A - Les confréries corses
Comment les définir ? Des sociétés civiles, des sociétés religieuses, ou les deux en meme temps ? "Les associations de fidèles laics attachés à une forme de piété et à l'exercice de la charité seraient donc nées dès le VIII ème siècle dans le village de saint Boniface comme rapporté dans le Dictionnaire de spiritualité. Ed Beauchesne. C'est le temps des missionnaires anglais et d'un d'entre eux devenu évêque en Germanie qui encourage des unions de priants entre communautés locales et des évêques ou des monastères anglais et ailleurs en Europe. Loin de penser leur origine spontanée mais bien voulue pour favoriser l'évangélisation des populations locales.
Ce mouvement commença d'abord par l'association des religieux et des monastères puis encore les religieux et les prêtres séculiers ou non tenus par un engagement religieux, Le mouvement se répand par capillarité auprès des fidèles qui s'associent aux monastères, d'où la naissance des confréries. qui essaiment en toute l'Europe occidentale. Par une dévotion à un culte particulier, souvent lié à la Passion du Christ de la semaine sainte, On les appellera des pénitents, liés à l'eucharistie, la vierge marie ou un saint particulier. Puis encore unissant la prière et les œuvres de charité, ils accomplissent le vœu des religieux, "ora et labora", travail et prière !
L'histoire des confréries corses n'est pas celle des Espagnols ou des Anglo-Saxons, ou des Francs ou des Germains. L'arrivée sur l'île daterait de 1500, suivant les chroniqueurs du temps. Ils se forment dans un quartier, autour d'une église, ou un mouvement de dévotion. Le rôle social de ces "civils religieux" est important. Le partage de bien aux nécessiteux et malades, aux indigents ou personnes seules, lors des obsèques en soutien des affligés comptent. Et leur action a du prix.
Elles seront interdites à la Révolution française, car au nombre de 300, elles dérangent les opposants. Puis, les deux guerres mondiales passées font décliner les vocations, leur nombre baisse et tend à disparaître. Mais depuis 50 ans, on trouve un regain d'intérêt pour y assoir un lien avec les autochtones, apprendre les règles sociales et la langue, une liturgie en corse et en latin, en somme des racines identitaires absentes dans une jeune génération.
Le retour des confréries se situe autour d'une centaine, chacune constituée d'une quarantaine de membres. Soit autour de 3000 confrères sur le département. Toutes attachées aux institutions paroissiales, mixtes ou séparées entre les sexes, Certaines avec le statut de loi 1901 de la vie associative. Deux confréries naissent tous les ans, beaucoup font revivre des anciennes disparues, et la résurgence permet cet éveil.
Il y a un modèle religieux évident dans le fonctionnement interne et la règle de vie de l'association. Un prieur prieure commande, assisté de sous-prieurs, et des baptisés qui frappent à la porte suivant le noviciat initiatique demandé. L'habit du confrère reproduit l'aube, le cordon, le camail, et des couleurs distinctes, selon les confréries.
Animateurs de liturgies et de cérémonies à la demande des familles, les confrères ajoutent un supplément d'âme au déroulé liturgique dans sa sobriété conventionnelle. Les processions y sont légion, de rue, hors les églises, et les Corses ne se refusent pas le plaisir partagé de s'exposer en terrain public lors de ces manifestations festives ou austères.
La relation avec l'institution ecclésiastique ne fut jamais un fleuve tranquille au cours du passé, on se méfiait de l'influence des uns sur les autres. La réforme de Vatican II voulut par certains zélateurs purifier des accents folkloriques de ces actions religieuses, mais les pratiques se firent plus tolérantes par diminution des clercs et la prise de responsabilité des confrères dans l'animation liturgique des communautés.
"Le cardinal Bustillo, évêque de l'Ile, invite les jeunes en des termes sans ambigüité à garder la mémoire de ce qu'ils sont, qu'ils ne doivent oublier d'où ils viennent, leurs racines, La tradition des confrères accueille celui qui frappe à la porte, Il est porté et formé, transporté et transformé, car nous avons besoin de cela dans notre société".
B - Héritiers des pénitents du Moyen Age
Dès l'Antiquité, la pénitence est mentionnée par les textes religieux. La référence chez les Hébreux de la pénitence est rapportée au sujet du roi David en 2 Samuel XII, dans le livre de Néhémie IX, au livre de Daniel IX, ou à propos de Jonas à Ninive.
