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Cinéma La critique de Jean Louis Requena
Only the River Flows (101’) - Film chinois de Wei Shujun
Only the River Flows (101’) - Film chinois de Wei Shujun

| Jean-Louis Requena 773 mots

Only the River Flows (101’) - Film chinois de Wei Shujun

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Only the River Flows de Wei Shujun ©
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Zhu Yilong et Chloe Maayan dans Only the River Flows.jpg
Zhu Yilong et Chloe Maayan dans "Only the River Flows" ©
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Un garçonnet, déguisé en policier, le bras armé d’un pistolet en plastique, court dans les couloirs d’un immeuble délabré. Il ouvre brutalement une porte qui donne sur le vide : à ses pied Banpo, une petite ville chinoise. La pluie tombe à verse. 
Nous sommes en 1995 en Chine du sud. Dans le commissariat de la ville, le chef de la police (Hou Tianlai) recommande à ses subordonnés de jouer au ping-pong que lui-même pratique assidûment. Afin de faire une photo du groupe en uniforme, il demande au chef de la police criminelle, l’inspecteur Ma Zhe (Zhu Yilong), en veste de cuir de venir le rejoindre.

Sur les rives d’une rivière qui traverse la ville, une vieille femme est assassinée avec une arme tranchante. Ma Zhe, alerté, arrive sur les lieux avec son jeune adjoint. La scène du crime a été polluée par les allées et venues d’autres policiers déjà sur les lieux. 
De fait, ils ont très peu d’indices. La vieille femme agressée, était connue de la communauté : elle hébergeait Xie (Tong Linkai), un original réputé fou. Il devient le principal suspect. Informés par les voisins, Ma Zhe et son adjoint le recherchent activement.

Le Chef de la police annonce une grande nouvelle : le commissariat va déménager dans un cinéma du centre-ville tombé en déshérence faute de spectateurs. Le déménagement doit s’effectuer au plus vite. Les policiers sans plus tarder investissent les lieux. Ma Zhe hérite d’une petite pièce à l’étage du bâtiment : c’est la cabine de projection du cinéma où somnolent de vieux projecteurs et d’antiques pellicules de 35 mm.

Ma Zhe est marié à Bai Jie (Chloe Maayan) laquelle se plaint de ses absences répétées liés à ses enquêtes. Elle est enceinte. Ils attendent leur premier enfant dans un mélange d’espoir et de crainte. L’enquête piétine… La pluie ne cesse de tomber…

Only the River Flows est le troisième long métrage de Wei Shujun (33 ans) adapté par ses soins d’une nouvelle de l’écrivain chinois Yu Hua (63 ans). Malgré son jeune âge, Wei Shujun a déjà présenté ses deux précédentes œuvres au Festival de Cannes : Courir au Gré du Vent (Sélection officielle 2020) un récit de jeunesse ; Ripples of Life (Quinzaine des réalisateurs 2021) une comédie d’humour noir. 
Son troisième opus relève du genre « film noir » rompant ainsi avec ses deux précédents. Le film de Wei Shujun a été fabriqué dans le cadre marginal, en Chine, de films indépendants d’art et essai. Le scénario, le financement, le tournage (pellicule couleur alors que le numérique s’est imposé) sont hors des productions prestigieuses (blockbusters) financées par les grands studios et vues par des millions de chinois.

Afin de contourner les obstacles à son projet tels que la difficulté de trouver un financement, de contourner la censure d’Etat, Wei Shujun doit faire preuve de créativité à tous les stades de la fabrication de son long métrage. Ainsi, le récit a été tourné dans l’ordre chronologique et monté directement en post-production au fur et à mesure du visionnage des rushes. C’est une méthode peu commune, mais rapide et économique.

Le générique de Only the River Flows s’ouvre sur une citation d’Albert Camus (1913/1960) : « On comprend par le destin et c’est pourquoi je suis fait destin. J’ai pris le visage bête et incompréhensible des dieux ». Dans le genre « film noir », l’enquête se déroule telle une bobine de fil pour arriver à une conclusion somme toute logique : la découverte du criminel et de ses motivations. 
Ici, il n’en est rien. L’opacité, l’ambiguïté, des principaux protagonistes, en particulier de Ma Zhe lequel s’égare, se perd, dans sa vie professionnelle et sa vie privée. Épuisé, l’esprit tourmenté, il les amalgame dans des songes oniriques. Aussi, refuse-t-il de conclure l’enquête avec l’arrestation d’un « coupable acceptable » aux yeux des autorités. En haut lieu, on veut classer l’affaire, affirme le chef de la police. Ma Zhe ne le peut pas.

Only the River Flows est un « film noir » à la facture classique, aux images sombres (photographie de Zhiyang Chengma), magnifiées par le grain argentique (pellicule). Toutefois, le récit est tout en incertitude, comme « flottant » dans sa narration, à l’instar du courant de la rivière qui traverse la ville. Mais ce long métrage est aussi un tableau saisissant des relations sociales dans la Chine des années 90 à travers les portraits fouillés de plusieurs personnages que Ma Zhe côtoie : sa femme enceinte, le chef de la police, son adjoint, les suspects, etc. Cette fiction sous une forme genrée (film noir/policier) mérite d’être vue pour ce qu’elle révèle en creux (sous-texte), de la société chinoise.

Only the River Flows a été projeté au Festival de Cannes 2023 dans la section Un Certain Regard

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