Mais quels liens pourrait-il donc exister entre notre Pays Basque pyrénéen et la « lointaine » principauté monégasque au pied des Alpes, ne manqueront pas de s’étonner nos lecteurs ?
Eh bien, à part le mécénat – en 1911 - du prince Albert Ier de Monaco, féru de paléontologie humaine et hautement intéressé à l’exploration d’Aizbitarte, la « colline aux cinq grottes préhistoriques » de Renteria (près de Saint-Sébastien), et le Musée Ramiro Arrue avec son exceptionnelle collection de peintures, de dessins et d'émaux installé dans la « Villa les Camélias » à Cap d'Ail, il y a encore cette étonnante saga de l’organiste basque Jean-Christophe Aurnague qui déroule la partition d’un jeune musicien bayonnais aux ascendances bas-navarraises dont le talent musical s’est remarquablement épanoui sur le fameux « Rocher » monégasque.
Une partition d’autant plus inscrite dans l’actualité que Jean-Christophe Aurnague vient d’inaugurer le magnifique orgue à l’église du Sacré-Cœur dont il est titulaire, avec ceux de Saint-Martin et de N.-D. de la Miséricorde où il anime la messe « tridentine ». La bénédiction solennelle par l’archevêque de Monaco Mgr Barsi vient d’avoir lieu dernièrement.
« C’est la prestigieuse manufacture Brondino Vegezzi-Bossi qui avait été retenue à la suite de l'appel d'offre de la commission des orgues de Monaco ; située à Centalo près de Turin, « elle a plus de cinq siècles d'histoire », nous explique Jean-Christophe Aurnague, qui précise : « Mais l'harmoniste choisi pour donner la pâte sonore de l'instrument est le Bordelais Alain Faye, car sur le cahier des charges, je désirais avoir un son symphonique français, à l'image des meilleurs instruments de cette époque. L'esthétique de l'orgue est romantico-symphonique, mais il permet de jouer également de la musique classique ou contemporaine, car l'étendue des claviers est maximale du do1 au ré 6. Cet orgue est une réalisation en deux phases », explique encore Jean-Christophe Aurnague : « Le gouvernement princier en a financé la première (300 mille euros) avec pour maître d'ouvrage Jean-Charles Curau, directeur des affaires culturelles de Monaco, et pour maître d'œuvre, Michel Colin, technicien conseil agréé. Le gouvernement princier a ouvert un partenariat pour le financement de la deuxième phase (nous recherchons d'ailleurs des mécènes pour achever la partie instrumentale, ainsi que pour la décoration du buffet qui sera paré de moulures de sculptures et de dorures à la feuille d'or) ».
Quant à la la liturgie de bénédiction, « c’est une cérémonie rare et captivante par
son célèbre dialogue entre l'évêque et l'organiste, où j'ai chaque fois apporté un commentaire musical sur un thème grégorien différent, car le grégorien est la langue universelle de l'église, et les thèmes sont tellement beaux qu'ils élèvent l'âme des fidèles vers le ciel, alors que l'engouement de certains cantiques actuels ne facilite pas vraiment à l'âme des fidèles de cueillir la grâce de Dieu.
Ce qui a fait le rayonnement de l'église depuis deux mille ans, c'est que l'église a été plus lumineuse quand elle n'a pas cherché à ressembler à la rue ! Nous venons dans une église pour rencontrer le divin et non de la "musicaille" qui ne permet pas le recueillement du croyant et n'ajoute que du désordre en des lieux propices à la grandeur et au mystère ».
Et notre organiste basque de s’interroger : « Aurait-on perdu à notre époque le sens du beau et de l'harmonie ? Mais heureusement qu'il existe encore en de nombreux endroits cette continuité de la tradition pour transmettre aux générations futures le flambeau de la vérité et de la beauté, car après toutes ces horreurs de cette année, notre monde a plus que besoin de beauté et d'élévation et d'intelligence ».
La bénédiction de l'archevêque de Monaco a introduit des vêpres solennelles du temps de l'Avent, « le dernier commentaire de l'orgue à l'archevêque - faisant office de bouquet final - est une toccata qui conjugue le thème de la prière du prince de Monaco avec l'hymne du "gloria patri" grégorien, œuvre destinée à une prochaine édition ».
