Un homme, Felice Lasco (Pierfrancesco Favino), la cinquantaine, arrive à Naples (Italie) par avion. C’est sa ville natale d’où il s’est enfui précipitamment, il y a 40 ans. Depuis ces quatre décennies, Felice a vécu dans divers pays musulmans ; il arrive du Caire (Égypte) où il l’y a laissé sa femme, Arlette (Sonia Essaïdi), et son entreprise. Il descend dans un hôtel de luxe près du port.
Le soir, il sort et flâne, loin du centre-ville, le nez au vent, dans le quartier populaire de Naples : Sanità. Ce quartier défavorisé, loin du centre-ville est agencé autour de ruelles malodorantes, de placettes encombrées, de petites échoppes bigarrées, d’églises décaties. Toute une population, de toute origine, y vit, y travaille, sous le contrôle constant de la « Camorra », pègre locale qui surveille le petit peuple à l’aide de nombreux guetteurs.
Sanità est le lieu précis de naissance de Felice qui y a vécu jusqu'à sa 14ème année avant de fuir. Il retrouve les petites trattorias, de minuscules restaurants familiaux ; il est chez lui : il retrouve ses parfums d’enfance. Sa mère, Teresa (Aurora Quattrocchi), très âgée demeure à Sanità, dans le dénuement logeant dans un minuscule appartement, insalubre, au rez-de-chaussée d’un immeuble vétuste. Elle a toujours habité à cette adresse, mais au 4ème étage dans un logement lumineux.
Le chef de gang de la « Camorra » Oreste Spasiano (Tommaso Ragno), surnommée Malommo l’a contrainte au déménagement. Teresa résignée, se satisfait de son sort ; Felice, son fils qu’elle a retrouvé avec joie, réagit : il décide de prendre les choses en main d’autant qu’Oreste est un ami d’enfance avec lequel il a fait, jadis, les 400 coups.
Dans ses déambulations journalières, il s’arrête devant une des nombreuses églises où sur le parvis, face à un rassemblement, un prêtre en soutane exhorte ses ouailles à ne pas céder à la main puissante et invisible de la « Camorra » : c’est le père don Luigi Rega (Francesco Di Leva), un ecclésiastique énergique. Felice se rapproche de ce curé qui tente d’arracher, avec quelques succès, par des activités sportives et culturelles, des jeunes désœuvrés, proies faciles pour la délinquance.
Le prêtre et Felice se lient d’une amitié tumultueuse, rugueuse. Felice veut absolument rencontrer Oreste, le Malommo personnage très dangereux, cruel et sanguinaire ; don Luigi Rega tente de le dissuader, en vain. Felice reste confiant …
Le réalisateur italien Mario Martone (63 ans), également metteur en scène de théâtre et d’opéra (Cavallera rusticana, Pagliacci à la Scala de Milan), est le coscénariste de Nostalgia rédigé avec l’aide de sa femme Ippolita Di Majo. Le scénario est une adaptation très libre d’un roman remarquable, écrit par le journaliste Ermanno Rea (1927/2016).
Le film s’ouvre sur une citation de Pier Paolo Pasolini : « La connaissance est de la nostalgie. Qui n’est pas perdu ne se connait pas ». C’est la poutre maîtresse du long métrage de Mario Martone. Felice dans le labyrinthique quartier de Sanità vit à la fois dans le présent très prégnant, et avec des souvenirs d’un passé douloureux. Mais c’est un homme mûr, détaché, devenu autre dans un environnement sociétal différant : il ne boit pas d’alcool, il s’est converti à l’Islam. Felice a radicalement changé, mais pas son quartier de jeunesse, toujours en proie à une violence continue dont il s’est extirpé en fuyant.
Mario Martone nous propose un récit construit habilement d’aller-retours entre le présent et le passé par la technique cinématographique des flash-backs. Son dernier opus est un quasi long métrage documentaire sur Naples mixé avec une fiction, qui tous deux, en se conjuguant, nous révèlent la complexité d’une ville aux multiples aspects, à l’histoire immémoriale et compliquée.
D’ailleurs, dans sa filmographie Mario Martone alterne les documentaires et les films de fiction au demeurant, hélas, peu distribués sur les écrans français. C’est le fils spirituel d’un grand cinéaste, lui aussi napolitain : Francesco Rosi (1922/2015).
Très intelligemment pour garder la fluidité du récit, les réminiscences du passé sont montrées en format 1.33 :1 (format du cinéma muet) et la narration du présent en format large (2.40 :1). A qualité photographique égale (chef opérateur, Paolo Carnera), nous suivons l’itinéraire de Felice à la fois dans son présent (déambulation diurne et nocturne dans Sanità) et dans son passé (course de motos, larcins, etc.) dans un quartier invariant, figé pour toujours dans son urbanisme brouillon, anarchique.
Felice, le voyageur sans bagage (Pierfrancesco Favino : près de 60 films dont Le Traître de Marco Bellocchio – 2018 ; Nos plus belles années de Giulio Ristuccia – 2020), et don Luigi Rega, l’homme de dieu volontaire (Francesco Di Leva) forment un couple improbable (musulman/catholique), interprété par deux comédiens au-dessus de tout éloge. Le premier aurait dû être récompensé par un Prix d’interprétation au dernier Festival de Cannes 2022. Il ne l’a pas été : c’est navrant. Nostalgia y a été projeté dans le cadre de la Sélection officielle.