Paris 1952. Niki Mathews (Charlotte Le Bon) et son mari Harry (John Robinson) sont installés dans un appartement de la capitale. Niki (en réalité Catherine de Saint Phalle) de nationalité franco-américaine a été un mannequin réputé (magazines : Vogue, Life, Elle. etc.). A Paris, elle est une mère de famille un brin débordée par ses tâches ménagères. Harry, de nationalité américaine, est un poète amoureux de sa femme, épousée en 1948. Après la naissance de leur deuxième enfant, Niki traverse une crise existentielle grave alimentée par des réminiscences de son enfance : elle a été violée par son père à l’âge de douze ans. Elle est de plus en plus perturbée…
Après quelques hésitations, Harry la fait interner quelques semaines dans un établissement psychiatrique. Elle est prise en charge par le Docteur Cossa (Alain Fromager). Leur relation est tendue : Niki se montre rebelle, incontrôlable, agressive avec des intervalles d’abattement. Désœuvrée toute la journée, elle réclame du matériel pour peindre, seul moyen qu’elle possède pour apaiser ses crises d’angoisse. Après maints affrontements avec le médecin, elle obtient, enfin, des couleurs. Sa production picturale abondante surprend le Docteur Cossa et ravit son mari.
Sortie de l’établissement psychiatrique elle continue de peindre ; bientôt, dans Paris, elle s’installe dans une résidence d’artistes au fond de l’impasse Ronsin, au cœur du quartier Montparnasse (XVème arrondissement). Niki est une autodidacte qui n’a jamais suivi d’enseignement académique mais grâce à la proximité d’autres plasticiens, elle progresse dans son travail, stimulée par un fort environnement culturel. Ses voisins sont des artistes débutants ou confirmés : les sculpteurs Constantin Brâncusi (1876/1957), les plasticiens Jean Tinguely (Damien Bonnard), Eva Aeppli (Judith Chemla) son épouse, Arman (1928/2005), Daniel Spoerri (John Fou), etc.
Ces jeunes créateurs forment un groupe de plasticiens promis à un grand avenir. Les rencontres, les échanges, les fêtes encouragent leurs expériences…
Niki est la première œuvre cinématographique de Céline Sallette (43 ans) par ailleurs actrice (40 films) et comédienne dans le théâtre subventionné. Elle a été passionnée par la vie d’artiste, de combattante féministe de Niki de Saint Phalle (1930/2002) découverte sur Instagram (interview de celle-ci par Juliette Binoche) ; par la relation chaleureuse, prodige avec Jean Tinguely (1925/1991) d’abord son compagnon, puis son mari à partir de 1971. Ce dernier a facilité, grandement, l’éclosion de son génie (Les Nanas, Le Jardin des Tarots, etc.). Le récit du parcours de Niki démarre en 1952 (arrivée en France) jusqu’à la première séance des Tirs en 1961 (impasse Ronsin), performance qui marque l’éclosion de l’artiste sur la scène nationale puis internationale.
Le scénario est sage mais découpé en chapitres comme autant de volets de l’existence de Niki. Le récit sur l’écran est élégant et fluide avec des images éclairées (Photographie Victor Seguin) suivant les moments de sa vie dramatique (crises de dépression, internements, etc.) et la maîtrise, laborieuse, de l’art pictural. Le format image est peu fréquent (1.55 :1), à mi-chemin entre les images larges et celles carrées. Aussi, le sentiment d’enferment névrotique, les dépressions, les angoisses de Niki, apparaissent comme renforcées pour le spectateur. A cela s’ajoutent des écrans séparés (split screnn) lesquels décuplent pour nous, les difficultés qu’éprouve Niki pour briser les obstacles (psychiques, techniques : c’est une autodidacte !).
Niki de Saint Phalle est incarnée, littéralement, par l’actrice Charlotte Le Bon, réalisatrice elle aussi d’un premier film attachant et sensible sur l’adolescence : Falcon Lake (2022). Elle est également un ancien mannequin et plasticienne, comme Niki de Saint Phalle. C’est peu dire qu’elle s’est investie totalement dans ce film qui comprend quelque scènes poignantes (hôpital, le médecin, les premiers échecs artistiques, etc.). Le sujet du film est l’histoire extraordinaire d’une transformation.
Le genre « biopic » très couru en ce moment peut s’avérer catastrophique sur l’écran soit par la paresse du scénario (la trame de l’histoire est déjà écrite), soit par la nonchalance lors du tournage puis du montage (récits chronologiques basiques, scènes clés inévitables, etc.). Céline Sallette évite ces trappes à « biopics » aidée en cela par Samuel Doux son coscénariste expérimenté (« raccommodeur » de scénarios). Notons que pour des questions de droit, la réalisatrice n’a pas eu accès aux œuvres de Niki de Saint Phalle lesquelles donc sont absentes de l’écran. Cependant, les œuvres de l’artiste étant largement diffusées dans le grand public, cela ne gêne pas le spectateur. L’arc narratif d’une durée courte (1952 à 1961) est celui d’une transmutation : histoire avant l’Histoire.
Niki a été présente au Festival de Cannes 2024 dans la section Un certain regard.