La prochaine conférence de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne aura lieu, mercredi 12 mars prochain, à 16h30, à la Peña Taurine Côte Basque, 12 allées Marines à Bayonne.
Bernard Lachaise, professeur honoraire d’Histoire contemporaine à l’Université de Bordeaux-Montaigne, évoquera « Le président Loubet (1838-1929), des champs de la Drôme aux Champs-Élysées ».
Pour illustrer cette conférence, nous avons choisi ce portrait d’Émile Loubet peint en 1900 par Léon Bonnat (photo de couverture, huile sur toile, 128,5 x 104 cm © Musée de Valence)
L’ayant réalisé un an après l’accession de Loubet à la présidence de la république, Bonnat le montrait assis sur un simple fauteuil de bois afin de « privilégier sa personnalité charismatique » et plus particulièrement son visage dont le peintre soulignait la « tête construite d’une certaine manière, ajustée sur une encolure et des épaules qui la portent comme elles peuvent ». De fait, Bonnat a su saisir à la fois la volonté de l’homme au corps puissant, l’expression bonhomme du visage, l’intensité et l’intelligence du regard.
Comme de nombreux hommes politiques de l’époque, ce fils de viticulteur avait fait son droit et s’était inscrit au barreau de Montélimar. Durant ses études parisiennes, Émile Loubet avait fait la connaissance de Léon Gambetta pour gravir ensuite toutes les marches de la carrière politique : maire de Montélimar (1870-1899), député (1876-1885) puis sénateur (1885-1899), il devait être deux fois ministre et même présider en 1892 un gouvernement qui fut renversé en essayant d’étouffer le scandale de Panama.
La présidence du Sénat devait ouvrir à Émile Loubet les portes de l’Élysée et le 14 avril 1900, il inaugurait l’exposition universelle de Paris qui auront laissé à la postérité le pont Alexandre III ainsi que le Grand et le Petit Palais.
Deux affaires avaient marqué la présidence d'Émile Loubet : Alfred Dreyfus qu'il gracia le 19 septembre 1899 et la persécution de l’Eglise catholique par la Maçonnerie, qui interdit d'abord « l'enseignement de tout ordre et de toute nature aux congrégations » par une loi qu'Émile Loubet signera le 7 juillet 1904, puis, le 9 décembre 1905, la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat qui confisquait les biens religieux (entraînant l'épisode célèbre dans notre région du menottage et de l'arrestation du marquis d'Arcangues qui s'y opposait).
Le président du Conseil Émile Combes avait déjà interdit les religieuses infirmières dans les hôpitaux militaires, ordonné d’enlever les crucifix dans tous les tribunaux de France et, quelques jours avant les épreuves de l’agrégation, interdit aux ecclésiastiques de se présenter au concours : tant pis pour ceux qui s’y préparaient depuis de longs mois...
D'ailleurs, Émile Loubet ne faisait-il point partie de ces trois seuls présidents de la république qui avaient visité officiellement le Grand Orient de France, précédant ainsi Hollande et... Emmanuel Macron, dernièrement !
Précisément, le Grand Orient qui sera à l'origine du scandale de l'affaire des fiches en octobre 1904, après avoir favorisé le 9 décembre 1903 le rejet unanime par le parlement du vote des femmes, accusées depuis la révolution de pencher vers le conservatisme et la religion (alors que la Monarchie reconnaissait le vote des femmes, chefs de famille, et selon les provinces et les périodes, avait même mis en place le vote familial : les parents avaient un nombre de bulletins en fonction du nombre d’enfants ; il faudra attendre l'après deuxième Guerre Mondiale pour que les femmes retrouvent le droit de vote !). Un épisode qu'il ne parait pas inutile de rappeler en ce vendredi 8 mars, journée internationale de mobilisation pour les droits des femmes !
La boucherie de 14-18, quand la république fichait les officiers cathos sous la présidence de Loubet
C'est le 28 octobre 1904 qu'éclate le scandale de l'affaire des fiches, aussi appelée affaire des casseroles dont l’acteur principal sera le général André, ministre de la Guerre dans le gouvernement de défense républicaine de Waldeck-Rousseau, puis reconduit dans celui d'Émile Combes, après le triomphe du bloc des gauches aux élections de 1902. Désireux de républicaniser l'armée en la laïcisant, cet anticatholique farouche interdit en 1903 aux soldats de fréquenter les cercles militaires catholiques, en application des nouvelles lois laïques sur la « neutralité » supposée, exigée des institutions républicaines et de leurs membres.
