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Cinéma
L’Histoire de ma femme (169’) Film en coproduction (Allemagne/Hongrie/France/Italie) d’Ildiko Enyedi
L’Histoire de ma femme (169’) Film en coproduction (Allemagne/Hongrie/France/Italie) d’Ildiko Enyedi

| Jean-Louis Requena 761 mots

L’Histoire de ma femme (169’) Film en coproduction (Allemagne/Hongrie/France/Italie) d’Ildiko Enyedi

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Au Festival de Cannes ©
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Louis Garrel, Luna Wedler, Ildiko Enyedi, Monika Mecs, Gijs Naber ©
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Un lent cargo vogue sur une mer inconnue. A son bord les marins boivent, chantent et mangent. Un jeune matelot amène un repas succulent dans la cabine du commandant. Ce dernier, un néerlandais Jakob Störr (Gijs Naber), un homme grand, charpenté, y touche à peine : il souffre du « mal de pierre », un poids sur le ventre (la maladie des marins). Le cuistot, un bon vivant, lui recommande d’épouser une femme dès qu’il aura mis pied à terre … C’est, selon lui, le seul moyen de guérir. Selon ses dires, le cuisinier a deux femmes qui l’attendent, l’une surveille l’autre !

Jacob Störr est un commandant dont la rigueur, le professionnalisme, sont appréciés par les armateurs tel son ami Kodor (Sergio Rubini) qui sur les embarcadères monte des affaires louches. Attablés dans un café ils discutent, entre autres, sur la gent féminine. Soudain, Jacob Störr lâche : « j’épouserai la première femme à entrer dans ce café ». Une jeune femme blonde, à chapeau cloche, entre et s’installe près de la table du commandant. D’abord hésitant, Jacob Störr subjugué l’aborde : elle n’est pas farouche ; c’est une française elle se nomme Lizzy (Léa Seydoux). Séduit par cette apparition inattendue, au-delà de ses rêves, Jacob propose le mariage à Lizzy qui amusée, finit par accepter …

Quelque temps plus tard, le couple s’installe dans le Paris des « Années Folles » (1920/1930) où Lizzy semble très à son aise, tandis que Jacob, marin sans navire, est hors de son univers maritime. Un soir, Lizzy lui présente Dedin (Louis Garrel) un parisien élégant, indolent, qui s’affiche comme rentier. Dans leur bel appartement parisien, aménagé, décoré par ses soins, Lizzy paresse la journée pour sortir la nuit rejoindre ses amis noctambules …

Le commandant Jacob Störr, désœuvré, mal à l’aise dans cette société frivole, complexé par sa femme mystérieuse, à l’humeur changeante, sans repère, reprend la mer …

L’Histoire de ma femme est le septième long métrage de la réalisatrice et scénariste hongroise, Ildiko Enyedi (66 ans). C’est son premier scénario adapté du roman éponyme (Collection L’Imaginaire Gallimard -2016) de son compatriote Milan Fürt (première publication en 1942). Depuis des années elle souhaitait réaliser ce film (problème de production/budget) à partir du roman de cet auteur. Son dernier opus, au rythme lent et long (près de trois heures) est découpé en sept chapitres dont les intitulés précisent les actions qui suivent. Ce système simple, employé par d’autres réalisateurs (Quentin Tarantino) induit le spectateur à recadrer les scènes dans un sous-ensemble logique, d’autant que le récit de L’Histoire de ma femme est construit autour du regard subjectif, des ressentis, des interrogations de Jacob Störr sur la mystérieuse Lizzy. C’est un regard masculin, sans malignité, qu’il pose sur cette étrange femme qui alimente sa suspicion, sa jalousie, son désespoir … et son amour qu’elle semble bafouer.

Le scénario de Ildiko Enyedi, loin de la structure narrative du roman (monologue intérieur), oppose dans un lancinant balancement, le massif commandant Jacob, néerlandais protestant, à la frimousse de Lizzy, parisienne catholique. Ce choc des cultures, de la rigoriste à la jouisseuse, n’est pas exempt de sensualité et le cas échéant, d’une sexualité électrique. Lizzy, moins présente sur l’écran que le commandant, reste toutefois le centre de gravité de cette histoire d’amour à tiroirs et à miroirs qui se déroule en s’obscurcissant. Qui est vraiment Lizzy ?

Le commandant Jacob Störr une fois revenu sur la terre ferme, perd ses repères. Il erre du Paris illuminé des « Années Folles » à la ville de Hambourg, sombre, pluvieuse. Jacob ressemble à un marin d’un roman de Joseph Conrad (1857/1924), naïf et autodestructeur : un homme bon, honnête, dans un monde malsain qu’il ne comprend guère.

Ildiko Endeyi, son chef opérateur Marcell Rév et sa décoratrice Imola Lang, ont su créer un cadre parfait, aux images souvent sombres, aux éclairages étudiés sur les visages et les corps. Aussi, ajoutent-ils une profondeur à ce récit d’une simplicité linéaire mais d’une complexité visuelle maitrisée, soulignée par une musique de facture classique (Aria de la Suite en ré de Jean-Sébastien Bach, entre autres). La réalisatrice ne nous donne pas les clés de l’histoire mais agite le trousseau !

Tous les acteurs de ce récit sont remarquables. Ildiko Enyedi a réuni un casting épatant : Gijs Naber (Jacob Störr) colosse placide au jeu fin et complexe ; Léa Seydoux (Lizzy) crédible en parisienne manipulatrice à l’humeur vagabonde ; Louis Garrel (Dedin) en gandin dédaigneux, etc.

L’Histoire de ma femme a été présenté au dernier Festival de Cannes (2021) en sélection officielle. Il n’a obtenu aucune récompense ! C’est fort dommage car le film est en tous points remarquable. Une grande œuvre.

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