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Cinéma
L’Enlèvement (125’) - Film italo-franco-allemand de Marco Bellocchio
L’Enlèvement (125’) - Film italo-franco-allemand de Marco Bellocchio

| Jean-Louis Requena 1121 mots

L’Enlèvement (125’) - Film italo-franco-allemand de Marco Bellocchio

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L’Enlèvement de Marco Bellocchio ©
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En juin 1846, Giovanni Maria Mastai Ferretti, âgé de 54 ans, est élu 255ème pape de L’Église catholique sous le nom de Pie IX. Son statut est celui d’un monarque absolu élu, de droit divin. Il règne à Rome, dans le Palais de Quirinal (résidence actuelle du Président de la République Italienne), sur les États pontificaux (grosso modo, le Latium et l’Émilie Romagne, avec les villes importantes de Rome, Bologne et Ferrare). 
Les États pontificaux (754/1870) dissous par le Directoire (France : 1795/1799) en 1798, ont été restaurés lors du Congrès de Vienne en 1815, après la chute du Ier Empire de Napoléon (1804/1814). 
Le début du pontificat de Pie IX est à tendance réformiste, libéral, dans la continuité du « Siècle des Lumières » (1715/1789) au point que Victor Hugo (1802/1885) prononce à la Chambre des pairs en 1848 un éloge enthousiaste, à Pie IX : « Pie IX enseigne la route bonne et sûre aux rois, aux peuples, aux hommes d’Etat, aux philosophes, à tous ». Il est à ce moment là « le Pape des droits de l’homme ».

En 1846, à l’accession de Pie IX au trône de Saint Pierre, les juifs des États pontificaux (sépharades expulsés d’Espagne au XVIème siècle), étaient soumis à un statut particulier dit de « protection ». Ils étaient surnommés « les Juifs du Pape ». Le culte juif était toléré dans leurs quartiers distincts (ghettos ouverts), après des siècles d’ostracisme. C’est, sous le pontificat de ce Pape tolérant, dans la première décennie de son règne (35 ans, le plus long de la papauté à ce jour !), qu’éclatera « l’affaire Mortara » au retentissement international.

En juin 1858 à Bologne, la gendarmerie pontificale sur ordre de l’inquisiteur, le dominicain Pier Gaetano Feletti (Fabrizio Gifuni), perquisitionne dans la demeure d’un couple de juifs, Solomone Mortera dit « Momolo » (Fausto Russo Alesi) et Marianna Padovani Mortera (Barbara Ronchi), israélites religieux parents de huit enfants. 
Un de leurs enfant âgé de 6 ans, Edgardo (Enea Sala) est enlevé brutalement à sa famille. Une servante catholique, Anna Morosi (Aurora Camatti), l’avait fait baptiser en cachette de ses parents, alors qu’il était nourrisson, gravement malade, et lui avait-il semblé, en danger de mort. La frustre domestique ne voulait pas qu’il erre de toute éternité, suivant sa croyance, dans « les limbes ». 
L’enfant enlevé est conduit à Rome, puis confié à la Maison des Catéchumènes, congrégation pour juifs convertis, afin d’y être élevé dans la religion catholique. Le baptême administré en cas d’urgence reste valide au regard du Droit canonique. Le Pape Pie IX (Paolo Pierobon) doit arbitrer le dilemme : il tranche en faveur des « intérêts spirituels » du jeune Edgardo.

L’enfant est éduqué à Rome, dans diverses institutions catholiques. La famille Mortara à laquelle se sont joints des rabbins et des laïcs, se bat pour récupérer leur enfant. Un long combat douteux commence entre « les juifs du Pape » et le Souverain Pontife résolu à garder l’enfant au sein de l’église catholique. C’est le « non possumus » (nous ne pouvons pas) du Pape Pie IX. Les temps changent, l’Italie est en plein « Risorgimento » (1848/1870), lent processus de l’unification de l’Italie. Le trône de Saint Pierre vacille …

Cependant, au fil du temps, bien traité, choyé par les prêtres, Edgardo grandit …

