(cet article a été rédigé d'après l'extraordinaire série d'ouvrages de l'universitaire Jean-Claude Larronde sur les congrès d´Etudes basques d'Eusko Ikaskuntza en 1948 et 1954)
Le VIIème Congrès d´Etudes basques se déroula du 12 au 19 septembre 1948 à Biarritz. Ce premier Congrès de l´exil fut incontestablement le plus important et qui connut le plus grand succès. Les travaux scientifiques furent de qualité et en tous cas de quantité appréciable (260 communications!). L´implication du Gouvernement Basque en exil dans l'organisation du Congrès et une forte participation des intellectuels basques d´Amérique donnera à ce Congrès un large retentissement.
La forte implication dans l’organisation du Congrès du Gouvernement Basque en exil présidé par José Antonio de Aguirre, les moyens matériels que ce gouvernement mit à la disposition du Comité d’organisation donnèrent à ce Congrès un large retentissement qui dépassa largement les frontières du Pays Basque (photo de couverture : Jose Antonio Aguirre avec Mgr Matthieu).
Si ce Congrès n’avait pas de thème particulier, Manu de la Sota trouva une formule qui résumait le souci des organisateurs: «Que l’âme basque ne meure pas». Cette formule avait le mérite de pouvoir réunir autour d’elle, tous les défenseurs de la langue et de la culture basques, tous les euskalzale, au premier rang desquels les membres de la doyenne des associations culturelles basques, Eskualzaleen Biltzarra, sur lesquels comptaient aussi les organisateurs du Congrès pour assurer son rayonnement. Quant à ce que pouvait contenir cette «âme basque», on peut rappeler la belle définition donnée 25 ans auparavant par l’abbé Laurent Apesteguy dans un article de Gure Herria : « L’âme d’un peuple est faite de ses convictions, de ses idées sociales, de ses traditions et surtout de ses réactions constantes dans les circonstances de la vie ».
Le Comité d’Organisation nomma comme président d’honneur, Mgr Saint-Pierre et comme Président, José Miguel de Barandiaran, dont l’autorité scientifique faisait l’unanimité. Manu de la Sota fut nommé Secrétaire Général et Philippe Oyhamburu, secrétaire-adjoint. Chacun des Présidents des sections était de plus membre du Comité d’organisation, soit par ordre alphabétique, Paul Arné, Ramiro Arrue, Jon Bilbao, le Commandant William Boissel, José de Camiña, Louis Dassance, Txomin Epalza, le Chanoine Michel Etcheverry, Jean Etcheverry-Ainchart, Javier de Gortazar, Manuel de Ynchausti, docteur de Jaureguiberry, docteur Michel Labéguerie, abbé Pierre Lafitte, Marc Légasse, Telesforo de Monzon, Chanoine Narbaïtz et Philippe Veyrin. La composition d’un Comité d’honneur du Congrès est suivie à Paris avec un intérêt tout particulier par José Antonio de Aguirre, Président du Gouvernement Basque en exil.
L’annonce officielle du Congrès bénéficia d’une belle promotion; en effet, grâce aux largesses de la famille Sota, une brillante réception fut offerte le 30 août à la villa Etchepherdia de Biarritz, par le Comité d’Organisation à la presse locale, régionale et aux autorités municipales de Biarritz. La presse locale se fit l’écho de cette réception doublée d’une conférence de presse, Le Journal de Biarritz et Le Courrier publiant des comptes-rendus le 31 août en première page.
Outre l’hôte Manu de la Sota, on pouvait reconnaître dans l’assistance Mgr Saint-Pierre, José Miguel de Barandiaran, les chanoines Michel Etcheverry et Pierre Narbaïtz, l’abbé Pierre Lafitte, les anciens députés René Delzangles et Jean Etcheverry-Ainchart, le marquis d’Arcangues Président du Syndicat d’Initiatives de Biarritz, Telesforo de Monzon, Jesús de Galindez, Javier Landaburu, José Camiña, Jon Bilbao, Manuel de Ynchausti, Javier de Gortazar, Txomin Epalza, Louis Dassance, Philippe Oyhamburu, Marc Légasse, Philippe Veyrin, Pierre Rectoran, Ramiro Arrue, Herisson-Laroche, proviseur du Lycée de Biarritz, Jean de l’Espée, directeur du Courrier, le Docteur Jean Garat, directeur de Côte Basque Soir, des journalistes de Bayonne et de Biarritz et les correspondants des quotidiens de Bordeaux et de Toulouse, Larrieu, architecte municipal de Biarritz etc…
Après les paroles de bienvenue de Manu de la Sota, Secrétaire Général du Congrès qui donna les grandes lignes de celui-ci, ce fut Mgr Saint-Pierre, Président d’Honneur qui expliqua aux assistants le caractère du Congrès, le présentant comme « une manifestation réalisée par un petit peuple qui veut vivre, quand d’autres se livrent au désespoir ». Il fit un bref historique des Congrès précédents en rappelant que le premier fut présidé par le roi Alphonse XIII et par l’évêque de Bayonne et annonça que le VIIème Congrès serait celui qui embrasserait le plus complètement l’étude de la personnalité du peuple basque.