Ce baptême de l'orgue s’est achevé par un récital ou les mélomanes ont pu découvrir en détails toute la gamme des possibilités de l'instrument.
Rappelons que notre jeune musicien né à Bayonne d’un père aux origines baigorriar et d’une mère issue d’une dynastie de maître-verriers et de musiciens lorrains – son arrière-grand-père fut maître de musique en Alsace – avait débuté son initiation musicale à la cathédrale de Bayonne, à la sortie de la messe, lorsque le jeune Jean-Christophe avait déclaré à ses parent, sur le ton résolu de ses six ans, en pointant du doigt sur le grand orgue : « C’est ça que je veux faire » ! Des années plus tard, l’organiste se souvient de cette impression mêlée de peur et d’exaltation qui l’avait saisi, enfant : « Peur d’être enfermé, là-haut, à la tribune de l’orgue, mais extasié par la musique »… Plus tard, en hommage à Notre-Dame de Bayonne « dont l'imposant vaisseau gothique constitue, l'antichambre des cieux » et pour laquelle il éprouve « une véritable affection filiale », il composera une « Fantaisie médiévale » inspirée du cantique du chanoine Huet « Chez nous soyez reine », entonné par « des générations de voix ferventes en dévotion à la reine du ciel ».
Malgré la mutation de son père à la tête du Crédit Agricole garaztar – Jean-Christophe avait dix ans -, il reçoit à Bayonne ses premiers cours de Renée Germain qui avait succédé à son maître Ermend Bonnal sur l’Orgue Impérial de Saint-André à Bayonne, avant de poursuivre sa formation aux grandes orgues de Saint-Jacques à Pau avec Jean Laporte, disciple d’André Marchal, puis dans la classe de Marie-Bernadette Carrau au Conservatoire régional de Bayonne (deux médailles dont une de vermeil à l’unanimité). Admis dans la classe de Xavier Darasse et dans celle de Jan Willem Janssen (clavecin) au Conservatoire de Toulouse, ainsi qu’auprès de l’organiste Michel Bouvard, notre jeune basque suit parallèlement les cours de formation musicale, analyse, histoire de la musique, musique de chambre, harmonie, contrepoint. Il y obtient en 1986 une médaille d’or premier nommé et la ville de Toulouse lui décerne le prix Vidal. Cette même année, il est recruté sur concours à Saint-Jean-de-Luz où il succède à Daniel Matrone à l’orgue de l’église Saint-Jean-Baptiste.
Mais une rencontre provoque alors l’étincelle de sa destinée : Dominique Baubet, titulaire de l’église Saint-Paul à Paris lui fait faire des « remplacements » aux grandes-orgues de la capitale qui avaient, toutes, leur titulaire, avant qu’un séjour de vacances à Menton où il interprète « une messe médiévale en costumes d’époque » ne le retienne à l’orgue de la basilique Saint-Michel où il sera remarqué par le curé du Sacré-Cœur de Monaco… Est-ce un hasard, Ermend Bonnal y avait donné un concert. Mais Jean-Christophe Aurnague ne croit pas au hasard ! Entamant sa 21ème année comme titulaire des orgues de l’église du Sacré-Cœur de Monaco qui appartenait anciennement aux Jésuites, n’y retrouve-t-il pas des vitraux de saint Ignace de Loyola et de saint François-Xavier qui l’« encadraient » également lorsqu’il jouait à Saint-Jean-Pied-de-Port ? Et le baron de l’Espée n’avait-il pas séjourné non loin de l’église Saint-Charles de Monte-Carlo où il a enregistré l’année dernière son CD « Ilbarritz, impressions romanesques » ; il n’y manque même pas le souvenir de la cantatrice Biana Duhamel, pour laquelle Albert de L’Espée avait construit la « Villa des Sables » au bas du château d’Ilbarritz : dans un stock de partitions anciennes, Jean-Christophe avait retrouvé celle de « Miss Helyett », le rôle favori de la protégée du baron mélomane ! Tout en donnant de nombreux concerts avec les orchestres de Nice et de San Remo ainsi que des chanteurs d’opéra, notre organiste-compositeur n’en garde pas moins au cœur une secrète nostalgie pour son Pays Basque natal où il retrouve régulièrement ses cousins germains, l’avocate garaztar Marielle Aurnague-Chiquirin et Mixel Aurnague, passionné de linguistique basque.
Alexandre de La Cerda