Le pape François a annoncé son désir de rencontrer le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie. Cela a été annoncé par le pontife lors d'une réunion avec les responsables des revues européennes de la Compagnie de Jésus.
La Civiltà Cattolica vient de publier l’enregistrement de l’entrevue accordée le mois dernier (*) au Vatican par le Pape François à une dizaine de directeurs de revues européennes de spiritualité appartenant à la Compagnie de Jésus : Stimmen der Zeit (Allemagne), Choisir (Suisse), Signum (Suède), Razón y fe (Espagne), Brotéria (Portugal), Deon (Pologne), A Szív (Hongrie), Viera a život (Slovaquie), Thinking Faith (Royaume-Uni) et La Civiltà Cattolica (Italie).
Le supérieur général de la Compagnie de Jésus, le père Arturo Sosa Abascal, avait également participé à l'audience : plus d'une heure de conversation dans le «style fraternel et direct habituel», selon le père Antonio Spadaro, directeur de La Civiltà Cattolica. Il n'y a pas eu de discours, mais un dialogue simple et informel, avec des questions et des réponses : les hôtes du Saint-Père ont en particulier abordé avec lui la guerre en Ukraine et la situation difficile que le monde traverse, ainsi que la vie de l'Église.
Concernant la guerre en Ukraine, le Pape François avait dit : « Pour répondre à cette question, nous devons nous éloigner du schéma normal du "Petit Chaperon Rouge" : le Petit Chaperon Rouge était bon et le loup était le méchant. Il n'y a pas de bon et de mauvais métaphysique ici, de manière abstraite. Quelque chose de global est en train d'émerger, avec des éléments très imbriqués.
Quelques mois avant le début de la guerre, j'avais rencontré un chef d'État, un homme sage qui parle peu, vraiment très sage.
Et après avoir parlé des choses dont il voulait parler, il m'a dit qu'il était très inquiet de l'évolution de l'OTAN. Je lui ai demandé pourquoi, et il m'a répondu : « Ils aboient aux portes de la Russie. Et ils ne comprennent pas que les Russes sont impériaux et ne permettent à aucune puissance étrangère de s'approcher d'eux. » Il a conclu: "La situation pourrait conduire à la guerre." C'était son opinion. La guerre a commencé le 24 février. Ce chef d'État a pu lire les signes de ce qui se passait.(…) le danger est que nous ne voyons que cela, ce qui est monstrueux, et que nous ne voyons pas tout le drame qui se déroule derrière cette guerre, qui a peut-être été provoquée ou non empêchée.
Quelqu'un peut me dire à ce stade : mais vous êtes pour Poutine ! Non, je ne le suis pas. Il serait simpliste et faux de dire une telle chose. Je suis simplement contre la réduction de la complexité (de ce conflit) à la distinction entre le bien et le mal, sans penser aux racines et aux intérêts, qui sont très complexes. (…)
Je dois aussi ajouter que nous voyons ce qui se passe maintenant en Ukraine de cette façon parce que c'est plus proche de nous et touche davantage notre sensibilité. Mais il y a d'autres pays lointains - pensons à certaines régions d'Afrique, au nord du Nigeria, au nord du Congo - où la guerre continue et personne ne s'en soucie. Pensez au Rwanda il y a 25 ans. Pensons au Myanmar et aux Rohingyas. Le monde est en guerre. Il y a quelques années, il m'est venu à l'esprit de dire que nous vivons la troisième guerre mondiale par morceaux. Ici, pour moi aujourd'hui la troisième guerre mondiale est déclarée. Et c'est un aspect qui devrait nous faire réfléchir. Qu'arrive-t-il à l'humanité qui a connu trois guerres mondiales en un siècle ? Je vis la première guerre en souvenir de mon grand-père sur la Piave. Et puis la deuxième et maintenant la troisième. Et c'est une calamité pour l'humanité !
Il y a quelques années se déroulait la commémoration du 60e anniversaire du débarquement de Normandie. Et de nombreux chefs d'État et de gouvernement ont célébré la victoire. Personne ne se souvient des dizaines de milliers de jeunes morts sur la plage à cette occasion. Quand je suis allé à Redipuglia en 2014 pour le centenaire de la guerre mondiale - je vais vous faire une confidence personnelle - j'ai pleuré en voyant l'âge des soldats tombés. (...).
Pourquoi est-ce que je te dis ces choses ? Parce que j'aimerais que vos magazines abordent le côté humain de la guerre. Je voudrais que vos magazines comprennent le drame humain de la guerre. C'est très bien de faire un calcul géopolitique, d'étudier les choses à fond. Vous devez le faire, car c'est votre travail. Mais essayez aussi de transmettre le drame humain de la guerre. Le drame humain de ces cimetières ou des plages de Normandie (…) Réfléchir à cela aiderait beaucoup l'humanité et l'Église. Faites vos réflexions socio-politiques, sans toutefois négliger la réflexion humaine sur la guerre.