Puis, le chanoine Narbaïtz expliqua l’importance du Concours de la Chanson Basque et son caractère éminemment populaire. Il insista sur le fait qu’à cette occasion, 20 à 30 txistularis allaient jouer ensemble pour la première fois en Pays Basque continental; enfin, il annonça Ramuntxo, première représentation de théâtre en euskara à Bayonne.
Philippe Oyhamburu donna des détails sur l’organisation du festival de danses et de sports basques. Le Docteur Jean Garat parla du Concours de Vitrines ouvert à tous les commerçants biarrots, organisé par son journal Côte Basque Soir et doté de prix importants.
L’architecte de la mairie de Biarritz, Larrieu présenta l’Exposition d’Artisanat Basque qui se tiendra au Casino de Biarritz et où seront représentées toutes les professions typiques du pays. Enfin, il fut donné à la presse une explication sur le planisphère réalisé par Manuel de Ynchausti et intitulé « L’expansion basque dans le monde » qui sera exposé pendant toute la durée du Congrès sur la façade du Théâtre de Bayonne.
Un succès sans pareil
Le congrès se déroula durant toute une semaine dans une ambiance que la presse qualifia d’extrêmement attentive, assidue et sérieuse. Plus de 300 congressistes assistèrent aux 260 communications (regroupées en 15 sections) qui se déroulèrent à Biarritz dans les salles du Lycée et du Musée de la Mer, ou à Bayonne, au Musée Basque.
Un restaurant aménagé dans une propriété voisine du Lycée de Biarritz servit de cadre aux pauses et aux repas partagés ; des moments de détente alternèrent avec des spectacles et des manifestations artistiques, un Gala de la Chanson Basque avec la finale du concours de la chanson basque au Théâtre Municipal de Bayonne, présenté par Michel Labéguerie et où l’on refusa du monde, ainsi qu’une excursion à Saint-Etienne-de-Baigorry à l’occasion de l’assemblée générale d’Eskualzaleen Biltzarra. Le Théâtre de Bayonne accueillit encore la pièce de théâtre « Ramuntxo » adaptatée au labourdin par Toribio de Alzaga d’après le célèbre roman de Pierre Loti et dans des décors signés de Ramiro Arrue, par ailleurs très actif dans ce congrès. Sans oublier un spectacle d’art folklorique du groupe Oldarra, « soirée de gala » programmée par son dirigeant Philippe Oyhamburu au Casino Municipal.
Dimanche 12 septembre 1948, la journée d’ouverture avait débuté par une messe célébrée dans l’église de Saint-Jean-de-Luz par Mgr Saint-Pierre et rehaussée par la présence de la «Schola Cantorum» et des txistularis qui jouèrent l’Agur Jaunak au moment de l’Elévation. L’officiant, dans son homélie, déclara que le peuple basque «devait s’efforcer de conserver les dons reçus du Seigneur et persévérer dans le culte de la foi, dans l’amour de la liberté et dans le développement de sa personnalité». La messe fut suivie au fronton municipal d’une partie de rebot entre les équipes d’Hasparren et de Baigorri.
La session inaugurale eut lieu l’après-midi dans le Grand Salon de l’Hôtel Miramar à Biarritz. Une double rangée de dantzaritxikis accueillait les autorités et les congressistes qui furent salués par les txistularis aux accords de l’Agur Jaunak. On remarquait aux places d’honneur: Mgr Terrier, évêque de Bayonne qui ainsi rappelait par sa présence que son prédécesseur Mgr Gieure avait inauguré 30 ans auparavant le 1er Congrès d’Etudes Basques à Oñate; le lehendakari José Antonio de Aguirre avec deux de ses conseillers Telesforo de Monzon et José María de Lasarte; Cluzeau, adjoint au maire de Bayonne ; le Commandant Boissel, directeur du Musée Basque; Arné, directeur du Musée de la Mer; Herisson-Laroche, proviseur du Lycée de Biarritz; le chanoine Narbaïtz. Ces personnalités entouraient les autres orateurs qui tout à tour, s’adressèrent à l’assistance: José Miguel de Barandiaran, président de la SIEB et du Congrès; Louis Dassance, Président d’Eskualzaleen Biltzarra et Maire d’Ustaritz; Le Marquis d’Arcangues, Président du Syndicat d’Initiatives de Biarritz et du Comité de Réception du Congrès et Lourtet, adjoint au Maire de Biarritz. Une réception fut ensuite offerte aux congressistes par Guy Petit, député-maire de Biarritz, qui leur souhaita la bienvenue et marqua l’intérêt de la ville pour les travaux du Congrès. Enfin, les congressistes visitèrent l’exposition d’artisanat basque qui se tenait dans le hall du Casino Municipal de Biarritz (entre autres, des réalisations de la Poterie de Ciboure et des makilas de la maison Bergara à Larressore).
