Los Angeles 1973 (Californie), vallée de San Fernando. Gary Valentine (Cooper Hoffman) est un grand adolescent blond, joufflu, âgé de 15 ans. Dans son établissement scolaire, il rencontre Alana Kane (Alana Haim) une jeune femme de 25 ans, assistante du photographe qui fait, dans la salle de sport aménagée, des portraits de lycéens. Gary a le coup de foudre pour Alana qu’il drague avec insistance. Il l’invite au restaurant ; bluffée par son aplomb, son assurance, elle accepte. Gary, fils d’une comédienne, est un garçon dégourdi qui fait des apparitions dans des téléfilms pour adolescents (teenagers). De surcroît, il a l’esprit d’entreprise : il ouvre un commerce de vente de matelas d’eau (water bed), mobilier de couchage à la mode … Il a d’autres projets pour devenir un riche entrepreneur ; c’est un jeune garçon vibrionnant en ce début des « seventies » à Los Angeles.
Alana, d’une famille juive orthodoxe, mais plutôt libérée, après un premier moment de complicité amusée avec Gary, le tient à distance en arguant leur différence d’âge (10 ans). Elle favorise d’autres rencontres plus adéquates avec son statut d’adulte. Cependant, elle croise de temps à autre Gary qui est immergé dans son commerce lucratif de matelas d’eau. Dans cette Californie en plein bouleversement, sous la présidence de Richard Nixon (1913/1994), elle côtoie des personnages aussi excentriques que l’acteur alcoolisé Jack Holden (Sean Penn, inspiré de William Holden), un bonimenteur Rex Blau (le chanteur Tom Waits), un producteur cocaïné Jon Peters (Bradley Cooper) ex-coiffeur, compagnon de la chanteuse Barbra Streisand.
La vie des habitants de la vallée de San Bernardo au début des années 1970 est pour le moins agitée, d’autant que la première crise pétrolière (1973) bouleverse le quotidien de ses habitants. Le carburant vient à manquer, personne n’y échappe …
Licorice Pizza (littéralement pizza à la réglisse) est un film choral endiablé dont Paul Thomas Anderson (51 ans), outre une réalisation inspirée a rédigé un scénario épatant sur un pan de l’histoire de cet état, la Californie, qu’il n’a pas connu : il est né en … 1970 ! Toutefois, il restitue les ambiances grâce au cumul de deux approches formelles. Premièrement, par l’image : il filme en pellicule 35 mm Kodak (format large : 2.35 :1) et non en numérique recréant ainsi avec son chef opérateur Michael Bauman une palette de couleurs pastel à la mode des films de surf des années 70 ; secundo, par la bande son endiablée (des The Beatles à David Bowie en passant par Nina Simone) qui rythme les scènes qui se télescopent dans un récit éclaté autour des deux principaux personnages (Gary et Alana). On pense à deux films choraux qui ont inspiré Paul Thomas Anderson : American Grafitti (1973) de George Lucas à la structure narrative simple, et Nashville (1975) de Robert Altman (1925/2006) à la narration « émiettée », musicale, d’une grande richesse sur le plan formel (mouvements de caméra).
La filmographie de Paul Thomas Anderson est impressionnante bien qu’il n’ait réalisé (et écrit) que neuf longs métrages en 25 ans (Double mise – 1996). Dès son deuxième opus (Boogie Nights - 1997) sur l’industrie pornographique en Californie, il a été adoubé comme un réalisateur américain prometteur, jugement qu’il a confirmé avec des œuvres majeures comme : Magnolia (1999) long métrage choral (3 heures !) avec Tom Cruise, There Will Be Blood (2007) sur le capitalisme pétrolier avec Daniel Day-Lewis, et Phantom Thread (2017) avec le même acteur en couturier anglais hors du commun.
Ce film puissant, d’une facture classique, à l’image du couturier intraitable, raconte la même histoire inversée : un homme riche, âgé, rencontre une jeune femme innocente, inculte, en quelque sorte en jachère. Elle va grandir à son contact comme Gary grandira au contact d’Alana. Thème récurrent du cinéma classique américain : Boy meets girl.
Licorice Pizza (enseigne d’un célèbre magasin californien de vente de disques vinyles noir, d’où le nom de Pizza Réglisse) est un film à la narration éclatée, heurtée, avec des digressions vers la « screwball comedy », mais dont la fluidité du récit est assurée par la bande son des standards musicaux (instrumentaux ou chantés) de cette époque. Ainsi, les personnages sont dotés d’une folle énergie au point qu’ils courent littéralement cadrés dans d’impressionnants plans séquences.
Les deux jeunes acteurs que Paul Thomas Anderson a choisis pour interpréter les rôles principaux sont : Cooper Hoffman (Gary), le fils de son acteur fétiche (cinq films !) Philip Seymour Hoffman (1967/2014) et la chanteuse de folksong Alana Kane (Alana Haim), du groupe Haim (trio avec ses deux sœurs).
En recréant de toutes pièces une peinture de la jeunesse californienne plausible des seventies, Paul Thomas Anderson démontre qu’il est un des grands réalisateurs américains développant une œuvre riche, personnelle, hors des circuits standards de l’industrie cinématographique américaine. Chacun de ses longs métrages décrit un monde complexe qu’il réussit à nous montrer sur l’écran grâce à sa grande maitrise de la chaine de fabrication d’un film (scénario, image, son, montage), ainsi que du langage cinématographique qu’il adapte à chacune de ses œuvres.