Les Pyrénées furent-elles une barrière ou un passage historique des religions dans le passé ? L’histoire mouvementée de “ce mur de résistance” n’eut cesse de raconter les péripéties des chemins empruntés par les belligérants du nord au sud, du sud vers le nord.
Mais qu’en serait-il des chrétiens pour eux mêmes ?
Le chemin de Saint Martin du Haut moyen-âge entrevoyait ce parcours vers Saragosse, disent les cartulaires d’époque. Les voies jacquaires suivantes prolongèrent cet itinéraire plus ancien vers Santiago de Compostela. “Le bout du monde créé selon la spiritualité du temps, et de toute la chrétienté” connue à cette époque pour l’Ibérie antique.
Ces itinéraires s’enrichirent de rencontres pèlerines locales, régionales, inter-régionales, somme toute transpyrénéennes, et d’une historicité plus contemporaine.
Roncevaux, Xabier/Javier (Xavier) en Navarre, parmi d’autres monastères bénédictins dans le royaume, Leire, Estibaliz, Lazcano, Aranzazu et Loiola pour le Guipuzcoa, Vitoria et le culte à la Virgen Blanca en Alava, et bien davantage de lieux de pèlerinages diocésains in situ favorisèrent - et jusqu'à nos jours - dans chaque région la rencontre des chrétiens.
Beaucoup de ces lieux de rencontre spirituelle sont considérés comme lieux de protection des provinces autonomes actuelles, elles l’étaient bien précédemment dans l’histoire chrétienne du passé.
Le Jour de la Navarre est placé sous le patronage de Xavier et donne lieu à des festivités fériées, la messe solennelle y est célébrée par l’évêque de Pampelune au château de Javier en présence des autorités navarraises en fonction du programme, jusqu’à une époque récente.
S'il n’existe pas à ce jour de conventions ni de rencontres pèlerines officielles proposées aux chrétiens des deux versants, lors de ces festivités, la participation individuelle ou informelle de familles issues de ces diverses provenances existe.
Il n’est pas inhabituel de rencontrer à Roncevaux les Navarrais de la haute et de la basse province au monastère médiéval du lieu.
Mais selon l’agenda officiel des fêtes de saint Jacques, les diocèses proposent chacun pour leur compte, leur programme et leurs rencontres sous la férule de leur propre évêque. Il est cependant des rendez-vous inhabituels, hors ces propositions traditionnelles sur les points de passage des Pyrénées comme au Somport, à la Pierre saint Martin, à Sarrance chez les Prémontrés, où des échanges entre les chrétiens des deux côtés existent depuis fort longtemps.
Les abbés Moulia, Erbin, Partarrieu en Haut Béarn et en Soule en demeurent les acteurs. A Sarrance, des chrétiens venus d’Espagne et d’Aragon, et conduits par leurs prêtres, viennent en pèlerinage une fois l’an. Une statue de Notre-Dame de Sarrance portée en Espagne rapporte la dévotion ancienne du lieu par-delà les Pyrénées.
Selon de vieilles coutumes médiévales, on bénit les troupeaux des pacages communs et on célèbre une messe en français ou en espagnol, selon les années, par des curés proches du lieu, en scellant des alliances qui éviteront les disputes légendaires du passé sur l’attribution et la disponibilité des pâturages, les bergers bénéficiant de ces ententes. Les autorités locales, député, maires, élus des communes concernées, évêque présent ou représenté, participent à ces réjouissances pyrénéennes annuelles maintenues par les édiles des deux bords. La participation des Juntes espagnoles, aragonaises ou navarraises y étant assurée au sommet de leurs délégations officielles.
En certaines communes, dit Jean Casanave, délégué jadis à la pastorale du tourisme en Béarn, “on avait abandonné l’usage, mais suivant la demande reformulée par les élus, on renoua avec les coutumes.”
Du côté basque, en Pays Quint, près des sommets d’Urepel, l’abbé Etcheverry, pasteur dans l’âme disparu récemment, maintenait ces coutumes et facilitait leur périodicité.
