0
Portrait
Le sous-préfet Pierre Jean Etchegoyen (I) souvenirs de guerre à Saint-Palais/Donapaleu
Le sous-préfet Pierre Jean Etchegoyen (I) souvenirs de guerre à Saint-Palais/Donapaleu

| Alexandre de La Cerda 1635 mots

Le sous-préfet Pierre Jean Etchegoyen (I) souvenirs de guerre à Saint-Palais/Donapaleu

zAvec l'annuaire de Saint-Pierre et Miquelon.jpg
Avec l'annuaire de Saint-Pierre et Miquelon ©
zAvec l'annuaire de Saint-Pierre et Miquelon.jpg
prefet-stmartinweeek-300x300.jpg
A Saint-Martin ©
prefet-stmartinweeek-300x300.jpg

Il y a un an, s’éteignait dans sa 96ème année notre lecteur donapaleutar, l’ancien sous-préfet Pierre Jean Etchegoyen. Ses obsèques avaient été célébrées le 24 janvier 2020 en la chapelle de la maison de retraite Sainte-Elisabeth à Saint-Palais. Il m’a semblé intéressant de publier un entretien qu’il m’avait accordé quelques années auparavant dans sa maison « Etche Zaharia », baptisée ainsi du nom de sa grand-mère Marguerite Etcheçahar. Dans notre région, il eut l’occasion de s’occuper du Conservatoire du Littoral en Aquitaine et il avait pris sa retraite à Saint-Palais après son dernier poste à Haguenau, « la plus grosse sous-préfecture de France ».

Bien que sa famille fût originaire de Saint-Palais, Pierre Jean Etchegoyen n’y était pas né : « Mon grand-père était maquignon et commerçant en cuirs et peaux rue de la Bidouze à Saint-Palais où était né mon père, alors que moi-même, je suis né à Coquelles, à côté du futur tunnel sous la Manche, près de Calais. Car mon père s’y était marié. C’est ainsi que j’ai été en classe avec Jacques-Philippe Vendroux, (le père de l’actuel journaliste sportif sur France-Inter, ndlr.). Il était le neveu de l’épouse du général, Yvonne De Gaulle, avec qui ma mère avait fait ses études ! 

Mais, pendant la guerre, nommé capitaine, puis commandant, mon père resta en Angleterre avec De Gaulle, alors que nous – ma mère, mon frère et moi – étions réfugiés à Saint-Palais où j’avais passé tous les étés, en vacances. C’est donc à l’école de Saint-Palais que j’ai poursuivi ma scolarité, puis au collège Saint-Bernard à Bayonne (seconde, première, math-élém et le bac) ».

Pierre Jean Etchegoyen avait beaucoup de souvenirs sur cette période, d’autant plus que Saint-Palais était à la limite de la zone de démarcation, alors que Béhasque, où sa famille avait une adresse, se trouvait en zone libre : « Le poste de police allemand se trouvait au carrefour des routes de Mauléon et de Sauveterre mais je me souviens aussi du poste de police français installé à Béhasque dans une maison située en face de la route menant à l’église. Il y avait un soldat casque en tête et armé qui assurait une garde permanente. 
Toute personne se rendant en zone non occupée venant du poste allemand ou ayant franchi la ligne de démarcation en fraude, subissait un contrôle d’identité qui n’avait rien de sévère.

Nous étions bons marcheurs et les kilomètres ne nous faisaient pas peur. Je me souviens qu’un jour du mois d’août 1943, nous sommes partis à pied, mon jeune frère et Lucien, au pèlerinage de Saint Antoine. Nous pêchions en cours de route des écrevisses dans les ruisseaux de Lohitzun et de Pagolle, au retour dans le ruisseau d’Harambeltz. C’était le gros du repas. Le soir nous couchions dans le grenier à foin d’une ferme. Avant de partir, ma mère m’avait donné quelques pièces pour acheter en cours de route de quoi subsister. Nous sommes revenus avec, car dans les fermes on nous a régalé deux ou trois matins avec une délicieuse omelette au jambon.
L’hospitalité basquaise reste toujours proverbiale. 