(…)
Je voudrais ajouter un autre élément. J'ai eu une conversation de 40 minutes avec le patriarche Cyrille.
Je devais le rencontrer le 14 juin à Jérusalem, pour parler de nos affaires. Mais avec la guerre, d'un commun accord, nous avons décidé de reporter la rencontre à une date ultérieure, afin que notre dialogue ne soit pas mal compris. J'espère le rencontrer lors d'une assemblée générale au Kazakhstan en septembre. J'espère pouvoir le saluer et parler un peu avec lui en tant que pasteur ».
(*) jeudi 19 mai
Voici maintenant ce qu’a dit le patriarche dans sa conversation avec le pape François, le 16 mars :
« Je vous remercie de me donner l’opportunité de cette rencontre. Lorsque nous nous sommes rencontrés en 2016, à Cuba, je vous ai dit que notre rencontre avait lieu au bon moment et au bon endroit. Bien que notre entretien ait lieu aujourd’hui en visioconférence, je suis convaincu que nous nous rencontrons de nouveau au bon moment. Avec votre permission, j’aimerais partager ma vision de la situation difficile actuelle. Certes, nous visons dans des contextes informationnels différents : les médias occidentaux n’ont pas parlé ou presque pas parlé des faits sur lesquels je me permettrai d’attirer votre attention. »
Puis, le patriarche Cyrille a souligné que le conflit a commencé en 2014, par les événements du Maïdan, à Kiev, à la suite desquels a eu lieu un changement de pouvoir en Ukraine.
Sa Sainteté a particulièrement attiré l’attention de son interlocuteur sur les événements d’Odessa et sur leurs conséquences : « Les habitants russophones de cette ville ont organisé un meeting pacifique, pour défendre leur droit à l’emploi de la langue et de la culture russes. Cette assemblée pacifique a été attaquée par des représentants de groupes nazis, qui ont frappé les manifestants à coups de bâtons. Les gens ont cherché refuge dans la Maison des syndicats, située tout près. Il s’est alors produit quelque chose d’atroce : le bâtiment a été fermé et incendié. Des gens ont voulu se sauver en sautant du premier ou du deuxième étage, et se sont évidemment fracassés. On tirait sur ceux qui s’approchaient des fenêtres sans oser sauter. Nous avons suivi ces événements presque en direct à la télévision. Cette épouvantable leçon d’Odessa a influencé les habitants du sud-est de l’Ukraine, qui ont voulu défendre leurs droits. »
Ensuite, le patriarche Cyrille a rappelé qu’à la fin de l’époque soviétique, la Russie avait reçu l’assurance que l’OTAN n’avancerait pas d’un pouce à l’Est. Cependant, cette promesse n’a pas été tenue, les anciennes républiques soviétiques baltes sont même devenues membres de l’OTAN. La situation est donc devenue extrêmement dangereuse : les frontières de l’OTAN passent à 130 km de Saint-Pétersbourg, à quelques minutes de vol d’un missile. Si l’Ukraine était aussi devenue membre de l’OTAN, le temps de vol d’un missile jusqu’à Moscou aurait aussi été de quelques minutes. La Russie ne pouvait et ne peut le permettre.
En conclusion, le patriarche a souligné : « Bien entendu, cette situation est très douloureuse pour moi. Mes ouailles se trouvent dans les deux camps du conflit, ce sont pour la plupart des orthodoxes. Une partie des belligérants relèvent de vos fidèles. Faisant abstraction de la composante géopolitique, j’aimerais poser la question : comment nous et nos Églises pouvons-nous influer sur la situation ? Comment pouvons-nous contribuer à apaiser les belligérants dans un seul but : l’instauration d’une paix solide et de la justice ? Dans les conditions actuelles, il est essentiel d’empêcher une nouvelle escalade. »
Quant à la réponse du pape François le 16 mars : il a remercié le patriarche de ce dialogue, motivé par le désir de montrer, en tant que berger de son peuple, le chemin de la paix, de prier pour le don de la paix, pour un cessez-le-feu. Comme le patriarche, le Saint Père estime qu’il ne faut pas utiliser le langage de la politique, mais celui de Jésus Christ : « Nous sommes les pasteurs du même peuple saint, qui croit en Dieu, en la Sainte Trinité, en la Mère de Dieu. C'est pourquoi nous devons chercher la voie de la paix, être unis dans l’aspiration à contribuer à la paix, soutenir ceux qui souffrent, arrêter le feu des armes. Et les parties ont souligné l’importance exceptionnelle de la poursuite d’un processus de négociations ».
