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Le Cinéma de la semaine
L’homme qui tua Liberty Valance (1962) de John Ford
L’homme qui tua Liberty Valance (1962) de John Ford

| Jean-Louis Requena 1246 mots

L’homme qui tua Liberty Valance (1962) de John Ford

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L’homme qui tua Liberty Valance (1962) de John Ford ©
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Un western du « vétéran Ford »

A Paris, en octobre 1962, de grandes affiches ornaient les « Colonnes Morris » de la capitale : elles annonçaient un film que les amoureux, nombreux, des westerns attendaient : L’homme qui tua Liberty Valance (The Man Who Shot Liberty Valance (123’) du « vétéran John Ford » (1894/1973). Sur l’affiche deux stars américaines : John Wayne (1907/1979) et James Stewart (1908/1997) ensemble, pour la première fois, dans un long métrage.

En 1962, ce metteur en scène mythique a 66 ans et près de 150 films à son actif. Son premier western (muet) pour le studio Universal est de … 1917 avec la star de ce genre prisé : Harry Carey (1878/1947). John Ford est une légende qui a relancé ce genre alors moribond (trop de productions bâclées aux scénarios indigents), en 1939 grâce à La Chevauchée Fantastique (Stagecoach- 1939) avec le jeune John Wayne qui trimardait depuis 10 ans dans de petites productions de seconde et troisième zone. Ce film, au succès planétaire, tourné en grande partie en extérieur, à Monument Valley (Utah), lancera pour 20 ans la carrière de l’acteur et le renouveau du genre western. La Chevauchée Fantastique regroupe tout le catalogue westernien qui fera florès : des paysages grandioses, un homme solitaire et résolu, un groupe humain disparate, une attaque indienne, un règlement de compte final, etc.

A 67 ans, John Ford en fin de carrière, (il ne réalisera plus que quatre longs métrages), entame le tournage, pour le studio Paramount, d’un curieux western élégiaque …

Genèse et tournage

En 1949, John Ford metteur en scène comblé (5 oscars), riche, achète pour 7.000 $ les droits d’une nouvelle de Dorothy M. Johnson (1905/1984), écrivain spécialiste de l’ouest (elle a écrit une biographie de référence du chef indien Sitting Bull). John Ford demande à deux scénaristes, James Warner Bellah et Willis Goldbeck d’enrichir la nouvelle en développant les personnages afin de mieux structurer l’histoire. A la lecture du scénario définitif, John Wayne et James Stewart donnent immédiatement leur accord. John Ford boucle difficilement le projet avec le studio Paramount (il devra attendre 5 mois pour la décision finale !) pour un budget confortable de 3,2 millions $.

L’homme qui tua Liberty Valance sera suivant le contrat établi, réalisé en studio (peu de scènes en extérieurs), dans des décors simplifiés, en format « classique » 1.66 :1 (pas de scope) et … en noir et blanc. En 1962, dans l’univers cinématographique américain, fabriquer un film avec un casting prestigieux et de telles contraintes visuelles (« petit » format et pas de couleur) est une incongruité. Mais John Ford surnommée affectueusement « pappy » a ses raisons. Fidèle à son caractère taiseux, renfrogné, atrabilaire, il n’explique rien à personne … Le tournage rapide (peu de prises suivant son habitude) commencé le 5 septembre, s’achève le 7 octobre 1961. A peine un peu plus d’un mois !

Une vision désenchantée de l’Ouest Américain

En 1910, le sénateur Ransom Stoddard (James Stewart) et sa femme Hallie (Vera Miles), reviennent dans la petite ville de Shinbone (tibia !) pour l’enterrement de Tom Doniphon (John Wayne). A la nouvelle de la visite du sénateur, un groupe de journalistes accourt pour interviewer cette personnalité politique. Que vient faire dans cette bourgade de l’ouest ce politicien couvert d’honneurs, 3 fois gouverneur, 2 fois sénateur, et pressenti au poste de vice-président des États-Unis ? Après avoir hésité, avec l’acquiescement muet de sa femme, il raconte l’histoire de son arrivée à Shinbone où, jeune avocat venant de l’est en diligence, il est agressé par un groupe de hors la loi (outlaw) dirigé par Liberty Valance (Lee Marvin). Recueilli par Tom Doniphon et son fidèle Pompey (Woody Stode), inanimé au bord du chemin ; il est conduit à l’auberge de Shinbone où travaille Hallie, amour secret de Tom Doniphon.