Nous n’avions pas de bicyclette aussi nous marchions. Je me souviens que nous sommes allés à Bunus où habitait notre copain Pierre Uhart, à Autevielle où se trouvaient les parents d’André Etchepare. Combien de fois suis-je allé à Orsanco où habitaient les cousins de mon père. C’était le bon vieux temps ».

La prison de Saint-Palais

Pierre Jean Etchegoyen avait même « tâté » deux fois de la prison : « Je me souviens de la prison de Saint Palais qui ne recevait avant-guerre que des rares condamnés à des peines légères. Je regrette que, comme le Pont Noir, cette prison de Saint Palais, « monument historique » ait été détruite. Ils font tous deux partie de mes souvenirs personnels. Je me souviens d’y avoir fait un premier séjour d’une semaine fin août - début septembre 1940. J’avais demandé et obtenu un Ausweiss pour accompagner ma jeune sœur Marie-Jo, 14 ans, qui devait prendre à Pau un train pour la Tronche en Isère où s’était repliée la Maison d’Education de la Légion d’Honneur où elle faisait ses études. A mon retour, j’ai pris à notre adresse à Béhasque deux ou trois lettres destinées à notre famille. J’ai été fouillé au Poste Allemand du carrefour de Béhasque et emmené directement à la Prison de Saint Palais. Le courrier était interdit. Nous n’avions droit qu’aux cartes interzones à 90 centimes ».

Au cours de cette semaine à la prison de Saint-Palais, sa mère apportait à Pierre Jean Etchegoyen chaque jour ses repas car la prison n’avait pas de cantine ni de cuisine. Quant aux autres codétenus : « Les prisonniers et ils furent nombreux dès le début de l’occupation pour franchissement illégal de la ligne, s’adressaient au restaurant Dindart, voisin de la prison.
La garde de la prison était confiée à des gendarmes mobiles de la compagnie de Bayonne.

J’ai gardé de cette semaine un souvenir inoubliable, ineffaçable de ma mémoire. Un jour, j’étais dans la cour, assis à une table et je travaillais à une version anglaise que m’avait demandée Mademoiselle Bordenave, professeur d’anglais.
En venant à Saint Palais, j’étais passé de l’anglais à l’espagnol, mais ma mère voulait que je poursuive l’étude de l’anglais.
A un moment, je vois un index prolongé d’une manche galonnée se poser sur mon texte et une voix gutturale me dire : « ici un accent aigu et pas un accent grave, là il faut une E, c’est un féminin » ? 
Je me retourne pour constater qu’il s’agissait du commandant Krull qui faisait sa visite quotidienne à la prison. Je n’ai pas le souvenir de lui avoir répondu ni même de m’être levé. J’ai appris, très longtemps après, que Krull était professeur de français à Hambourg.

Mais j’ai appris aussi beaucoup d’autres choses concernant cet officier. A ce propos, je me dois de rapporter, si longtemps après l’Occupation, deux épisodes qui permettront de comprendre et peut-être d’expliquer pourquoi notre famille et probablement l’ensemble de la population de Saint-Palais n’ont subi aucunes représailles durant la guerre malgré la menace permanente de la Gestapo.

Je me souviens ainsi de ce jour où sortant de la boulangerie Lartigue, près du Palais de Justice, ma mère croisa le commandant Krull qui entra. Il s’efface très courtoisement et dit alors à Madame Lartigue : « Cette femme, je la connais, elle fait de la résistance, son mari est avec De Gaulle, ses deux fils sont dans l’armée Leclerc, mais je ne peux rien faire contre elle car elle n’a pas d’argent ».

