Notre époque redécouvre la philosophe juive, élève d’Alain, admirée, et d’une intelligence fulgurante, née en 1909 et décédée (de maladie) en 1943 en Angleterre, pendant la guerre de 39-45.
Son professeur Alain l’appelait « la Martienne », d’autres encore « la Vierge Rouge », et la philosophe Marie Madeleine Davy – « la prophétesse », car elle incarnait la puissance intellectuelle d’un des penseurs les plus brillants de son temps.
Mêlée à la vie sociale, syndicale, ouvrière et manuelle à ses heures, elle voulut épouser et connaître de l’intérieur le monde du travail et choisit pour le faire de quitter le confort de sa vie intellectuelle pour entrer dans cet autre univers qui n’était pas le sien.
Juive et se sentant menacée, elle choisira de rejoindre pendant l’Occupation l’Angleterre et les rangs de la résistance. Ce qui en temps de guerre représentait certes un acte de bravoure et de courage inouï de la part de cette jeune femme.
Au milieu de ses ouvrages philosophiques, politico - religieux, mystiques et bibliques, il y a la fascination pour ses origines juives et la pensée chrétienne qu’elle rejette une grande partie de sa vie mais qui la pourchassent dans sa réflexion personnelle.
Dans ce monde de délations, de reniements et de mensonges, elle choisit la probité morale et l’engagement.
1 - Son livre reconnu par ses héritiers spirituels est « L’Enracinement », écrit en ces années douloureuses pour la France et pour l’intellectuelle qu’elle était. Alliant pour tout homme les droits humains à ceux d’obligations pour tous, elle affirmait qu’un homme seul dans l’univers n’aurait aucun droit mais des obligations. « Hors de l’univers, au-delà de ce que les facultés humaines peuvent saisir, cette réalité qui correspond dans le cœur à l’exigence du bien total se trouve en tout homme. Il en découle ce qui est bien ici-bas et de cet état procède pour tout sujet toute obligation ».
Simone Weil ne distingue jamais les besoins terrestres de l’âme et du corps en tout être humain autant qu’il est probable d’y parvenir. Si le corps a besoin de nourriture, de sécurité et de chaleur, l’âme a besoin de reconnaissance et de responsabilité, de vérité, de liberté, d’intimité c’est là toute réfutation d’une mutilation probable par défaut. « Ces besoins sont sacrés, l’adhésion ne peut être subordonnée à la raison d’Etat, à la nationalité, à l’argent, à l’idée raciale et à la couleur des hommes »...
Son ouvrage « L’Enracinement » est un manuel philosophique éminemment moral, spirituel et transcendantal. Albert Camus en avait assuré la diffusion dans cette intention.
Notre époque matérialisée, mécanisée et dépendante à l’excès de la technologie et de la matière est interrogée par la réflexion de cette philosophe atypique, dérangeante et si nécessaire aujourd’hui.
La première partie de l’ouvrage évoque les besoins de l’âme, l’ordre et la liberté spirituelle, l’obéissance aux règles du bien-être, la responsabilité personnelle, l’égalité entre les sujets, la hiérarchie des valeurs, l’honneur du service public, le châtiment pour les transfuges, la liberté d’opinion, la sécurité des personnes et des biens, le risque et la valeur de la propriété privée et collective, enfin le sens et la recherche de la vérité en toute chose.
Difficile avec un tel projet de vie de faire l’unanimité de la pensée communément partagée par ses contemporains, mais qu’importe au-delà des standards et des conventions en usage, la philosophe touche les sujets qui dérangent et son engagement personnel en sera l’idéal vécu de cette courte vie si remplie.
2 - Dans la seconde partie du livre intitulée « le déracinement », Simone Weil dénonce les situations du présent de cette condition traversée dans le monde ouvrier qu’elle découvre, le monde paysan qu’elle étudie, et l’état attristant de la France qu’elle déplore.
3 - Dans la troisième partie qui porte le titre de l’ouvrage « L’Enracinement », elle rappelle les devoirs civiques et spirituels qui permettent de se reconstruire et de construire un idéal de vie altruiste humaniste et généreux.
Silence de la petite fille dans Grimm qui sauve les sept cygnes ses frères, silence du juste Isaïe, injurié, maltraité comme elle le fut, mais qui n’ouvrait pas la bouche, silence du Christ qui fascine cette juive, à la manière d’une convention divine, un pacte voulu par l’Eternel avec lui-même, qui ordonne ici-bas la vérité au silence.
A la vie tourmentée, Simone Weil a le profil comparable de ce qu’elle qualifie dans la Bible comme une récurrence indélébile du Livre de l’Humanité qui s’écrit en ces effroyables années de guerre avec leur cortège de camps de la mort, de dévoiements et d’opprobre.
De Gaulle l’admira, elle en fut une muse et dit-on, elle écrira en partie cet ouvrage pour saluer l’absolue probité de ce Français exceptionnel et courageux.
La question religieuse, reconnue dans nombre de ses livres, est permanente : « La pesanteur et la grâce », « Lettre à un religieux », « L’attente de Dieu », parmi ses 46 ouvrages, constituent une permanence de sa pensée spirituelle insatisfaite des réponses à ses interrogations...
Fascination de son judaïsme originel, besoin d’être vraie avec les actes politiques de ses engagements, la philosophe fut un témoin supérieur de son temps.
On semble la redécouvrir à présent comme par nostalgie, par regret, par nécessité de donner sens au monde qui est nôtre, déboussolé, inquiet et en quête toujours d’espérance.
François-Xavier Esponde
NDLR : dans « L’enracinement », Simone Weil note : « Conserver à la philosophie laïque son statut officiel serait une mesure arbitraire, injuste en ce qu'elle ne répond pas à l'échelle des valeurs, et qui nous précipiterait tout droit dans le totalitarisme. Car, bien que la laïcité ait excité un certain degré de ferveur presque religieuse, c'est par la nature des choses un degré faible ; et nous vivons dans une époque d'enthousiasmes chauffés à blanc. Le courant idolâtre du totalitarisme ne peut trouver d'obstacle que dans une vie spirituelle authentique. Si l'on habitue les enfants à ne pas penser à Dieu, ils deviendront fascistes ou communistes par besoin de se donner à quelque chose » (à l’époque, l’extrémisme islamiste n’était pas encore aussi palpable que de nos jours, ndlr). « On voit plus clairement ce que la justice exige en ce domaine quand on a remplacé la notion de droit par celle d'obligation liée au besoin. Une âme jeune qui s'éveille à la pensée a besoin du trésor amassé par l'espèce humaine au cours des siècles ».