1 – L’après-pandémie
La pandémie qui a fait au bas mot plus de 110 000 morts en France pose à frais nouveaux le rapport au temps d’après-Covid comme celui d’après la crémation qui s’en suivit, pour nombre des décès dus à cette affection mortifère.
Car nombre de ces décès furent crématisés, dans l’urgence sanitaire que semblait dicter toute décision favorable en ce sens.
Les mesures conjuguées pour éradiquer tout à la fois la présence de la maladie entraînant la mort et l’éradication de tout contact avec le sujet avant puis après décès, ont imposé des mesures drastiques aux malades, aux soignants, aux familles et aux professionnels du funéraire, soumis aux mêmes interdits lors de cette crise pandémique.
La distanciation, l’isolement et la rupture de tout lien personnel avec “les infectieux” auront engendré des rapports aux risques variables selon l’interprétation légaliste ou aménagée des dispositions demandées en ces multiples cas.
Pour la plupart des disparus, les funérailles furent confiées aux professionnels, excluant par ce fait même la possibilité des familles d’accompagner - sinon à grande distance - leurs proches défunts.
Faute de vaccins utilisables pendant l'année 2020, on dut improviser des mesures prophylactiques imposées par l’autorité judiciaire et sanitaire, selon des conséquences parfois inédites sur les familles privées de la mort et de l’accompagnement de leur parenté.
Obsèques en séries ininterrompues, principalement dans les grandes villes, inhumations programmées et enchaînées, crémations en surnombre, dans des délais courts ne laissant que peu de place aux familles, le temps post-covid aura eu des effets difficiles pour permettre le deuil, aux premiers concernés par la disparition des leurs, à savoir les lignées directes des disparus.
L’industrie de la mort fonctionna à plein régime, faute de solutions alternatives que celle de s’en préserver, dans l’urgence et dans la crainte.
Les conséquences post-covid engendrèrent les effets post inhumation et crémation, dans une presse inavouée des effets directs subis par les entourages des disparus, à qui la réponse technique des professionnels laissait peu de champ pour la partager.
Les cérémonies civiles ou religieuses proposées étant réduites au service minimum, encadré par des mesures sanitaires obligées, on dut improviser à la demande des célébrations à distance qui laissaient souvent aux familles un sentiment de devoir d’accompagnement inachevé, brutal et douloureux.
L’isolement des corps sortis des hôpitaux, mis à l’écart, l’interdiction de s’en approcher, et la promptitude de s’en éloigner dans des délais contraints, il fallut s’y résoudre faute de mieux, laissant aux proches un sentiment de finitude sans autre solution que l’abandon au destin d’un virus mortifère, dont on compte désormais les victimes potentielles chez les survivants, par la dépression, les affections psychologiques aujourd’hui dues à cette rupture affective d’après-mort des leurs dans les familles.
Avouer l’origine de l’affection, “une nouvelle peste“ qui ne disait pas son origine, avoir crainte de la propager, malgré toutes les précautions prises pour s’en prémunir, représentait un autre mal qui doublait le premier, dans la vie sociale et relationnelle des environnements contraints de cette maladie.
Nos sociétés modernes, urbanisées pour la majorité de la population ou transplantées dans des résidences de retraite éloignées des lieux d’origine, ne proposaient que deux solutions précaires pour ce temps de l’après trépas.
L’inhumation ou le retour à la terre, la crémation ou le passage par le feu qui purifie les corps dénaturés de toute affection, selon la version philosophique des sociétés crématistes, ardents promoteurs de la pratique, le temps de l’après-Covid s’inspira de visions distinctes de ce temps du mourir.
Or, la terre et le feu n’engendrent pas à proprement parler la même conception de la vie humaine.
L’eau, l’air, la terre et le feu, les quatre éléments originels de la création demeurent distincts dans leur origine et leur fonction.
Ces trente dernières années, l’inhumation (retour à la terre-mère) faisant place pour quasi la moitié des décès au feu (symbole de lumière céleste), la pensée du mourir prend effet sur cette évolution des esprits de nombre de citadins paradoxalement partagés par un amour incandescent pour la nature et l’environnement, et la solution finale du feu consumant toute affection corporelle précisément à l’heure de la mort.
Pour d’autres encore le retour à l’eau, la mer, les rivières d’un pays, suivant toute crémation, la pratique de ce dernier voyage céleste d’une barque solaire à l’égyptienne, donne le désir à des humains autour de nous de partager ce choix personnel.
L’usage tend à se diffuser particulièrement en nos régions côtières où la proposition encore coûteuse est permise par le législateur.
La mer devenant un cimetière possible et potentiel des disparus de ces familles ?
2 - Le feu dans la transmission biblique.
La nuit la plus courte de l’année étant paradoxalement païenne et sainte, le temps du solstice de l’été ce 24 juin, on allume les feux de Jean le Baptiste, ce dernier prophète assimilé au feu biblique.
Le feu des croyants se partage encore lors de la Pentecôte parmi les vents et les langues de feu qui se répandent sur les apôtres.
Moise entra en dialogue avec son Dieu intrigué par la flamme de feu au milieu du buisson qui ne se consumait pas.Moise entendit une voix l’appeler et lui confier son peuple en lui révélant son Nom.
Le feu accompagnait la venue de l’Eternel sur le Mont Sinaï, sur lequel le peuple reçut les termes de l’alliance du Décalogue. “La montagne du Sinaï était toute fumante, le seigneur y était descendu dans le feu" Ex 19,18.
Dans le récit biblique le feu garde cette particularité purificatrice : “le feu du Seigneur tomba, il dévora la victime et le bois, les pierres et la poussière, et l’eau". 1 R 18,38.
Le feu purifie, Isaie voit sa bouche purifiée avec des braises. Is 6,7.
Mais encore le feu demeure le don de l’Esprit Saint, mêlé de vent et de lumière.
L’usage contemporain du feu lors des funérailles, épouse de toute évidence une adhésion au Don de l’Esprit qui permet à des disparus d’entrer dans l’Alliance avec l’Eternel, une forme de nouveau Sinaï où le croyant choisit pour son cas le mode de la rencontre avec la lumière.
Cependant, de telles pratiques devenues numériques modifient le rapport à l’après-mort en terre ou par le feu qui posent des questions neuves aux accompagnants civils ou religieux, d’un rapport symbolique à l’éternité, qui ne partagent pas les mêmes adhésions ni les mêmes convictions !