A Ainhoa, Notre-Dame de L’aubépine réunit le lundi de Pentecôte les chrétiens des deux côtés de Dancharinea où la restauration récente de la chapelle par les villageois montre l’intérêt de ce site transfrontalier et religieux.
A Sare et à Hendaye, il était d’usage au temps du curé Lahetjuzan d’inviter les prêtres d’Irun, selon Philippe Beitia, originaire d’Hendaye. Le curé célébrait la messe en espagnol auprès des soeurs Siervas de Jesus dans leur maison hendayaise qui entretenait des relations suivies avec leur congrégation en Espagne.
L’abbé Michelena, établi du côté français en 1938, lors de la guerre civile, maintenait des rapports avec son diocèse d’origine et ses amis prêtres. L’usage des langues communes, le basque et l’espagnol, permettait des rencontres informelles, hors des projets officiels engagés par les autorités diocésaines à Bayonne ou à Donosti- Saint Sébastien.
Les coutumes se maintenaient de la sorte, sans esbroufe, sans publicité particulière. Tandis que les institutions officielles de l’Euro-Région, du Consorcio, de l’Euro-cité, structures plus récentes encouragent les populations à oeuvrer davantage dans le sens et l’esprit de ces traditions grégaires et plus anciennes, les pratiques religieuses tendent à stagner et se répéter peu ou prou selon un "style répétitif" et classique des us et coutumes du passé.
La portée de ces échanges transfrontaliers ou transpyrénéens est devenue un gage d’avenir. Les chrétiens auront-ils leur place si d’aventure il leur venait le souhait de les développer dans les églises diocésaines sises sur les deux versants ? Le cardinal Roger Etchegaray en rappelait la nécessité pour le temps qui vient.
Des rencontres officielles se tinrent, souligne l’ancien supérieur du séminaire de Bayonne Philippe Beitia, entre séminaristes, professeurs et supérieurs des diocèses basques et navarrais pendant plusieurs années, comme lors des journée des vocations, mais leur perénité se posait dans ces diocèses où les vocations font défaut, dans les séminaires et les congrégations religieuses.
Les programmes politiques européens engagés dans le sens des projets en commun, les attributions des autorités régionales et locales ajoutées aux premières confirment cette volonté d’aller vers davantage encore de relations commerciales et personnelles entre les régions sises le long des Pyrénées françaises et espagnoles.
A Pampelune, Bilbao et Saint Sébastien, la présence étudiante étrangère, de professeurs universitaires et de chercheurs le confirme.
Les ambitions des coopératives, véritables réseaux industriels dans la recherche et la production, ne cessent de nourrir de tels programmes économiques européens et internationaux.
La culture, les musées, les bibliothèques favorisent les échanges. Leurs ressources disent les experts sont denses, et leurs disponibilité peu ou prou exploitées.. Les Télévisions régionales, les réseaux numériques sont actifs et d’une capacité amplifiée pour relayer l’information, mais les relations personnelles trans/informatiques restent confidentielles.
Mais qu’en est-il des chrétiens et de leur motivation dans ce panorama élargi ? Les accords ou conventions signés entre diocèses transfrontaliers manquent en la matière.
Les années 60 permirent des traductions de la Bible, véritable travail de bénédictin mené par les abbayes en faveur de la Parole de Dieu dans la langue vernaculaire basque et son pendant liturgique.
Pour l’heure la période de latence actuelle accentuée par le virus semble avoir donné un coup d’arrêt à ces initiatives d’antan.
Les témoins de l’époque sont âgés, décédés et la relève manque.
Le culte et la culture se menant ensemble, l’économie et la recherche coordonnant leurs travaux, le déficit avéré de relations et d’échanges continus rappelle l’urgente utilité d’y revenir...
Le virus ambiant ne favorisant les process, le paradoxe du moment est dans l’anachronisme d’une attente pressée des autorités administratives en faveur de projets menés ensemble, en France et en Espagne, et la pesanteur du moment chargé d’incertitude ou d’inquiétude pour le temps qui vient.
Les chrétiens doivent-ils s’y intéresser davantage ? Une préoccupation religieuse évidente demeure pour les croyants des deux côtés des Pyrénées !