L’histoire est décrite suivant le procédé classique d’un long flash-back qui voit l’émergence de la « Loi et L’Ordre » représenté par Ransom Stoddard, homme de l’est, aidé par Tom Doniphon, homme de l’ouest, et Dutton Peabody (Edmond O’Brien) journaliste local amoureux de la liberté de la presse. Le méchant, Liberty Valance, représentant des grands propriétaires sera éliminé, sans fard, au profit politique de Ransom Stoddard. Sa carrière politique sera lancée alors que le vrai protagoniste, Tom Doniphon, sombrera dans l’oubli.

Lorsque que le sénateur Ransom Stoddard achève son histoire devant les journalistes et leur demande de la publier leur chef, Maxwell Scott (Carleton Young) déclare : « C’est l’Ouest ici. Quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende », puis il détruit ses notes.

Après l’enterrement de Tom Doniphon, dans le train du retour, le contrôleur en chef salue le sénateur et son épouse. Admiratif, il déclare : « Rien n’est trop bon pour l’homme qui tua Liberty Valance ». Le légendaire a biffé le réel !

Accueil critique et postérité

L’homme qui tua Liberty Valance sort aux États-Unis en avril 1962. L’accueil critique est mauvais : le « vétéran Ford » a produit un film vieillot, désuet, bâclé en noir et blanc (un comble !) dans des décors stylisés évoquant les film muets (silent movies). Le grand réalisateur jadis respecté parait pour les critiques acerbes, un vieil homme incapable de comprendre le présent de l’Amérique de John Kennedy (1917/1963) jeune président des États-Unis tout juste élu. Toutefois, le film a du succès et rentre dans ses fonds lors de son exploitation aux USA. A l’inverse, L’homme qui tua Liberty Valance rencontre un grand succès critique en France (sortie en octobre 1962) mais pas d’engouement populaire pour un genre notoirement aimé de nos compatriotes : le western. L’histoire est probablement très américaine, non universelle : c’est une allégorie crépusculaire sur l’Ouest Américain sans de sublimes paysages, sans attaques indiennes, sans règlement final. Juste une chronique douce-amère d’une bourgade perdue de l’ouest, Shinbone (tibia !), entre le désordre violent (Liberty Valance) et l’ordre nouveau (Ransom Stoddard) établi avec le concours équivoque d’un tiers sacrifié (Tom Doniphon).

Avec le recul, l’homme qui tua Liberty Valance s’est imposé dans l’abondante filmographie de John Ford. Peter Bogdanovitch (1939), cinéaste, grand admirateur de John Ford écrira que ce film est « l’expression personnelle la plus profondément explicite de Ford ». Suivront des œuvres de moindre importance : La Taverne de l’Irlandais (Donovan’s Reef – 1963), Les Cheyennes (Cheyenne Autum – 1964), Frontière chinoise (Seven Women – 1966) dernier opus de « pappy ».

John Martin Feeney, dit John Ford, né le 1er février 1894 à Cape Élisabeth (Maine) avant dernier d’une famille d’immigrants irlandais de 11 enfants meurt le 31 août 1973 à l’âge de 78 ans. Son œuvre cinématographique est considérable tant en quantité (environ 150 films) qu’en qualité (visuelle, scénaristique, direction d’acteurs) dans des registres très divers : westerns, guerre, comédies, drames historiques et sociaux, etc. Pour de nombreux cinéastes, il reste un modèle de narration visuelle dont Henri Fonda (1905/1982) disait : « Ford avait un œil cinématographique. Un œil de poète ».

P.S : les films de John Ford qui ont survécus à leur destruction par les studios (films muets) sont édités en Dvd de qualité variable. Deux documentaires intéressants accessibles en français ont été réalisé sur ce cinéaste hors norme :
Réalisé par John Ford (Directed by John Ford – 1971) par Peter Bogdanovich
John Ford, l’homme qui inventa l’Amérique (2018) de Jean-Christophe Klotz – Arte France
Pour les lecteurs, il existe une abondante bibliographie. Quelques titres importants :
Amis américains de Bertrand Tavernier – Institut Lumière/Actes Sud – 1993
50 ans de Cinéma américain de Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier – Nathan – 1995
John Ford par Patrick Brion – La Martinière – 2002 (filmographie complète avec illustrations)
A la recherche de John Ford de Joseph McBride – Institut Lumière/Actes Sud – 2007 (« pavé biographique » à l’anglo-saxonne).

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