« Xavier Retegui, fabricant de makhilas à Larressore » figure parmi les neuf artisans qui viennent d'être honorés du titre de « Maître d'art » par le ministre de la Culture Franck Riester à l'occasion du 25ème anniversaire du titre et à l'issue d'une procédure de sélection placée sous la responsabilité de l'Institut National des Métiers d'Art. Il rejoint ainsi les 141 Maîtres d'art nommés dans plus d'une centaine de spécialités depuis la création de ce titre prestigieux. Pendant trois ans, les nouveaux Maîtres d'art seront accompagnés par le « Dispositif Maîtres d'art - Élèves » afin de transmettre leur savoir-faire, chacun à son élève. Dans le cas de Xavier Retegui, il s’agit de Liza Bergara : « dans l'entreprise, j’ai été formé par Charles Bergara et ses ouvriers Robert et Jean-Louis », nous explique Xavier Retegui, en ajoutant : « le dispositif va me permettre de former Liza, la petite fille de Charles » !
Xavier Retegui, âgé de 47 ans, avait rejoint l'atelier de makhilas Ainciart-Bergara il y a une vingtaine d'années, après avoir été champion du monde espoir de pelote : « j’habite et suis natif de Souraïde ; en pelote, j’ai été champion de France juniors et seniors avec Jean-Claude Istillarte, champion du monde espoir à Buenos aires en 1993 et finaliste en coupe du monde 1997 avec le regretté Patrick Oçafrain ».
Quant à Liza Bergara, elle crée des makhilas dans l’atelier familial Ainciart Bergara qui les fabrique dans la pure tradition artisanale depuis 200 ans et 7 générations, ses savoir-faire ayant été inscrits à l'inventaire des Métiers d'Art Rares de l'UNESCO. Après des études en école de commerce, elle a rejoint l'entreprise familiale pour s'occuper de la communication et de la présence de l'atelier sur les réseaux sociaux. En 2014, elle avait débuté une formation pour adulte en gravure ornementale, à l'école Boulle avant de se former pour prendre la suite de son cousin parti à la retraite. Depuis janvier 2017, elle a repris le poste de graveur. Elle réalise les initiales qui se trouvent sur le pommeau des makhilas en métal, ainsi que les demandes spéciales des clients (blasons, écussons, dessins d'ornement divers).
Plus qu'une reconnaissance, le titre de Maître d'art est le symbole d'un engagement. Une fois nommé, chaque Maître d'art a la devoir de transmettre son savoir-faire à l'Elève avec lequel il a été sélectionné. Pendant trois ans, son atelier devient le lieu privilégié de la transmission. Il reçoit une allocation annuelle du ministère de la Culture et bénéficie de l’accompagnement pédagogique de l’Institut National des Métiers d’Art. L'appel à candidature est ouvert tous les deux ans. L'étude des dossiers est confiée à un Jury composé de professionnels des métiers d’art, de directeurs d’établissements et d’experts du ministère de la Culture.
Un bâton ferré qui remonte à la nuit des temps
Contrairement à quelque opinion quelque peu « folklorique », le makhila n’est pas seulement un cadeau que l’on offre à des personnalités depuis que le Pays Basque est à la mode, avec l’architecture néo-basque, les bijoux basques, etc.
En fait, le célèbre bâton ferré des Basques avait été mentionné dès le XIIe siècle par Aymeri Picaud, dans son guide des pèlerins de Compostelle. Certains érudits sont allés même jusqu’à rapprocher « makhila » de « makel », un mot utilisé dans l’hébreu ancien pour désigner un objet semblable.
Comme beaucoup d’éléments de la tradition basque, le makhila remonte à la nuit des temps sans que l’on ne sache rien sur son authenticité locale ou l’origine de son apparition. Il demeura cependant au cours de siècles troublés le plus sûr compagnon de route de nos compatriotes, à travers les sentiers de la montagne et leurs dangers, en particulier celui des « travailleurs de la nuit » - les contrebandiers - ou des bergers protégeant leurs troupeaux. Mais il servit souvent aussi d’arme offensive, à l’image de ces duels épiques dans la région de Saint-Jean-Pied-de-Port, parfois à l’occasion d’un charivari.
