandaise d’« Old Rectory » à Tynagh, ne m’avouait-il pas « avoir gardé au fond du cœur ses souvenirs » de cette période : « De 1942 à août 1944, j’ai eu l’honneur de travailler pour Maurras, comme secrétaire de rédaction du quotidien (l’Action Française », ndlr.). Je pense avoir été le dernier à le voir en liberté. Dans mon bureau ici, j’ai une exquise gravure de lui, jeune, très beau, pas trop sérieux, regardant sans doute avec quelque appétit, la dame qui le dessinait »…
Incorrigible « Jeune Homme Vert » !
D’autant plus que Michel Déon me relatait encore dans cette même carte « un moment de sa vie assez aventureux (et pour des raisons de cœur !) » lorsqu’il avait « beaucoup séjourné à Saint-Jean-de-Luz et ses environs, j’étais trop occupé par un charmant présent, pour tout voir, j’ai quand même beaucoup circulé et découvre, grâce à vous, ce que j’ai manqué de meilleur ».
Cette redécouverte du Pays Basque dans mon livre « Les Histoires extraordinaires du Pays Basque » qu’il avait eu « le temps de lire, de retour dans son havre », il l’avait grandement apprécié : « Ces beaux textes accompagnés de superbes images judicieusement mises en page par votre éditeur »…
Je me pris alors à rêver que Michel Déon en recompose un jour le roman, lui dont Félicien Marceau, son ami, avait un jour écrit : « Le galop dans la vie et le trot dans l'écriture », soit une éternelle chevauchée vers le bonheur de vivre et la beauté !
(*) - pour participer à la première édition du prix des Écrivains de marine
Les livres participant à ce concours sont à envoyer en cinq exemplaires à la secrétaire générale des écrivains de marine, Émilie Lahaye, à l’adresse suivante :
Emilie Lahaye, déléguée générale des Ecrivains de marine - 18 rue Ernest Renan, 75015-Paris
- les membres du jury : Andrea Marcolongo, Isabelle Autissier, Jean-Michel Barrault, François Bellec, Jean-Luc Coatalem, Didier Decoin, Loïc Finaz, Olivier Frebourg, Titouan Lamazou, Emmelene Landon, Erik Orsenna, Yann Queffélec, Jean Rolin, Jean-Christophe Rufin, Sylvain Tesson, Daniel Rondeau, Anne Quéméré, Arturo Perez Reverte, Dominique Le Brun.