Pierre Jean Etchegoyen retournera en prison une seconde fois, après avoir aidé un couple juif à franchir la ligne de démarcation. L’administration allemande étant pointilleuse, il retrouvera même aux archives départementales le registre d’écrou, ce qui lui permit de préciser les dates exactes de son incarcération du 2 juillet au 2 septembre 1941.

Il y était mentionné sa qualité de passeur. Ce fut probablement la raison de son long séjour, car les autres contrevenants de la ligne n’étaient condamnés qu’à 15 jours. Curieusement à la sortie, on lui rendra les 50 francs saisis : « Pourquoi cette mansuétude de la part des allemands ? Mon âge peut-être. J’aurais l’explication près de 40 ans après.
Lors de ma nomination à la préfecture des Pyrénées-Atlantiques en décembre 1978, mon nom était paru dans la presse. 
J’ai reçu début 1979, une lettre du gendarme mobile qui a eu l’occasion de fouiller mon frère Philippe et moi-même lors de notre incarcération. Il souhaitait avoir la confirmation qu’il s’agissait bien de nous deux. Il est venu me voir à Saint Palais et nous avons parlé longuement du passé.
Il nous a expliqué qu’il avait eu fréquemment l’occasion de converser longuement avec le commandant Krull. En fait, d’après lui, Krull n’était que lieutenant, commandant le poste de Kommandantur de Saint-Palais, tous les saint-palaisiens l’appelaient Commandant.
Pour lui, cet officier allemand, professeur de français aimait la France. Il ne lui avait jamais caché ses sentiments antinazis.
Il serait intervenu pour limiter l’action nuisible des deux officiers de la gestapo qui sévissaient à Saint-Palais. Enfin, il aimait Saint-Palais et le Pays Basque.
Notre ami gendarme qui, après la guerre et 17 ans de service, a travaillé pendant vingt à Izarra à Bayonne, nous a révélé qu’il avait revu après la guerre, l’ex-commandant Krukk et que celui-ci était revenu incognito à Saint-Palais à plusieurs reprises ».

Pierre Jean Etchegoyen avait eu l’occasion, durant sa carrière préfectorale, de rencontrer des habitants de Saint-Pierre et Miquelon – y retrouvant même un homonyme, Louis Etchegoyen, un pêcheur -, en particulier le président du syndicat d’initiative de de Saint-Pierre : il l’avait connu en 1977, lors de réunions communes avec la Guadeloupe et Saint-Martin dont il était le sous-préfet, en vue d’y favoriser le tourisme, dans les villes canadiennes d’Ottawa, Montréal et Québec. C’est ainsi qu’il avait reçu l’annuaire de Saint-Pierre et Miquelon où la moitié des noms sont d’origine basque (rien qu’à Miquelon, pour 600 habitants, les Lizarraga, Detcheverry, Etcheberry, Ilharréguy, Sabarotz, etc., sont légion, ndlr.).

Et Pierre Jean Etchegoyen de souligner avec une fierté certaine que pendant la guerre de 39-45, « Saint-Pierre et Miquelon fut le premier territoire d’Outre-Mer à rallier les Français Libres, en même temps que le Tchad en Afrique, sur l’instigation du général De Gaulle. Le président Roosevelt y fut foncièrement opposé : il n’aimait pas De Gaulle et ne voulait pas que le général puisse affirmer : « Je suis en France, à Saint-Pierre et Miquelon », ce qui n’était d’ailleurs pas son idée. Il y envoya alors l’amiral Muselier avec le lieutenant Savary – qui sera ministre sous Mitterrand – et plus tard, quand je les ai connus, leur association des anciens Français Libres sera la plus importante de toute la France. Car, beaucoup de Saint-Pierrais s’étaient engagés dans l’armée, en particulier dans la 2e DB de Leclerc. Il était important de rappeler leur patriotisme »

Nous continuerons la semaine prochaine la publication de la suite des souvenirs de l’ancien sous-préfet Pierre Jean Etchegoyen, de Saint-Palais.

Répondre à () :

| | Connexion | Inscription