L'année suivante, le général fait appel aux cellules locales (appelées loges ou ateliers) du Grand Orient de France, organisation maçonnique qui est à l'époque pleinement engagée dans la lutte pour la séparation de l'Église et de l'État, pour établir près de 20.000 fiches sur les opinions politiques et religieuses des officiers se rendant à la messe.
Sur ces fiches, on pouvait lire des mentions comme « VLM » pour « Va à la messe » ou « VLM AL » pour « Va à la messe avec un livre ». Les fiches ne se contentent pas de rapporter uniquement des faits comme en témoignent les appellations de "clérical cléricalisant", "cléricafard", "cléricanaille", "calotin pur-sang", "jésuitard", "grand avaleur de bon Dieu", "vieille peau fermée à nos idées", "rallié à la République, n'en porte pas moins un nom à particule". Les fiches rapportent aussi la vie privée ou familiale des officiers : "Suit les processions en civil", "a assisté à la messe de première communion de sa fille", "Membre de la Société Saint-Vincent-de-Paul", "À ses enfants dans une jésuitière", "Reçoit La Croix chez lui", "A qualifié les maçons et les républicains de canailles, de voleurs et de traîtres", "richissime", "a une femme très fortunée", "A reçu la bénédiction du pape à son mariage par télégramme". Les fiches sont d'abord centralisées au secrétariat du Grand Orient de France (rue Cadet) avant d'être transmises au capitaine Henri Mollin, gendre d'Anatole France et membre du cabinet du général André, par le secrétaire du Grand Orient et son adjoint Jean-Baptiste Bidegain (dont le nom trahit certes une origine « régionale »).
C’est le député Jean Guyot de Villeneuve qui fit éclater l'affaire au Parlement au cours de deux séances mémorables, le 28 octobre et le 4 novembre 1904. Interpellant le gouvernement, il apporta la preuve de l'implication du ministre de la guerre, le général André. Jean Guyot de Villeneuve avait acquis auprès de Jean-Baptiste Bidegain une partie des documents conservés à ce sujet dans les archives de la rue Cadet (siège du Grand Orient) : lettres de demandes de renseignements émanant du Ministère de la guerre ; correspondance avec les loges ; photocopies de fiches transmises.
Et c'est peut-être par dépit de n'avoir pas été nommé secrétaire général du Grand Orient que ce Jean-Baptiste Bidegain, conscient de détenir une véritable bombe politique, rendit l'affaire publique. Mais le mal était fait, l'armée décapitée de ses éléments les plus professionnels et capables, dont l’avancement était bloqué (comme Ferdinand Foch dont le frère était jésuite) pour favoriser la promotion d'officiers « républicains athées et laïcs », mais souvent incompétents et inexpérimentés, ce qui aura des conséquences désastreuses sur les premiers engagements de la Grande Guerre, dix ans plus tard.
D’ailleurs, beaucoup de ces officiers indûment promus (dont près de la moitié des 425 généraux !) seront alors « limogés » en catastrophe, autrement dit affectés à des bases éloignées du front comme Limoges (d'où l'origine du verbe « limoger », inventé pour l'occasion).
Mais le mal était fait, cela aboutira à la fameuse « Hécatombe des généraux en 1914 », pour reprendre le titre du livre de Pierre Rocolle (Editions Lavauzelles). Hécatombe qui ne se limita guère aux officiers généraux : quand on lit sous le porche de l’église d’Itxassou la plaque en marbre où sont gravés les noms des victimes de la Grande Guerre, celle de 14-18, on est frappé par l’extrême saignée que supporta, comme en tant d’autres, la population de ce village.
Les jeunes Basques servirent très nombreux dans les régiments de Bayonne – le 49e, dont une rue porte le nom, le 249ème et le 142ème R.I. – ainsi que ceux de Tarbes de Pau, de Mont-de-Marsan et de Bordeaux. Ils se distinguèrent à Charleroi, Guise, Craonne et au « Chemin des Dames » (1915) où un monument rappelle leur sacrifice héroïque. Des Basques revenus d’Amérique participèrent au débarquement à Salonique et à la campagne d’Orient au 7e colonial. Beaucoup de ces Basques tombèrent pendant les combats ou, dans le meilleur des cas, revinrent mutilés ! L’historien Eugène Goyheneche estime le nombre des Basques tués pendant la guerre de 14-18 à environ 6.000, chiffre énorme s'il est rapporté à la population masculine d'un demi département au tout début du XXe siècle.