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Portrait
Oncles d’Amérique, version « basque »
Oncles d’Amérique, version « basque »
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| Jacques de Cauna 739 mots

Oncles d’Amérique, version « basque »

Vient de paraître en anglais aux Presses de l'Université Johns Hopkins de Baltimore Fortune et désastre. Les migrations atlantiques d'un ville pyrénéenne aux 18e et 19e siècles, de Pierre Force.

Ce très bel ouvrage d'un éminent professeur de Columbia University, ancien normalien d'Ulm, habilité par la Sorbonne, historien, littéraire, économiste et philosophe, doyen du département des Humanités puis directeur des études supérieures du département de Français de cette grande université new-yorkaise, retrace  avec une grand richesse de détails et de précisions l'étonnante aventure des Lamerenx d'Uhart-Juzon et des Mouscardy, deux familles basques « américaines » de La Bastide-Clairence, l'une noble, l'autre roturière, émigrées à Saint-Domingue (Haïti) pour devenir planteurs caféiers dans le quartier montagneux du Dondon proche du Cap-Français dans le nord de la colonie. Les premiers passèrent après la Révolution à Cuba (Matanzas) et enfin à la Louisiane (La Nouvelle-Orléans), suivant en cela un parcours fréquent chez nos émigrants basques, béarnais et gascons à l'époque. Alors que les seconds restèrent haïtiens après l'indépendance (1804) par leur branche naturelle de couleur.

Pierre Force a choisi délibérément la micro-histoire de vie d'après en se référant au titre d'une comédie de Scribe donnée à Paris en 1826 : L'oncle d'Amérique. On peut imaginer aisément ce que représentait à l'époque cette image répandue jusqu'au plus profond de nos vallées pyrénéennes en termes de fortunes originaires non des Etats-Unis comme on le pense aujourd'hui mais bien de la colonie à esclaves de Saint-Domingue. « Amériquain » et « millionnaire » restaient toujours alors synonymes, même si s'y mêlait l'image antinomique forte du désastre de la brutale chute provoquée par la révolution.  

Mais cette étude de cas au contexte migratoire plus large, et capital pour notre région, est surtout un grand livre d'histoire, à la fois locale et globale, connectée entre singulier et universel, chronique et analyse, un ouvrage qui est appelé à devenir une œuvre de référence pour tous ceux qui s'intéressent à notre histoire pyrénéenne et à son ouverture internationale sur les Amériques, et qui veulent connaître et comprendre le fond coutumier qui a régi, jusqu'à il y a peu encore, ces migrations et reste l'un de nos marqueurs identitaires, en même temps que les traces patrimoniales laissées dans nos villes et villages par les générations précédentes d'Amerikanoak, devant lesquelles nous passons parfois avec trop d'indifférence. L'ouvrage s'ouvre d'ailleurs de manière significative en exergue sur une allusion à l'origine des recherches de terrain menées au départ par l'auteur sur une maison de Labastide-Clairence, la maison Berrio devenue ensuite jeu de paume puis trinquet : Hapette trinketaren orhoitari. Il faut dire que Pierre Force, après un tiers de siècle d'années « américaines » à New-York, a conservé de solides attaches locales en pays de Soule dont on connaît les liens anciens avec les pays basques, béarnais et gascons. Il réside régulièrement l'été au pays, à Trois-Villes, à deux pas du château d'Elizabea du fameux capitaine de mousquetaires, Jean-Armand du Peyrer, comte de Trois-Villes, alias Tréville dans le célèbre roman d'Alexandre Dumas.

Au total, une somme incontournable en même temps qu'une fascinante saga fondée sur de minutieuses recherches en archives et une solide connaissance à la fois du terrain des coutumes locales navarraises et des cadres conceptuels posés par les grands précurseurs de l'ethno-sociologie (Lévi-Strauss, Bourdieu, Lefebvre, Le Play ...) mais aussi les chercheurs « locaux » (Arrizabalaga, Blazquez, Cauna, Nassiet...). Avec l'appui d'un solide réseau amical de proximité pourvoyeur d'informations inédites sur les personnes et familles, dans la lignée des démarches pionnières de Gabriel Debien et de L'Eldorado des Aquitains sur les archives privées étendues à l'occasion à Haïti, Cuba, La Louisiane.

Et finalement, un travail exemplaire assorti d'une lecture passionnante réunissant sur fond de plantations, piraterie, esclavage, révolutions, fortunes et ruine, l'épopée de ces deux familles transatlantiques dans une étude de cas d'une rare finesse d'analyse. Au-delà de l'apport factuel à un champ historique qui nous concerne particulièrement, et pour reprendre notre païs Pierre Bourdieu, un véritable « antidote contre l'amnésie de la genèse [... par] la reconstruction de l'histoire oubliée ou refoulée qui se perpétue dans ces formes de pensée en apparence anhistoriques qui structurent notre perception du monde et de nous-mêmes ». Un grand merci à Pierre Force ! A lire absolument !
Pierre Force, Wealth and Disaster. Atlantic Migrations from a Pyrenean town in the Eighteenth and Nineteenth Centuries, Baltimore (USA), Johns Hopkins University Press, 2016, 230 pp, nombreuses illustrations, cartes, tableaux, graphiques, généalogies...

Jacques de Cauna, Docteur en Histoire

 

 

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