Le 1er août dernier, en présence des autorités civiles et militaires, françaises et espagnoles, a eu lieu la passation des pouvoirs conférés aux commandants des marines espagnole et française sur l'île des Faisans.
Pour la première fois, ces pouvoirs reviennent à une « vice-reine » : il s'agit de Pauline Potier, directrice départementale adjointe des territoires et de la mer des Pyrénées-Atlantiques, déléguée à la mer et au littoral des Pyrénées-Atlantiques et des Landes (puisqu'il n'y a plus de "commandant de la Marine" à Bayonne, et que sa résidence à Saint-Jean-de-Luz, la villa "Ugaina", avait été vendue par l'Etat au début de l'année dernière).
L’occasion de rappeler de nombreux épisodes historiques qui s’y étaient déroulés.
Le riche passé de l’Île des Faisans
On y signait de tous temps des faceries entre communautés basques frontalières, en particulier pour la délimitation des zones de pêche, et des traités de bonne correspondance entre ports labourdins et guipuzcoans ou biscaïens afin de maintenir le commerce transfrontalier par cabotage malgré les guerres incessantes entre les royaumes de France et d’Espagne.
Au XVIème siècle, on y délimita le territoire du diocèse de Bayonne qui fut amputé de sa partie méridionale, la vallée de Baztan et la côte guipuzcoane jusqu’à Saint-Sébastien.
François Ier traversa cette île lorsqu’il fut fait prisonnier à la bataille de Pavie et à proximité, on procéda à l’échange, contre ses deux fils donnés en otages, de l’énorme rançon de 1.200.000 écus exigée par Charles Quint pour la libération du roi de France. Ils étaient accompagnés d’Eléonore d’Autriche, sœur aînée de Charles Quint, et future deuxième épouse de François 1er. Autre échange royal, en 1615 lorsque ambassadeurs français et espagnols accompagnèrent sur l’île deux fiancées royales : Elisabeth, fille d’Henri IV, promise à Philippe IV d’Espagne, et la sœur de ce dernier, Anne d’Autriche, destinée au jeune Louis XIII.
Quant à la signature de la Paix des Pyrénées le 7 novembre 1659, elle fut précédée par d'innombrables conflits d'étiquettes qui avaient fait choisir l'île « reconnue comme mitoyenne entre les deux royaumes ».
On y construisit un bâtiment qui la divisait en deux parties égales, l'une réservée aux Français, l'autre aux Espagnols, avec, en son milieu, une salle munie de deux portes, affectées à la même destination, et meublée, moitié par Luis de Haro et moitié par Mazarin, les deux moitiés séparées par deux tapisseries !
Sur le bord de la séparation étaient placées, de chaque côté, une table et une chaise, pour chacun des deux plénipotentiaires (le baron de Watteville, gentilhomme franc-comtois, pour l’Espagne, et le marquis de Chouppes pour la France) qui se trouvaient, tels des experts géomètres selon une symétrie rigoureuse, l'un sur territoire français et l'autre, sur territoire espagnol.
Entre la signature du Traité et ses noces à Saint Jean de Luz, Louis XIV eut une entrevue sur l’île avec Philippe IV pour confirmer les clauses du mariage royal.
En 1861, l’empereur Napoléon III et Isabelle II, reine des Espagnes, y élevèrent un monument commémoratif du traité.
C’est encore maintenant le seul condominium à souveraineté alternée : espagnole de février à juillet, l’île devient française chaque année d’août à janvier !
En effet, les deux Etats français et espagnol partagent la souveraineté de cet îlot de 3 000 m² sur la Bidassoa, en application de l'article 27 du traité des limites signé entre les deux pays à Bayonne en 1856 (« propriété par indivis à la France et à l’Espagne ») et de la Convention du 27 mars 1901 qui fixe son statut particulier.
Chaque pays était représenté par un vice-roi, alternativement, l’officier de marine commandant la base navale de l'Adour ou son homologue de Fontarabie et de Saint-Sébastien.
Un des prédécesseurs - sur la Bidassoa - du commandant de la Marine à Bayonne fut le lieutenant de vaisseau Julien Viaud, plus connu sous son nom de plume de Pierre Loti, qui écrivit son célèbre roman « Ramuntcho » au cours de son affectation.
Il m’avait été donné, il y a quelques années, d’assister (en tant que membre du Corps Diplomatique dans la région) à une de ces passations de pouvoir entre commandants de la Marine français et espagnol.
Et notre collaborateur Manech Barace se souvient, à ce propos, de ses dernières années comme Officier marinier de Réserve : parmi ses fonctions, il convenait « d'assurer la permanence de la marine à Hendaye, un ou deux samedis par mois, en complément de la permanence assurée par du personnel de la Base de l'Adour le mardi matin.
Entre autres, la vérification des documents d'assurance et l'autorisation de mouillage pour les voiliers dans la baie de Txingudi (hors port de plaisance), la mise à jour des autorisation de pêche pour les riverains de la Bidassoa (Biriatou, Urrugne, Hendaye, Irun, Hondarribia), seuls autorisés à effectuer des prélèvements dans la rivière (héritage du Traité des Pyrénées en 1659). le tout en relation avec le COMAR Bayonne (Commandant de la Base navale de l'Adour) et le commandant de la marine de Saint-Sébastien (une annexe est abritée dans une jolie maison basque aux volets verts à Fontarabie/Hondarribia) ».