Pendant ce temps, les absurdes persécutions contre le patriarche Cyrille s’intensifient
Il y eut d’abord les tentatives de la Communauté Européenne d’appliquer des « sanctions » contre le chef de l’Église Orthodoxe russe, en particulier de sa présidente, Ursula von der Leyen qui, face à l’opposition de la Hongrie, s’était même prononcée dans un discours à Strasbourg pour une modification des traités de l’UE « si nécessaire » et l’abandon du vote à l’unanimité des 27 pays membres dans des domaines clés…
Car le Premier ministre hongrois s'était opposé aux sanctions contre le patriarche Cyrille : « Nous ne permettrons pas aux chefs d'église d'être inclus dans la liste des sanctions », avait déclaré à la radio Viktor Orban, la liberté religieuse étant « sacrée et inviolable » en Hongrie.
Quant à l’Église orthodoxe russe, son représentant avait déclaré : « Je voudrais rappeler aux auteurs des initiatives de sanctions que le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie est issu d'une famille dont les membres avaient été soumis pendant des décennies à la répression pour leur foi et leur position morale à l'époque de l'athéisme communiste militant. Et aucun d'entre eux n'a craint l'emprisonnement ni même des représailles, il faut donc être complètement étranger à l'histoire de notre Église pour intimider son clergé et ses fidèles en les incluant dans ces listes de sanctionnés ».
Et récemment, c’est le gouvernement anglais qui a inclus dans ses sanctions le patriarche de l’Église russe, s’attirant les critiques du patriarcat orthodoxe de Jérusalem dont un hiérarque, l'archevêque Théodose de Sébaste, lors d'une réunion avec des journalistes britanniques - représentants de divers médias - a soutenu le patriarche Cyrille : « Nous nous opposons catégoriquement à toutes les provocations menées par certaines forces occidentales contre Sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie. Nous ne pouvons pas garder le silence face à des attaques de ce type, nous les considérons comme des actions illégales et inappropriées contre une personne religieuse d'un si haut niveau, qui est un véritable symbole spirituel de l'orthodoxie moderne », a déclaré Mgr Théodose.
Il a rappelé que le patriarche Cyrille n'est partie à aucun conflit politique et, en tant qu'homme de paix, est toujours partisan du dialogue : « Les accusations portées contre le patriarche Cyrille sont fausses et sans fondement. Je tiens à souligner une fois de plus que Sa Sainteté a toujours appelé les parties à se réconcilier, à renoncer aux guerres et à la violence », a déclaré Mgr Théodose. Il a appelé tous ceux en Occident qui sont engagés dans l'incitation contre Sa Sainteté le Patriarche Cyrille à « renoncer à leur position agressive non seulement contre Sa Sainteté, mais aussi contre toute l'Église orthodoxe ».
« Les provocations contre le chef de l'Église orthodoxe russe sont perçues par nous comme des actions hostiles de la part de l'Occident contre l'ensemble de l'Église orthodoxe. Une fois de plus, je voudrais exprimer un sentiment de profonde solidarité avec l'Église russe et la confiance que ces accusations, qui n'ont aucun fondement, n'affecteront pas la vie de l'Église orthodoxe russe, son chef, son clergé et ses croyants », a souligné l’archevêque de l’Église orthodoxe de Jérusalem en rappelant que le patriarche Cyrille est le primat de plus de 100 millions de croyants non seulement de Russie et d'Ukraine, mais aussi de nombreux autres pays du monde, et que « les sermons sur l'amour, la paix et la miséricorde, les appels à la réconciliation de toutes les parties belligérantes ont toujours résonné de ses lèvres le renoncement à toutes les formes de violence et de terrorisme ».
Entre Tchaïkovski et l’Ukraine, une longue histoire d’amour... contrariée !
Mais il n'y a pas que le patriarche Cyrille : même le compositeur Tchaïkovsky excite les fanatiques adeptes de la "sanctionnite" aigüe : il s'agirait même de débaptiser le conservatoire de Kiev qui porte son nom. Une initiative d'autant plus absurde que précisément, fils d'une Française et d'un cosaque, Tchaïkovski nourrit à l'égard de l’Ukraine une longue histoire d’amour. Le compositeur et chef d’orchestre y fit en 1893 sa dernière tournée dans les plus grandes villes du pays. L’Académie nationale de musique (conservatoire) de Kiev, qu’il avait cofondée en 1913 avec Serge Rachmaninov et Alexandre Glazounov, porte son nom et plusieurs de ses œuvres ont été inspirées par des airs traditionnels ukrainiens, en particulier sa 2ème Symphonie dite « Petite Russie », le surnom de l’Ukraine à l’époque, ainsi que son premier Concerto pour piano.
Et si l'on n'admettait plus de musiciens ukrainiens, voire même occidentaux, au réputé concours international Tchaïkovsky, l'un des plus prestigieux au monde ? On aurait alors atteint le summum de l'absurde !
Il est vrai que la National Gallery de Londres avait déjà récemment rebaptisé le tableau d'Edgar Degas "Russian Dancers" en "danseuses ukrainiennes" !