Dans un de ses contes basques, Emmanuel Souberbielle donne une description certes poétique du makila mais qui correspond bien à la réalité, disons, sur le terrain : « Botté de cuivre, coiffé d’un béret de corne dure, ceint d’une cuirasse de cuir, ce néflier élégant et rude rappelle le type même du paysan basque. » Lequel Basque, dans l’ardeur de la discussion, était prompt à s’en servir pour enfoncer péremptoirement ses arguments dans le crâne de ses contradicteurs : en 1817, un chroniqueur notait déjà qu’ « entre une jeunesse passionnée et souvent rassemblée sur les places publiques, les querelles étaient nécessairement fréquentes et les combats souvent meurtriers. A la moindre dispute, les bâtons ferrés étaient en l’air ; les Basques s’en escrimaient avec un art qui avait ses règles et ses professeurs comme le sabre et l’épée… » Au point que certains maires, tel celui de Saint-Pée-sur-Nivelle en août 1829, essayèrent d’en interdire l’usage en s’appuyant sur une « ordonnance royale de 1728 » !
Peine perdue. Au début des années 1920, avec la mode du « Pays Basque idéalisé » en matière de décoration et d’architecture, les devantures des magasins en étaient largement garnies et la vogue des Années Folles est loin de se tarir de nos jours : c’est à qui recevra le sien au titre d’une victoire sportive, d’un « challenge » commercial ou en tant qu’hôte d’honneur d’une municipalité. Napoléon III, le maréchal Foch après la guerre de 14-18, le Prince de Galles ou le Pape ont reçu les leurs, ainsi que le Comte de Paris et le président basque Urkullu.
On peut également se demander si c’est l’usage du makila qui avait inspiré la fabrication de cette fameuse dague adaptée aux mousquets, laquelle fut à l’origine de l’invention de la « baïonnette » à la fin du XVIIe siècle ?
En attendant, le bâton ferré des Basques continue d’être fabriquée traditionnellement par Gérard Leoncini à Bayonne, Pierre Harispuru à Ibarolle et, particulièrement, la famille Ainciart-Bergara à Larressore, héritière d’un exceptionnel savoir-faire qui remonte au moins au XVIIIe siècle, à Dominique Ainciart.
Au printemps, après avoir couru bois et forêts afin d’y repérer les pieds de néflier ayant la bonne grosseur et la forme convenable, le marquage se fait sur le pied avec un instrument coupant original. De délicates incisions faites à la main donneront à l'automne ces étranges cicatrices en relief, ondulées ou pointillistes, qui ornent les makilas.
Quant à la phase d'assemblage des diverses pièces qui le constituent, elle vise à l'équilibre en main du bâton, et à lui procurer harmonie et élégance ; d’ailleurs, chaque makila est fait sur mesure pour la personne à qui on l'offre et il est donc nécessaire de connaître le poids et la taille de cette personne. Ainsi, sa longueur correspondra-t-elle à celle du bras qui le manipulera. Son manche est une gaine de cuir tressé surmontée d’une rondelle de corne ou de métal. Il se dévisse et constitue le fourreau d’une pointe d’acier forgé très acérée qui servait autrefois d’aiguillon.
Lourdement plombée, la base est un étui de cuivre travaillé que prolonge une pointe triangulaire en « trèfle » enfoncée au travers d'une pièce de monnaie percée.
Sans oublier, bien sûr, la gravure d’une devise adaptée à celui qui le reçoit, car on sait bien qu’un makila s’offre mais ne s’achète pas !
La question est souvent posée du choix du bois de néflier pour faire le makhila. La réponse la plus probable est que ce bois présente des qualités qui en font un bois parfaitement adapté au makhila. Ses qualités sont sa résistance, son homogénéité et son grain fin. Ajoutons la solidité des tiges et sa capacité à être travaillé sur pied, à passer au four et à prendre une belle coloration.
Il s'agit du choix des Ainciart, fait il y a plus de deux siècles, période où l'on connaissait les qualités des différentes essences pour fabriquer les objet du quotidien : « ils avaient pris le temps de tester diverses essences et de choisir la plus pertinente. Il est vrai que ce choix n'est pas remis en question et est même une obligation pour rester dans la tradition basque et dans la tradition familiale. On peut aussi voir dans le choix du néflier (mizpirondoa en basque) une origine mystérieuse qui coïnciderait avec ce que d'autres régions de France attribuent au néflier comme pouvoirs maléfiques ou au contraire susceptibles d'éloigner les sorciers. Ces pouvoirs sont décrits en Vendée, en Mayenne, dans l'Ain, dans les Mauges ou encore en Bretagne ».