Ile de Lewis, archipel des Hébrides extérieures, en Ecosse. Dans la lande froide qui s’étend à perte de vue, deux ouvriers agricoles plantent des piquets. Le plus âgé Phil (Bouli Lanners) interroge le second, Brian (Andew Still), plus jeune : Pourquoi les femmes de ce pays portent elles des chapeaux noirs le dimanche à l’église ? L’île de Lewis est de tradition presbytérienne, une branche de la religion protestante austère, d’origine calviniste. Le dimanche les paroissiens en habits sombres, observent un rigoureux « sabbat chrétien » avec fermeture de tous les magasins et commerces. Phil, un expatrié belge d’une cinquantaine d’années, est impressionné par cette culture presbytérienne, gaélique, prégnante sur cette île septentrionale de l’Ecosse où l’on élève des moutons dans des landes, des tourbières, balayées par les vents glacés.
Phil est retrouvé étendu au pied d’une dune : il a eu un AVC (Accident Vasculaire Cérébral). Ce n’est pas son premier : il est pris en charge et hospitalisé. Alertée, sa référente, Millie (Michelle Fairley) une célibataire cinquantenaire, fille de son employeur Angus (Julian Glover), négociatrice dans une agence immobilière, vient lui rendre visite à l’hôpital. Phil veut quitter l’établissement au plus tôt et rentrer chez lui dans sa petite maison où, inexplicablement, il trouve un grand chien. Il ne se souvient de rien : bien que sans séquelles apparentes, suite à son AVC, il souffre d’une amnésie temporaire.
Phil se rétablit rapidement aidée par sa référente, Millie, qui l’aide dans son quotidien. Un lien d’amitié s’étoffe entre eux … Un jour, Millie, après quelques hésitations lui fait un aveu … Phil à la mémoire incertaine est troublé, déconcerté.
Bouli Lanners (56 ans) est un artiste belge multicartes, peintre, comédien (une soixantaine de rôles au cinéma !), scénariste, metteur en scène de théâtre et réalisateur de cinq longs métrages depuis 2004, tous remarquables : Ultranova (2004), Eldorado (2008), Les Géants (2011), Les Premiers, Les Derniers (2016) jusqu'à son dernier opus L’Ombre d’un mensonge (2021) tourné en Ecosse en langue anglaise. L’île de Lewis est une région, hors des circuits touristiques, que le cinéaste connait bien puisqu’il y séjourne chaque année ! Bien qu’en partie tourné en extérieur, dans de larges paysages arides magnifiés sur écran large (format : 2.39), les personnages semblent prisonniers de ce territoire. Un soir, dans un pub, un habitant a confié au réalisateur qu’il n’y avait que quatre manières de s’échapper de l’île : « rentrer dans une communauté presbytérienne, sombrer dans l’alcool, partir ou se suicider ». Bouli Lanners conclut : « j’y ai vécu sept mois, tu sens quand même que tu vis sur un caillou au bout du monde ».
L’Ombre d’un mensonge est un film peu bavard. Les échanges sont réduits à l’essentiel, au quotidien. Phil est un étranger toléré dans une société d’insulaires austères, taiseux, travailleurs, pour qui la Bible est le livre sacré régentant leurs vies. L’église presbytérienne rigoriste, sans apparat, est le centre de gravité obligatoire de leur parcours terrestre : on ne peut y déroger ; c’est une communauté fermée. Bouli Lanners (devant la caméra) et son réalisateur tournage, Tim Mielants (derrière la caméra) ont su rendre palpable, par de sublimes images de Frank Van Den Eeden, cet enfermement à l’extérieur dans des plaines et des plages, et à l’intérieur dans les espaces étriqués des maisons en bois dispersées dans les landes.
L’intrigue bien que fort simple, se déroule sans lenteur, ni « trou d’air », et nous entraine, de notre plein gré, dans un univers rude que nous découvrons.
Bouli Lanners (Phil) a écrit un scénario original qui raconte, pour la première fois, une histoire simple, une histoire d’amour. Les images sont sombres, les lumières rasantes, les ombres allongées, avec quelques tâches de chaleur à l’extérieur (soleil levant ou couchant) et dans les intérieurs (feux, lumières électriques). Son physique, lourd trapu, à la peau tatouée évoque un lourd passé, tu, qu’il a fui pour cette île du bout du monde. Michelle Fairley (Millie) est par contraste, grande, filiforme, et de nature inquiète qu’elle oppose à la lenteur placide de Phil. C’est un duo de comédiens investis, tous deux issus de la scène théâtrale de leurs pays respectifs (Belgique, Angleterre) par nature exigeante.
L’Ombre d’un mensonge est comme une épure d’un film d’amour réduit à l’essentiel, sans lyrisme exagéré, sans rebondissement fracassant. C’est pour cela qu’il nous fascine.