Avec sa dernière livraison, L’Enlèvement (Rapito) le réalisateur italien Marco Bellocchio (84 ans !) explore de nouveau, avec son acuité tranchante, un sujet historique et dramatique de son pays. Après son premier coup d’éclat en 1966, Les Poings dans les poches (I pugni in tasca) traitant d’une famille excentrique, voire décentrée, puis quelques égarements dans l’univers psychanalytique, ce dernier a repris sa veine naturelle ou il excelle : explorer l’histoire douloureuse de l’Italie. Ses longs métrages s’enchaînent sur cette thématique : Buongiorno, Notte (2004) sur l’enlèvement par les Brigades rouges du leader de la démocratie chrétienne Aldo Moro (1916/1978) ; Vincere (2009) sur l’histoire tragique de Benito Albino Mussolini, le fils caché du « Duce » Benito Mussolini (1883/1945) ; Le Traître (Il traditore, 2019) sur les aveux du repenti de la Cosa Nostra, Thommaso Buscetta. 
En 2022, pour la télévision, il a créé une mini-série Esterno notte qui reprend dans un long format (6 épisodes), l’enlèvement puis l’assassinat d’Aldo Moro. Enfin en 2022, Marco Bellocchio s’empare avec le concours de la scénariste Susanna Nicchiarelli de « l’affaire Mortara » qu’il développe dans sa durée (de l’enlèvement de Edgardo en 1858 à l’enterrement, houleux, de Pie IX en 1878 dans une Italie réunifiée).

En 1966, dès son premier long métrage (Les Poings dans les poches), Marco Bellocchio exposait avec une maîtrise confondante héritée de la « Nouvelle Vague » française, sous une forme haletante, saccadée, ses thèmes de prédilection : la famille, le pouvoir, la religion. Déjà, Il disséquait, au scalpel, ces trois items étroitement enchevêtrés : la micro histoire (la famille) est confrontée à la macro histoire (le pouvoir, la religion). 
Cette confrontation violente, broie les individus lesquels se rebellent ou pas. Se soumettre ou se démettre. Dans L’Enlèvement, c’est le « non possumus » de Pie IX, le dernier pape monarque des États Pontificaux, inébranlable malgré les mises en garde du secrétaire de l’Etat du Saint Siège, le Cardinal Antonelli (Filippo Timi). Ce dernier devant l’obstination du pontife, présageant de l’issue de la « question romaine » (la fin des États pontificaux et du pouvoir temporel des papes limités au Vatican) affirma : « Nous sommes finis ! Nous sommes finis ! ». Notons (sans polémiquer !), que le Pape polonais Jean-Paul II (1920/2005) a Béatifié Pie IX en 2000 (beatus Pius nonus).

La mise en scène est comme toujours chez ce réalisateur, nerveuse, avec cadrage parfait et peu de lumière (clairs obscurs à la manière des pré-impressionnistes français : Théodore Géricault et Eugène Delacroix) dans les intérieurs (appartements, églises, etc.) mais aussi en extérieur, dans de nombreuses scènes se déroulant de nuit. 
Saluons le travail méticuleux du Directeur de la photographie, Francesco Di Giacomo. A l’arc narratif intense, comme dans ses précédente œuvres, Marco Bellocchio insère des courtes séquences fantastiques, oniriques, qui « densifient » son récit implacable (séquence pontificale poignante sur l’œuvre du compositeur estonien Arvo Pärt : Cantum in Memorian Benjamin Britten). Chez ce vigoureux metteur en scène, nul scénario n’est programmatique : ils sont toujours surprenants par leurs embardées, leurs bifurcations, leurs richesses.

L’Enlèvement est l’œuvre d’une grande cohérence du plus grand réalisateur transalpin vivant, habitue à montrer ses films au festival de Cannes dans la section compétition officielle (Vincere en 2009, Le Traître en 2019, L’Enlèvement en 2023). En 2021, comme pour se faire pardonner des oublis pour ses films majeurs jamais récompensés au Festival de Cannes (exception faite d’un double prix d’interprétation pour les comédiens français Anouk Aimée et Michel Piccoli pour le Saut dans le vide en … 1980 !), cette institution lui a décerné en 2021 une Palme d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Il était grand temps, dix ans après le Lion d’Or de la Mostra de Venise (2011) pour le même motif !

Répondre à () :

J.-B. Hiriart-Urruty | 17/11/2023 10:12

La beauté du film ne doit pas nous faire oublier le caractère sinistre de l'histoire, le sectarisme de la papauté de l'époque... Tout nous fait penser à l'affaire Finaly du début des années 1950, dans laquelle le Pays basque fut concerné...

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