La pénitence originelle fait mention de privations physiques comme oeuvres de pénitence. Classifiant en des catégories distinctes, les pleurants, les auditeurs, les prosternés. Au-delà du XIIème siècle, la pratique pénitentielle privée remplacera les pratiques publiques pénitentielles.
Le don de soi et les œuvres caritatives trouveront place en mode de correction des mortifications antérieures. Des courants spirituels incarnés par les mouvements tels les "humilitati" ou les convers, les tiers ordres, les associations de fidèles laïcs et non clercs ouvriront d'autres états de vie spirituelle qui semblaient jusque-là réservés aux moines et religieux consacrés.
Le premier pénitent canonisé par le pape Innocent III le fut en 1199 : saint Hommebon raconte le récit biographique du riche drapier italien de Lombardie, ancêtre spirituel du père de François d'Assise, exerçant un métier similaire. Cette école de spiritualité ouverte aux laïcs, accordait à des civils de l'époque la voie admise d'un état de vie en concordance avec l'évangile et les voies pénitentielles de la foi.
L'époque est passionnante en cette fermentation des idées du temps. Les congrégations de frères mineurs franciscaine, évangélique, dominicaine verront le jour au temps de ce XIIIème siècle avec la ferveur caritative de leurs membres comme observé également chez les béguines, des femmes consacrées elles aussi avec leurs règles propres et leur discipline personnelle.
Les historiens citent François d'Assise et Bonaventure, grand maître franciscain, comme inspirateurs de cette spiritualité pénitentielle, charitable et évangélique, non cléricale et consacrée.
On prétendit que les dominicains appliquaient des exercices austères tel le cilice ou la flagellation, pour conforter la confession et la pénitence. Les franciscains moins disposés aux mêmes contraintes appelaient davantage au partage et à générosité personnelle les pénitents remis de leurs fautes individuelles.
Le paysage des pénitents fleurit dans les cités méditerranéennes. Pénitents noirs, pénitents blancs, ou selon la couleur de leur froc ou bure religieuse, ils s'illustrent désormais par leurs prouesses caritatives et publiques.
C'est le temps des ordres mendiants, et des tiers ordres, incarnés par ces communautés nouvelles relativement libres de leur vie propre, non soumises aux vœux mais aux promesses, en situation de service et de mission publique. Pénitents pour les uns, tiers ordre pour les autres, leur correspondance ne se fit guère sans quelque difficulté mais ce mouvement laïc et spirituel né dans ce nord de l'Italie se répandit en France et dans le bassin méditerranéen, disent les historiens religieux. Attachés à Rome par un parrainage spirituel, ils disposaient d'une grande latitude pour essaimer et se répandre à leur tour. Disposant d'un uniforme unique pour tous afin d'effacer quelque différence hiérarchique, le prieur comme le frère convers, le pénitent comme le confrère disposait des mêmes attributs vestimentaires.
Les femmes viendront plus tard avec des confréries féminines, évitant la mixité, à l'époque peu goûtée par les hommes et la hiérarchie religieuse en exercice.
Il était devenu commun de désigner par une couleur la confrérie ou l'ordre pénitent, oubliant de ce fait l'origine religieuse de leur fondation ; ayant tous des missions similaires, accueil des pauvres et des affligés, des fins de vie et des malades impotents, des pèlerins et des voyageurs en route vers Rome, les orphelins et les vagus dits gens sans quelque domicile très nombreux en ces temps passés ; assurant des soins médicaux d'urgence avec les moyens naturels de l'époque.
Le Concile de Trente ouvrit à ces sociétés de bienfaisance les portes des lieux de culte pour des processions, des fêtes de villages et des cultes plus austères, telles les funérailles animées par ces hommes en uniforme et en service partagé. A propos de ces associations, les religieux avaient des avis partagés : les ordres mendiants assez favorables à leur rayonnement, les jésuites plus critiques sur le caractère superstitieux de certains rites d'origine naturellement païenne, préféraient des exercices spirituels plus réfléchis et moins spontanés !
L'histoire ayant laissé son empreinte, le siècle des Lumières et de l'Encyclopédie en France discuta ces rites et pratiques de dévotion expressive, la prise en main par l'autorité publique des œuvres charitables et scolaires en France au fil du temps, la laïcisation répandue de cette baisse d'influence sur les confréries incita à leur déclin. La révolution française accéléra leur disparition mais la Restauration qui suivit tenta leur retour ; la séparation Eglise /Etat en 1905, puis les deux guerres mondiales, donnèrent un coup fatal à ce mouvement philanthropique et généreux jusqu'au "Concile Vatican II, appelant à nouveau les laïcs à prendre leur place dans la vie ecclésiale et assumer leurs responsabilités personnelles".
