Cette page d’histoire du passé mérite d’être rapportée aujourd’hui encore à cause de l’influence que Napoléon exerça pour orienter le Règlement funéraire en France à partir de 1804. Ce règlement rayonna en Europe et en d’autres pays qui adoptèrent eux aussi ces idées neuves.
On connait dans la culture romaine antique la Loi des Douze Tables qui stipulait l’interdiction d’inhumer des morts dans les limites de la ville éternelle de Rome.
L’Eglise, dès le Moyen Age, eut cependant à cœur de « fixer les morts dans les églises, sur le parvis et dans l’immédiateté de l’espace religieux », au moins pour les plus fortunés des fidèles qui assuraient ainsi leur sépulture de leur denier personnel. Le cimetière et l’église constituant l’âme du fidèle qui perpétuait de la sorte son adhésion spirituelle au lieu saint de sa vie, avant et après son décès.
Mais ce ne fut pas compter avec le sort de la plupart des autres sujets livrés à l’heure de la mort aux fosses communes dans un environnement d’une insalubrité inqualifiable et une hygiène qui posera question aux princes et aux chefs religieux devant l’état infâmant de leur accompagnement funéraire, aussi spartiate qu’intolérable.
- La France connaîtra des épidémies de peste, du choléra et de tant d’autres fléaux qui poseront à l’autorité publique la question de « la gestion de la mort dans l’urgence » et du nombre des cadavres, bien souvent livrés à des inhumations expéditives d’une commune indécence.
Si le cimetière existait – dans ses étroites dimensions -, on y menait une vie sociale singulière qui a disparu du paysage aujourd’hui : fêtes, chants et célébrations de danses funèbres réunissaient une population exogène, bien loin des préoccupations religieuses de ces premiers gestionnaires de l’espace funéraire.
Louis XVI dut interdire ces usages dans les cimetières du Royaume de France :
- On pensa dès ce moment interdire désormais l’inhumation des gisants dans le pavement des églises parisiennes, les sociétés charitables en charge des funérailles étant débordées par l’afflux des demandes et l’étroitesse de l’espace existant pour ce faire.
Faute de lieux prévus pour une population urbaine en pleine croissance, il fallut « penser plus grand », au-delà des 200 espaces de sépultures existants à Paris, et ajouter aux cimetières paroissiaux d’autres lieux privés dans la ville.
Le plus ancien « Cimetière des Innocents » parisien montrait des signes d’indisponibilité ; ce cimetière datant de 1423 était garni de sépultures à même la terre sur plusieurs niveaux, et les conditions d’insalubrité ajoutant les risques de propagation d’épidémies urbaines, se posait la question de chercher des solutions innovantes par rapport au passé. La population, lasse des senteurs pestilentielles alentour, réclamait d’autres réponses à ses attentes.
Dès le 21 mai 1765, le Parlement avait décidé de prendre des mesures pour y remédier : il serait désormais interdit de pratiquer toute inhumation dans la Ville. Le 10 mars 1776, Louis XVI signe la Déclaration Royale « interdisant toute inhumation dans les églises ». De plus, engorgé de sépultures mal préservées, le cimetière des Innocents devait disparaitre du paysage parisien. L’incident que l’on craignait eut lieu, les murs d’enceinte cédèrent et la pollution des terres et de l’eau des rivières alentour s’ensuivit. Il fallut dans l’urgence décider de le fermer et de le raser.
La solution en vue fut de se replier vers les carrières de la ville pour y creuser des catacombes ou utiliser celles existantes. L’enseigne qui plastronnait à l’entrée du cimetière portait cette inscription : « Arrête, c’est ici l’empire de la Mort » ! Sans commentaire ! Quinze mois furent nécessaires pour le transfert nocturne de ces milliers de cadavres de toute condition depuis les cimetières parisiens - dont celui des Innocents -, en compagnie des prêtres et des confréries funéraires afin de les acheminer vers ces carrières. On vida ainsi les cimetières de leurs « présences anciennes ».
- Le temps de la Révolution en France ne fit qu’aggraver la situation à cause du très grand nombre de ses victimes et de la célérité des funérailles réduites à leur caractère expéditif, on dut se résoudre à l’urgence. Les historiens se rappellent le sort réservé au Roi Louis XVI et à la Reine Marie Antoinette, leur assassinat et leur sépulture, selon la double peine qui leur fut infligée en dehors de toute considération, même à l’heure de leur inhumation.
Depuis lors, une page neuve s’écrira avec Napoléon et Nicolas Frochot (premier préfet de la Seine nommé par Bonaparte, ndlr.) par la signature du Décret du 12 juin 1804 invitant « chaque commune à créer son propre cimetière, les pompes funèbres à assurer le suivi des obsèques » et à professionnaliser de la sorte un métier qui était jusque-là assumé par des sociétés charitables à leur usage religieux mais peu préparées pour le faire pour tout le monde.
Les catacombes de Paris contiennent plus de six millions de cadavres sur quarante générations, selon les chiffres avancés par les sociétés historiques consacrées au funéraire.
Il fallut ouvrir un nouveau cimetière celui du Père Lachaise, du nom du jésuite confesseur de Louis XIV, propriétaire du domaine : à son grand regret, ruiné par la Révolution, il avait dû vendre son bien pour en faire le cimetière parisien que tout le monde connaît. C’est ainsi que naquit, le 21 mai 1804, ce lieu parisien portant toujours le nom de son ancien propriétaire jésuite ! - Le XIXème siècle marqua un grand tournant dans l’histoire et l’évolution du Droit Funéraire français en matière de cimetières. Objet de prévenance de l’Eglise à ses débuts, il devint espace public et civil au fil du temps, où les carrés confessionnels acceptés à l’origine furent interdits, donnant « à tout citoyen le bénéfice de sa sépulture, et d’une concession identique pour tous », bien que disposant des avantages obtenus par chaque famille d’ériger selon ses souhaits, des monuments personnalisés à sa demande.
Paris créa deux autres cimetières, celui de Montparnasse en 1824 et celui de Montmartre en 1825, afin de pallier l’absence de lieux de mémoire et retrouver les conditions de propreté nécessaire pour le bien commun de la cité.
On raconte encore que le Préfet Hausmann voulut éloigner, comme un siècle auparavant, tous les cimetières parisiens de la ville dans un parc funéraire de 800 hectares situé à quelques kilomètres pour récupérer de l’espace intra-muros, mais la population parisienne s’y opposa et les tentatives menées pendant vingt ans pour y parvenir ne purent ébranler la détermination des parisiens « de vivre dans Paris avec leurs cimetières »...
Ce qui fut accompli à Paris se réalisa partout en France où les habitudes durent s’adapter à la législation funéraire commune à tous dans ses principes généraux.