Et les communications données dans les Sections furent précédées de quatre Conférences Générales destinées à un public plus vaste : «Les Basques et le droit international» en mémoire de Francisco de Vitoria, un des fondateurs du droit international au XVIème siècle, par René Delzangles, avocat à la Cour d’Appel de Paris, ancien député et maire de Villefranque ; « Bernard Detchepare, premier poète basque » par le professeur René Lafon, de l’Université de Bordeaux ; « Projet de création d’une Université Internationale d’Eté à Biarritz » par Jon Bilbao ; et « La musique au Pays Basque français » donnée au Musée Basque de Bayonne par Claudie Marcel-Dubois, du Musée National des Arts et Traditions Populaires (Palais Chaillot à Paris).
A titre de curiosité, on notera les communications présentées par deux jeunes Basques, originaires l’un d’Espelette - il s’agit de l’abbé Roger Etchegaray (à l’époque âgé de 26 ans, et qui deviendra le renommé cardinal) qui traita de « L’effort missionnaire des Basques à travers les siècles » - et l’autre de Saint-Etienne-de-Baïgorry : c’est Jean Haritschelhar (25 ans, qui dirigera le Musée Basque et présidera l’académie de la langue basque Euskaltzaindia) qui évoqua les « toberas-mustrak » !
Création d’une chaire de langue basque à l’Université de Bordeaux
Parmi les nombreuses résolutions votées au cours des débats engagés dans les différentes sections, il convient encore de remarquer les remerciements du Congrès au Ministre de l’Education Nationale qui avait inscrit la création d’une chaire de langue basque à l’Université de Bordeaux dans le projet de budget 1948…
La séance de clôture se tint dans la salle La Rochefoucauld du Lycée de Biarritz avec les paroles de remerciements de José Miguel de Barandiaran et le dernier vœu exprimé par Mgr Saint-Pierre : « Et maintenant, un dernier vœu, un dernier souhait: c’est que nous nous accrochions de plus en plus à notre culture si originale; il faut la garder à tout prix au milieu de tous ces efforts totalitaires qui veulent modeler le monde d’une seule manière. La Providence, le Bon Dieu, nos ancêtres, nous ont fait ce que nous sommes; ils nous ont donné un héritage spirituel magnifique, un capital moral splendide, ne le gaspillons pas: au contraire, gardons-le, cherchons dans ce capital, nos raisons de vivre; nourrissons-nous de ce capital et donnons toujours au monde l’exemple d’un peuple qui veut vivre ce qu’il est et qui veut donner au monde l’exemple, le spectacle de la permanence. Je sais bien, c’est précisément cette permanence du tempérament basque, cette permanence du droit coutumier des Basques, qui fait que d’autres nous regardent avec étonnement, avec stupeur, pourquoi ne pas le dire: quelques-uns avec peur. Qu’ils se rassurent… L’exemple basque est un exemple magnifique de fraternité : nous l’avons donné durant ces jours. Il faut maintenir cette fraternité au milieu de nous avec le goût de ce que nous sommes, le goût de la culture basque, et pour cela mettons-nous y tous. Il y a dans le Congrès, assez de travaux, assez de cours, assez de conférences pour que, quand les travaux seront publiés, vous puissiez y trouver une mine, je dirais inépuisable d’idées, de sentiments, de basquisme ».
Et dans la foulée - « l' euphorie » , écrit Jean-Claude Larronde - du succès de ce VIIème Congrès, divers événements prirent racine, en particulier : le concours annuel de bertsularis (celui de 1948 fut remporté le 19 novembre à Saint-Palais par Mattin) ; la pièce de théâtre Ramuntxo serait redonnée ; le Gala de la Chanson Basque ainsi que la Fête de la Danse Basque seraient organisés chaque année ; une Fédération Folklorique avec sections de chant, danse, musique et théâtre serait créée ; on renouerait avec la tradition des pastorales ; on créerait un concours de chansons basques et des concours littéraires pour les enfants avec la participation de l'hebdomadaire Herria ; des concours de contes basques et des conférences seraient organisés ; des livres en basque pour les enfants et des livres pour l'enseignement du basque dans les écoles seraient édités ; la revue Eusko Jakintza continue d'être publiée ; un effort serait consenti pour la sauvegarde des stèles discoïdales ; un vœu demandant l'admission de l'Euskara parmi les nombreuses langues admises au baccalauréat serait présenté, etc. @Et surtout, en décembre 1948, les organisateurs et participants de ce VIIème Congrès eurent la satisfaction de voir se réaliser un de leurs vœux : le 7 décembre 1948 fut inaugurée à l'Université de Bordeaux la chaire de langue et littérature basques confiée à René Lafon !