A - Duc Jean de Berry
Quand le noble prince pense à son souvenir au soir de sa vie : Jean de Berry laisse à son royaume de France un trésor de figurines, de dates liturgiques et de prières uniques et conservées avec une immense délectation. Dans la partie calendrier de cet ouvrage exceptionnel, on trouve des détails sur la vie et l'œuvre du duc de Berry, sur ses résidences, le nom des proches et familiers et des détails précieux pour en connaître l'origine.
On trouve donc là bien plus que les prières d'un vieil homme au soir de sa vie - à plus de 79 ans, âge certain pour l'époque -, sans héritier mâle, qui sait que son héritage culturel sera démantelé à sa mort par ses héritiers et les œuvres d'art qu'il affectionne, seront dispersées. Il commande alors ces "Très Riches Heures" commençant par un calendrier où chaque scène décrit un détail personnel du Duc. Il est présenté comme un prince de la paix, bâtisseur et mécène passionné par la beauté et les arts. Par ce recueil d'images comme un catalogue original pour l'époque, on découvre l'homme et son temps. L'histoire du royaume de France, selon le directeur du musée Condé au château de Chantilly, est au cœur de difficultés et de crises profondes pour le pays, mais le Duc a la passion de la perfection.
"Comprenez que la Guerre de Cent Ans fait rage depuis des décennies, le roi Charles VI est déclaré fou et la chrétienté est divisée en un schisme profond. Les bandes de voleurs pillent les terres et les revenus des laboureurs. C'est pourtant en ce monde déchiré que parait ce manuscrit et ces miniatures inestimables conservées à ce jour encore avec un message de paix et d'harmonie qui manque durement dans la vie publique du pays."
Il faut rappeler que les astrologues consultés ont fait corriger certaines dates des fêtes liturgiques pour qu'elles correspondent avec les mouvements du ciel, pour le bénéfice du duc et de l'Église.
"La présence de deux papes au sein de l'Église ne favorise la concorde pour l'instant mais le soin apporté à la composition du calendrier de paix et d'assentiment des esprits, est voulu pour favoriser leur rapport divisé. C'est à partir du XVème siècle que par les manuscrits, les tableaux, les incunables, les pièces textiles ou l'orfèvrerie confiés aux artistes ont valorisé ce livre reproduit à l'infini, mais l'original existe, par "son calendrier et la vie rythmée des seigneurs et des paysans de ce temps, les cultures et les saisons de notre imaginaire du Moyen Âge. Cité encore dans Umberto Eco pour le livre à fermoirs au début de la Belle au bois dormant et les sept nains. Et encore le château de Cendrillon, célèbre dans tous les Disneyland".
Les peintres Brueghel le savaient, puis les réalisateurs de l'image comme Marcel Carné pour les Visiteurs du soir, ou Walt Disney visitant Chantilly en 1935. Le manuscrit a inspiré Blanche Neige, philosophes et romanciers - l'auteur du Nom de la rose adapté au cinéma par Jean-Jacques Annaud qui a dit que ces miniatures du livre offraient le meilleur film possible du Moyen Âge, selon Mathieu Deldicque archiviste, paléographe de renom de cette restauration au château de Chantilly.
B - Une exposition exceptionnelle à Chantilly
Un monde miniature et coloré comme un retour à l'enfance au Moyen Âge, dit le commentaire. On y retrouve, "la paix, la prière, la prospérité, et la puissance" qui gouvernent cet âge historique de France. et là on trouve l'un des plus beaux manuscrits d'Occident envié par le reste du monde. On s'identifie à ce royaume des fêtes et des jours, dans un graphique imagé et prompt à alerter notre imagination.
Les experts ne se sont pas trompés. Depuis la restauration de ce chef d'œuvre, le regain d'intérêt s'est amplifié pour cette relique politico-religieuse médiévale.
Ce bestiaire est vivant pour les humains et leur compagnie, leurs tables et leurs plaisirs. Sublime !
Le livre gardé dans un château et menacé de disparaître dans l'humidité et les maladies des archives mal protégées. Mathieu Deldicque, conservateur du musée de Chantilly, a pris les grands moyens pour le transmettre intact.
Quelques experts triés sur le volet y travailleront. Connu en fac similis physique, on pourra consulter le livre mais sous embargo définitif. Les questions demeurent : quelles sources flamandes, françaises, italiennes, orientales et antiques ont pu générer un tel trésor ? Qui étaient donc les premiers auteurs de cette relique ? Les trois frères de Limbourg aux Pays-Bas, formés à l'orfèvrerie, inspirés par les camées, neveux du peintre jean Malouel à qui l'on doit une première toile française de la Vierge, la "Vierge au papillons" conservée à Berlin ? Mais encore les questions de curiosité de l'art résistent aux non-dits.
Ces trois compagnons disparus, voyageant de Bourges à Paris, puis qui avait pu achever leur travail interrompu par la peste noire en 1416, et au final confié aux 28 mains différentes qui se sont transmis la production esthétique de l'œuvre, disent les experts.
Et dans ce florilège, la figure du duc de Berry, un noble beau (au "confortable" embonpoint), attaché à la peinture. Jean de France, 1340-1416, ou Duc de Berry en est le commanditaire. À ses pieds, l'insigne royal du "christique cygne blessé", figure du diplomate habile, d'une curiosité insondable et en quête des choses belles et uniques de son temps. Sont évoqués le souvenir de la sainte chapelle de Bourges (incendiée un jour plus tard), d'exceptionnels objets d'orfèvrerie appartenant au royaume de France, 300 parchemins, de théologie, philosophie et livres de prières. Mais encore la Cité des dames retrouvée, dont l'auteur est une femme, féministe avant l'heure, qui écrivit La cité des dames. Il s'agissait de Christine de Pisan. Le dit Duc de Berry avait possédé 18 Livres d'Heures à sa demande. Prière et action s'engendraient dans le travail et la contemplation médiévale
On trouve encore dans cette exposition "Romuleon", compilation d'histoire romaine quelque peu légendaire sans doute, disent les experts, mais dont les 378 enluminures ont une valeur patrimoniale unique.
Le cinéma et la publicité ont bien repris cet exceptionnel modèle d'inspiration historique français, qui par la restauration de l'œuvre et l'exposition à Chantilly - de juin à octobre 2025 - retrouve ses admirateurs et les passionnés d'art du monde.