Les confréries d'aujourd'hui demeurent reconnues comme Associations loi 1901, disposant d'un statut légal et de prébendes, confirmées par le Droit canonique religieux depuis 1983 avec un statut cultuel et culturel spécifique qui permet aux confrères d'exister par ces deux visages dans l'espace public.
C - La Corse papale de François.
De bon matin le pape François foule la Corse ce dimanche 15 décembre accueilli par le Ministre de l'Intérieur M Retailleau ,le cardinal FX Bustillo archevêque d'Ajaccio, et le nonce du Vatican à Paris. Les usages protocolaires suivent et la délégation va rejoindre le Palais des Congrès pour le colloque qui s'y est tenu depuis samedi sur "La religiosité en méditerranée" en présence de délégations venues d'Espagne, de France continentale, d'Italie, de Sardaigne, d'Afrique du nord, pour échanger sur ces pratiques religieuses spécifiques en ces diverses îles ou régions autour de la Méditerranée.
Le cardinal François-Xavier Bustillo clôt les travaux de ces témoins en rendant leur présence légitime et bénéfique pour les églises autochtones et les populations. De véritables relais de l'évangélisation par les cultes et la promotion des cultures attachées à leur survie Le pape François clôture le propos par une lecture élargie aux églises en faveur "d'une laïcité éclairée" rendant le spirituel légitime et salvifique à travers ces rites et traditions contenues dans "les sacramentaux" jadis dans leur définition ou leur expression, des processions, de marches pélerines, de costumes liturgiques de circonstance.
Ajaccio devenue le havre d'hospitalité du pape pour les corses et les non insulaires, accueillit une messe en plein air sous un ciel radieux en présence de dizaines de milliers de pèlerins de ce jour d'exception. "On ne reçoit pas un pape tous les jours" disait une personne pieuse empreinte de piété portant sa banderole paroissiale fière d'être sur le cortège du pape en Corse et non pas à Rome ! 9000 sous la statue de Napoléon Bonaparte, et dans des jardins publics dotés d'écrans géants de diffusion. On dit bien que le tiers des habitants de l'Ile a fait le déplacement ce dimanche, soit 120 000 personnes ?
La rencontre à la cathédrale Notre Dame de la miséricorde de la cité réunit le clergé et les religieuses. Aux portes du lieu des corses en nombre s'ajoutaient encore autour de midi pour voir le pape, et prier avec lui la divine mère protectrice de la ville d'Ajaccio. Relayée amplement par plusieurs Canaux médiatiques en France, KTO, C News, BFM, ITL, France TV Info, Vatican News, l'événement était accessible à tout un chacun chez lui et parfois loin de la méditerranée.
Puis vint l'heure de la messe de l'après midi dans la rue, au cœur d'Ajaccio "à la méditerranéenne, sociable et cordiale". Pour ne priver quiconque d'un temps fort de la vie de l'Île de Beauté illuminée de soleil, radieuse et touchante de l'intérieur !
Les plus chanceux eurent leur place, les autres durent se tenir devant la TV. Un autel dressé représentait l'ancre marine si chère à ces marins de la Méditerranée, l'autel avait été dessiné sur le modèle d'un bateau de pêche, le décor très bleu azur et insulaire. Dans un ensemble sobre et garni par la jeunesse numérique des participants à la messe.
Dans son commentaire le pape invita à la joie de la foi, à la paix des familles, au retour des enfants qui illuminent l'avenir des parents, et celui des gens âgés. Un sermon simple accessible pour tous .
Une journée corse bien garnie pour un homme de 88 ans, radieux selon les sourires partagés avec ses fidèles de ce passage dans les environs de la méditerranée qui pour cet enfant de migrant italien exilé en Argentine rattache l'histoire des siens à celle de tant de familles du monde aujourd'hui contrariées par les guerres, les catastrophes naturelles.
"Gaudete", disaient les textes ce jour, réjouissez-vous avec ceux qui permirent de vivre en Corse un jour historique pour les chrétiens de l'île et tant d'autres. Les historiens se rappellent les liens entretenus par Rome et la Corse dans l'histoire passée, depuis Pépin-le-Bref, pendant des siècles ! La rencontre avec le Chef de l'Etat mit un terme à la journée sur l'aéroport d'Ajaccio.