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Cinéma
Nomadland (108’) Film américain de Chloé Zhao
Nomadland (108’) Film américain de Chloé Zhao

| Jean-Louis Requena 830 mots

Nomadland (108’) Film américain de Chloé Zhao

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Le tournage de "Nomadland" de Chloé Zhao ©
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"Nomadland" de Chloé Zhao. ©
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Fern (Frances Mc Dormand) la soixantaine, a perdu son dernier emploi à Empire, une bourgade du Nevada, où elle travaillait depuis des années avec son mari récemment décédé. La société United States Gypsum a fermé définitivement l’usine qui fabriquait des plaques de plâtres. Fern, sans attache familiale, décide d’aménager sommairement un van pour en faire un camping-car et partir, avec lui, sur les routes de l’ouest américain. 

Fern n’est pas sans domicile puisque sa résidence est son camping-car. Elle rejoint un rassemblement à Désert Rendez-vous (Arizona) où l’animateur Bob Wells (dans son propre rôle) anime un réseau de soutien pour les nomades. Ces migrants de l’intérieur, qui sillonnent les États Unis sont à la recherche de « petits boulots » occasionnels. Bob prône, l’autosuffisance, l’entraide, le partage, entre nomades qui ont choisi ce mode de vie si éloigné de l’« American Dream » (Rêve américain). Fern taiseuse, écoute et approuve cette philosophie de vie qui est désormais la sienne : il faut vivre pleinement, même modestement, dans son camping-car bricolé à la hâte.

Les migrants sillonnent les routes de l’ouest des États Unis au gré des saisons et des opportunités d’embauche : à noël, emballer les colis dans une plateforme Amazon ; aider en cuisine dans un fast-food au bord d’une nationale ; devenir hôtesse dans un camping dans le parc national des Badlands (Dakota du sud) ; ratisser des betteraves dans le Nebraska, etc. Dans ses incessants déplacements, elle reste distante, un peu à part des groupes, Fern fait néanmoins des rencontres : Swankie (Charlene Swankie) femme prolixe et malade qui se sachant condamnée veut vivre ses derniers moments dans la contrée idyllique qu’elle a jadis connue. Dave (David Strathain) un sexagénaire affable tente de se rapprocher d’elle …

Fern quasi muette, observe le monde changeant autour d’elle et poursuit sa route …

Nomadland (108’) est un ovni cinématographique, une sorte de fiction documentée, genre hybride que la jeune réalisatrice a établi dès son premier opus (Les Chansons que mes frères m’ont apprises – Songs My Brother Taught Me – 2015), puis conforté sur son deuxième (The Rider – 2017) tous deux réalisés dans la réserve Sioux du Dakota du Sud. La réalisatrice sino-américaine Chloé Zhao (39 ans) née à Pékin mais vivant aux États-Unis, a dès son premier long métrage un parcours atypique nourri par son existence à cheval entre deux cultures antagonistes : la chinoise et l’américaine. 
Pour Nomadland, elle s’est adossée au livre enquête de la journaliste Jessica Bruder paru en 2017 : Nomadland : surviving America in Twenty-First Century. 

Dans Nomadland il n’y a que deux acteurs professionnels, Frances McDormand (également productrice) et David Strathairn (Dave) et une petite équipe de tournage qui suit l’itinéraire des migrants, leurs regroupements, leur travail saisonniers etc. Grâce à un matériel numérique léger (steadicam et prise de son direct) celle-ci peut enregistrer des scènes ou les personnages principaux et secondaires sont mêlées indistinctement sans « polluer » l’ensemble. Chloé Zhao et son chef opérateur habituel le britannique Joshua James Richards (son compagnon) enregistrent ainsi de longues séquences aux « heures magiques » (lever du soleil et coucher du soleil) qui rendent sur écran large une vision à la fois pastorale, idyllique de paysages immenses aux horizons lointains. Quelques plans rappellent les espaces vides, ouverts, des grands westerns de John Ford (1894/1973) ou de Raoul Walsh (1887/1980) d’autres ceux de Terrence Malik (objectif de courte focale qui « élargit » le plan le dotant d’une grande profondeur de champ).

Chloé Zhao connaît les classiques du cinéma américain d’évasion (les westerns, les road-movies, etc.) ou des pionniers traversent les grands espaces de l’ouest vers le soleil couchant insérés, quasi dilués dans une nature prégnante. A deux reprises, Fern tout en conduisant son camping-car chantonne l’air du générique de la Conquête de l’Ouest (How the West Was Won – 1962- procédé Cinérama) film mythique qui retrace les épisodes de la longue migration vers l’ouest. Son road trip est vers l’océan Pacifique, comme les pionniers du XIX ème siècle. Les États Unis sont une terre de migrants.

Lors du tournage, Chloé Zhao a exigé de Frances McDormand de parler le moins possible, d’être laconique dans ses improvisations avec les acteurs occasionnels, non professionnels. Le résultat est saisissant car l’actrice dotée d’une présence naturelle forte (de surcroît elle est de presque tous les plans) prend un aspect granitique (visage, langage corporel) comme habitée par sa résolution : prendre la route et ne s’attacher à rien, pas même un à doux foyer (sweet home) qui est pourtant prêt à l’accueillir …

Nomadland a obtenu le Lion d’Or à la Mostra de Venise 2020 et à la cérémonie des Oscars 2021 pas moins de trois récompenses : Meilleur film, Meilleur réalisateur pour Chloé Zhao (deuxième réalisatrice à recevoir ces deux récompenses depuis Kathryn Bigelow en 2010 pour Démineurs) et Meilleure actrice pour Frances McDormand (son troisième Oscar après Fargo -1997, et Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance – 2018). 

En espace de cinq ans et trois longs métrages, Chloé Zhao a démontré qu’elle était une grande réalisatrice, scénariste, monteuse et productrice promise à un grand avenir.

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