Lorsque des expériences difficiles se convertissent pour servir le bien commun, alors des courageux se lèvent pour accomplir leur tâche avec Action de grâce. Rencontre avec Bernard Beyt, chef d’une PME du BTP de 50 employés qui n’a jamais baissé les bras devant l’adversité et pour qui le travail est d’abord une question de Dignité.
Léon Bloy, pourfendeur devant l’éternel des bassesses mondaines, s’amusait à s’appeler « entrepreneur de démolition ». D’autres entreprennent de construire leur vie bon an mal an, c’est votre cas, Monsieur Beyt. Enfant, vous êtes baptisé par tradition mais aucun membre de votre famille n’est pratiquant. Très tôt vous êtes livré à vous-même, à l’âge de 17 ans vous devez quitter le giron familial ; qu’avez-vous donc appris de cette expérience ?
- Cela m’a donné la volonté de me battre. En tant que chef d’entreprise, je pose un nouveau regard sur les autres, ceux-là mêmes qui veulent s’en sortir pour se forger un avenir.
Quel regard portez-vous sur le monde du travail aujourd’hui ?
- Nous sommes dans un monde qui a oublié l’humain, qui ne le préserve plus. Les multiples procédures mises en place dans le monde de l’entreprise à tous les niveaux ont tué les relations humaines. De nombreux jeunes qui sortent frais émoulus d’écoles d’ingénieurs nous le disent : « l’humain, c’était avant ». C’est terrifiant, la notion « poignée de main » a disparu.
En rachetant une entreprise, vous avez voulu lui donner un nouveau souffle tant humain qu’économique, aujourd’hui elle prospère, vous avez notamment travaillé pour l’hôtel du Palais à Biarritz lors du G7. Comment réussit-on à concilier rentabilité, responsabilité managériale, licenciement, avec une âme de catholique ?
- En qualité de président, je suis le plus fragile des membres qui compose cette entreprise, cela me permet d’avantage d’accepter les fragilités de mes salariés.
Une entreprise est composée d’êtres humains avec leurs qualités et leurs pauvretés, il faut savoir composer avec ses deux aspects. Il est aussi évident que l’environnement économique et les risques liés aux métiers du bâtiment sont autant de facteurs à prendre en compte dans le management.
Le licenciement, c’est un véritable problème. Valoriser le travail, accepter les règles ce n’est pas un problème, cela s’appelle le savoir-vivre. Le licenciement est dans tout les cas un échec, pour moi comme pour ceux qui en font les frais mais il est inévitable lorsque les règles édictées au sein d’une entreprise ne sont plus respectées. En tant que chef d’entreprise, je dois faire le choix de ne pas garder d’éléments qui porteraient préjudice à l’entreprise en raison de leurs comportements.
Par deux fois, avant de les licencier, j’ai tenté d’accompagner mes salariés afin qu’ils prennent conscience de leur problème d’addiction à l’alcool ; ils mettaient leur vie en danger ainsi que celles de leurs collègues. Dans une entreprise du BTP où les risques sont quotidiens, il faut agir. À cet égard, la rupture conventionnelle permet d’éviter les conflits, de rester en bons termes. Ma foi catholique m’aide quotidiennement afin de ne pas sombrer dans le jugement hâtif de tel ou tel salarié, le travail doit être un lieu où la dignité de l’homme s’exerce. Je fais souvent un parallèle avec la règle de Saint Benoît qui m’est chère : « Si l’infidèle s’en va, qu’il s’en aille ; afin qu’une brebis n’infecte pas le troupeau » (*).
Ne faut-il pas, lorsque l’on possède un certain pouvoir de décision et d’action, revenir à Dieu chaque instant, afin de ne pas tomber dans l’ego ou la mégalomanie ?
- C’est un problème que l'orgueil, mais c’est la foi qui me permet de ne pas copiner avec l’ego, je dirais que le plus difficile pour moi c’est l’argent, c’est lui qui nous corrompt, qui modifie nos comportements originels ; ma foi me ramène à de vraies valeurs morales et catholiques. L’argent trop souvent est synonyme de misère humaine. Mon engagement professionnel est totalement désintéressé financièrement, l’argent reste pour moi un moyen et non pas le but de ma vie.
Parlons de votre conversion, votre rencontre avec le Christ ?
- Ce jour là, je me rendais à une réunion de chantier. Sur la route, je stoppais au péage ; la situation était apocalyptique, des trombes d’eau s’abattaient sur nous. Alors que la barrière se levait, je vis surgir devant moi un hurluberlu -je le pensais à cet instant- tout vêtu de blanc, portant un sac sur l’épaule. Cet homme faisait tout bonnement du stop, il me demanda de l’amener à la gare, à cause d’un covoiturage qui n’était jamais venu. Figurez-vous que cette personne à qui je rendis service fut un des moines bénédictins olivétains de l’Abbaye de Maylis dans les Landes. Suite à cette rencontre, j’ai cherché, sans trop savoir pourquoi, à le retrouver, la grâce de mon baptême agissait peut-être à cet instant ? J’ai donc appelé l’Abbaye un mois plus tard, et savez-vous qui m’a répondu au téléphone ? Le moine en question ! J’ai poussé les portes du monastère… Après m’être confié, j’ai su pourquoi je venais : soigner mon âme. Le père m’a demandé si je voulais recevoir le sacrement de réconciliation, j’ai dit oui sans hésiter. Nous étions en 2016, l’année du jubilé de la Miséricorde, cela ne s’invente pas.
À quoi aspire un chef d’entreprise catholique au XXIème siècle ?
Être le guide et le premier serviteur, à l’image d’Abraham. Je repense souvent quand je suis au travail à ce que le Christ nous dit « Ce que je fais, faites-le » et je me demande toujours comment le Christ agirait dans telles ou telles situations ? Je fais partie du mouvement des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, cette espace de paroles me permet d’échanger afin d’avoir des retours d’expérience d’autres chefs d’entreprises, nous avons également la chance d’être accompagnés par le Pére Santuc sur divers sujets.
Avez-vous une devise, une prière qui accompagne votre quête spirituelle ?
« Esprit Saint, je Te demande le don de la Sagesse, pour une meilleure compréhension de Toi et de Tes divines Perfections. Je Te demande le don de l’Intelligence pour une meilleure compréhension de l’Esprit des Mystères de la Sainte Foi. Donne-moi le don de Science, pour que je sache orienter ma vie selon les principes de cette Foi. Donne-moi le don de Conseil, afin qu’en toute chose je puisse chercher conseil auprès de Toi et le trouver toujours auprès de Toi. Donne- moi le don de Force pour qu’aucune peur ou considération terrestre ne puisse m’arracher à Toi. Donne-moi le don de Piété, afin que je puisse toujours servir Ta Majesté divine avec amour filial. Donne-moi le don de Crainte de Dieu pour qu’aucune peur ou considération terrestre ne puisse m’arracher à Toi. Ainsi soit-il » (**) .
(*) Dans la règle de Saint Benoît au chapitre XXVIII.
(**) Prière de Saint Jean Paul II récitée dès l’âge de 11 ans et jusqu'à sa mort. Cette prière lui avait été transmise par son père.
Propos recueillis par Louis-Jean de Barmon
Légende : Bernard Beyt