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Poésie : Georges Saint-Clair par Paul Mirat
Poésie : Georges Saint-Clair par Paul Mirat

| Paul Mirat 821 mots

Poésie : Georges Saint-Clair par Paul Mirat

Le petit billet consacré à Georges Saint-Clair reçu ce matin de notre président (de l’Académie de Béarn, ndlr.), m'a ramené bien des années en arrière. A l'automne 1965, j'entrais au collège Saint-Joseph, à Nay, en septième, j'avais neuf ans. Seule la vue imprenable sur le Gabizos m'attachait à ce lieux, je subissais le reste, plutôt terrorisé par notre unique professeur, Monsieur Smet, et sa fidèle schlague de noisetier qu'il maniait avec autant de générosité que de maestria. C'était la méthode pédagogique de l'époque.

Après la vie agréable et douce de Meillon, je trouvais celle de Nay bien morose et bien grise. Un après-midi d'automne, l'abbé Bégarie frappe à la porte de notre minuscule salle de classe et demande à M. Smet l'autorisation de papoter un instant avec moi.
Béga, comme nous l'appelions, était une figure respectée et redoutée du collège, c'était « le pion des grands ». Je vacillais, cherchant à toute vitesse de quelle polissonnerie j'avais bien pu me rendre coupable pour déplacer jusqu'à la porte de M. Smet un personnage aussi illustre.
N'en menant pas large, je me levais et quittais le cours.

Béga me prit sous son aile et en faisant les cent pas autour du cloître du collège, il m'apprit qu'il était en correspondance amicale et poétique avec mon grand-père paternel. Penché vers moi, le bras posé sur mes épaules, il souriait en me parlant doucement ; son regard bleu m'apparaissait chargé de bonté et de gentillesse. Alors qu'il me demandait quels étaient mes personnages historiques préférés, sa tête toute proche de la mienne et mon jeune cœur débordant de reconnaissance pour cette rencontre inattendue, je ne pus m'empêcher de déposer un baiser sur sa joue.

Curieusement, je n'ai jamais perdu le contact et allais de temps en temps à Pontacq faire avec lui le tour du parc de sa belle maison familiale. Il m'y recevait toujours avec la même gentillesse. Une vingtaine d'années après cette première rencontre, j'étais alors à la tête d'une imprimerie paloise, une amie de Navarrenx me demande si par hasard je pouvais lui indiquer un poète béarnais susceptible de donner une causerie sur « l'apport du Béarn dans l'œuvre poétique ». Spontanément je lui indiquai Béga, l'assurant qu'elle trouverait au moins une de ses plaquettes chez n'importe quel libraire de la région. Elle me rappelle quelques jours plus tard : «Paul, j'ai fait le tour des libraires, tous connaissent ton abbé mais ses plaquettes sont introuvables ». J'organisai donc une rencontre à Pontacq où mon amie Marie, jeune et belle béarno-vénitienne, chevelure au vent fit crisser le gravier de l'allée au volant de sa rutilante décapotable rouge.
L'abbé fit des mines, joua les anachorètes, se fit beaucoup prier, mais les yeux doux de Marie accomplirent le miracle. 

La conférence se tint par un beau soir d'été, dans une salle archi-comble du château d'Audaux ; à la fin, le public nombreux s'étonna de ne pouvoir repartir avec quelques poèmes imprimés. L'abbé répondit qu'il éditait à compte d'auteur, à une centaine d'exemplaires tout au plus, qu'il en donnait une trentaine à ses amis et brûlait le reliquat.

Après ce beau succès, Marie, l'abbé et moi prîmes la route de Sauveterre, l'auberge surplombait le gave, les hirondelles virevoltaient dans un flamboiement orange et pendant que le Jurançon nous plongeait en état de grâce cette drôle d'idée me vint. Entre la poire et le fromage, je proposai à l'abbé d'éditer l'ensemble de son œuvre! Je me souviens encore de son éclat de rire, il me traite de fou et me lance : « Mais enfin, Paul, je n'ai pas un pic ! ». Marie, brillante chef d'entreprise, assure alors l'affaire, s'engageant à couvrir les pertes si pertes il y avait. De retour à Pau, le plus dur fut de convaincre mes associés, une fois de plus je fus traité de fou. Editer de la poésie ? Écrite par un curé ? Que l'on m'enferme de suite !
C'est ainsi que quelques semaines plus tard, Georges Saint-Clair reçut le Prix de poésie de l'Académie française et que je devins éditeur : « Poésies complètes », Georges Saint-Clair, éditions Covedi, Pau, 1992.
Paul Mirat

NDLR: notre fidèle lecteur et ami, le poète Daniel Ancelet, nous a égalemement commenté ses souvenirs à propos de l'abbé Bégarie : "Ce n'est pas sans émotion que je revois et relis dans ces pages les poètes Georges Saint Clair (pseudonyme de l'abbé Jean Bégarie) que j'étais allé voir plusieurs fois à Pontacq, à côté de Pau, patrie du général Barbanègre, et Marie-Thérèse d'Arcangues.
Sans compter que j'allais siroter dans son "château-poème" le whisky du marquis Guy d'Arcangues, tout cela vers les années 1990-1995. Comme je m'étonnais de sa bienveillance envers moi, il me confia que j'étais l'un des rares avec qui il osait parler de poésie.
Comme l'écrit Théophile Gautier dans ses "Emaux et Camées :
"Tout passe, l'art robuste
Seul à l'éternité
Le buste
Survit à la cité".

Légende : l’abbé Bégarie dans sa bibliothèque de Pontacq, avec Paul Mirat - © Daniel Rosé

Répondre à () :

Alan Abeberry | 01/05/2020 14:46

Merci de cette information poétique. J'aurais aimé lire 1 de ses poèmes, introuvable sur le web.

Michael Hickins | 02/05/2020 02:09

Belle histoire. L’art, l’amitié, et le hazard font bien les choses bien ensemble.

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