Dans un bar à New York, trois personnes sont attablées derrière un comptoir. Au milieu de ce trio, une femme asiatique Nora (Greta Lee), à sa droite Hae Sung (Teo Yoo) un coréen, à sa gauche Arthur (John Magaro), un américain. Leur conversation est suivie du point de vue de deux spectateurs (voix off, hors champ) qui supputent, intrigués, leurs relations ; trop éloignés, ils n’entendent pas leurs dialogues.
La femme est-elle celle du coréen en voyage à New York ? Explique-t-elle les demandes de son mari à l’américain en les traduisant ? Le new yorkais, est-il un guide touristique ? Ou bien l’américain est-il le mari de la femme ? A l’évidence, il s’ennuie de ne pas pouvoir participer aux échanges en coréen. En définitive, toutes les combinaisons relationnelles semblent possibles.
Flash-back : vingt ans plus tôt en Corée du Sud. Nora, écolière, âgée de 12 ans, de retour de l’école, pleure pendant que le copain de sa classe, Hae Sung, tente de la calmer en s’excusant : il est certes, pour une fois, le premier au tableau trimestriel, place qu’il a ravie à Nora. Hae Sung est navré, mais face à la détresse de Nora, certifie qu’elle reprendra sa place à coup sûr. Sur cet échange conciliant, ils se séparent …
Les parents de Nora, deux intellectuels, décident d’émigrer à Toronto (Canada anglophone) afin d’échapper à la difficulté de vivre en Corée du Sud (instabilité politique, sociale et économique). Ils partent avec Nora tranchant ainsi son lien avec Hae Sung, son ami d’enfance. Les années passent. A 20 ans, par hasard sur le réseau internet, Nora devenue new yorkaise, a de brèves nouvelles de Hae Sung … La piste se perd.
A 30 ans, ils sont de nouveau réunis : Hae Sung a décidé de prendre une semaine de vacances à New York afin d’oublier ses ennuis personnels et professionnels. Il travaille dans un métier sans intérêt alors que Nora, devenue écrivaine, est l’épouse d’Arthur, un romancier reconnu.
L’arrivée de Hae Sung va-t-elle bouleverser l’existence de Nora et d’Arthur ?
Céline Song (35 ans) dramaturge de nationalité sud-coréenne et canadienne, basée aux États-Unis a écrit et réalisé Past Lives – Nos vies d’avant, son premier long métrage fortement autobiographique. En effet, à 12 ans elle a quitté son pays natal pour émigrer au Canada (province de l’Ontario), puis à l’âge de 20 ans aux États-Unis à New York précisément.
Le premier opus de Céline Song narre une histoire mille fois contée, celle du triangle amoureux à pôle féminin. Une femme est indécise entre deux hommes épatants, mais caresse le rêve illusoire d’une synthèse ou d’une alternance. Situation banale : film banal ? Il n’en n’est rien.
La réalisatrice/scénariste enrichit le récit par des « ingrédients » : un amour d’enfance en Corée du Sud (régime autoritaire) ; une séparation physique, un saut dans l’espace (Canada, États-Unis), une rupture culturelle (sociétale, langagière). Le triangle « parfait » dans la même socio-culture devient bancal dans ces dissonances. Past Lives – Nos vies d’avant, remplit ces discordances : des échanges banals, les non-dits, un léger brouillard masquant le passé, etc. Les apparences ne sont pas trompeuses : Hae Sung aime toujours Nora. A l’annonce de sa venue impromptue à New-York, Arthur déclare à sa femme : « Qu’est-ce que tu racontes ? Il vient te voir parce qu’il est amoureux de toi »).
Sur un sujet mille fois rebattu dans la production hollywoodienne (et pas que !) Céline Song, à partir de son propre « terreau », réussit, sans effets spectaculaires (par exemple des rendez-vous clandestins dans des lieux improbables !), à témoigner d’une histoire simple, universelle, avec une rare subtilité difficile a exprimer au cinéma (effet grossissant !). Elle sublime, par son écriture, une mise en image simplifié, mais maitrisée, ce qui auraits pu basculer dans un drame bourgeois (la résolution du triangle amoureux).
Elle a déclaré : « Ce qui définit le drame dans les films et les récits, ce sont les adultes qui se comportent comme des enfants. A l’inverse, Past Lives – Nos vies d’avant est un film sur trois personnes qui font de leur mieux pour être adultes ».
Past Lives – Nos vies d’avant a obtenu cinq nominations au Golden Globes 2024 (cérémonie le 4 janvier 2024) : Meilleur film, Meilleure réalisation, Meilleur scénario, Meilleure actrice, Meilleur film en langue étrangère.