Euskadi s’apprête à commémorer cette tragique journée qui avait anéanti en grande partie la petite ville biscaïenne. A l’unisson de nombreuses manifestations, à Dublin où sera planté un rejeton du chêne de Gernika et un ouvrage édité, ainsi qu’une soirée poétique autour de l’œuvre du poète gascon Bernard Manciet qui avait publié sur Gernika. Comme à Colmar où au Musée Unterlinden, Jean-Claude Larronde, historien, président du Musée basque et de l’histoire de Bayonne, prononcera une conférence sur « Gernika, quand l’histoire devient symbole » avec La Tapisserie « Guernica » de Jacqueline de la Baume-Dürrbach, d’après Picasso par Anne-Sophie Saettel, documentaliste scientifique via TV7 Colmar Officiel.
En dehors de son aspect tragique, ce bombardement eut une importance essentielle sur le cours des événements.
Car, ce sont bien les bombardements de Durango et de Guernica qui annoncèrent la fin du gouvernement autonome basque de Jose-Antonio Aguirre (voyez nos articles de la semaine dernière) en précipitant la mise en sécurité, d’abord, des enfants : le musicien Polentzi Guezala se souvenait que « le Gouvernement Basque avait pris la décision d’évacuer les enfants du Pays Basque Sud. Ils les envoyèrent en Russie, Grande-Bretagne et au Pays Basque Nord. Ainsi, 600 enfants furent emmenés en bateau, accompagnés de médecins, infirmières, enseignant(e)s et autres professionnels pour trouver refuge à la Citadelle de Saint Jean Pied de Port, où se réfugia également Segundo de Olaeta avec 40 jeunes danseurs arrachés aux horreurs de la guerre civile. Olaeta était lui-même natif de Guernica où il avait fondé en 1927 « Alai Elai », le premier groupe de danse basque.
Le déluge de feu, d'acier et de mitraille déversé sur la « ville sainte des Basques » le 26 avril 1937 continue d’alimenter encore certaines interrogations des historiens ainsi que les revendications et les polémiques autour du célèbre tableau de Picasso.
Au-delà des bilans controversés des victimes, des intentions des autorités nationalistes espagnoles de l’époque - les affirmations contradictoires de Franco ou de ses généraux – ainsi que celles d’officiers aviateurs allemands à propos d’un exercice de l’aviation hitlérienne pour tester de nouvelles armes, une chose est sûre : ces bombardements de la population civile sans défense dans une ville présentant apparemment une faible valeur stratégique militaire avaient marqué les esprits à cause de l'ampleur du massacre et de la valeur symbolique de Guernica et de son chêne sacré.
Le symbole de Guernica
Or, l’événement avait été analysé dès 1938, de manière quasi-prophétique, par Jose Antonio Aguirre qui avait auparavant inauguré sous le chêne de Guernica la prestation de serment des présidents basques : « Il n’est pas nécessaire de s’étendre en considérations pour démontrer que le problème a dépassé les limites de la Péninsule pour se convertir en problème international. Les appétits de l’Allemagne et de l’Italie y jouent un rôle important, et ceci en vue d’une guerre future »… (« Le problème basque », Grasset, 1938).
Au-delà de l’afflux des réfugiés basques, au nombre desquels la chorale Eresoïnka et bien d’autres, cet événement eut encore bien des répercussions après la guerre. Dans une de ses conférences, Jean-Claude Larronde rappelait l’épisode dramatique de Joseba Elosegui. Le 18 septembre 1970, au fronton Anoeta de Saint-Sébastien, lors de la cérémonie d’inauguration des VI° Championnats du Monde de Pelote Basque présidée par le général Franco, Elosegui, qui avait assisté à l’âge de 22 ans au bombardement de Guernica en qualité de capitaine d’un bataillon qui s’y trouvait alors en permission, se lança depuis les galeries après s’être aspergé d’essence. Tombé en flammes sur la cancha d’une hauteur de 8 mètres, il avait crié : « Gora Euzkadi Askatuta » (Vive le Pays Basque libre) afin de rappeler les flammes qui avaient embrasé Guernica. Survivant miraculeusement à ses blessures, il sera plus tard élu député puis sénateur et assistera à la renaissance d’une Euskadi à nouveau autonome à partir de 1979.
« Lorsqu’on parle du bombardement de Gernika », note Jean-Claude Larronde, « on peut dire qu’il y a l’histoire du bombardement en lui-même mais aussi qu’il y a toute l’histoire – de 1937 à nos jours - de la polémique sur le bombardement ». Il semble paradoxal que la signification attribuée au fil des ans au bombardement soit devenue plus importante que le bombardement lui-même : « Comment ce bombardement – qui certes a fait plusieurs centaines de victimes, mais n’est qu’un pâle reflet par exemple du bombardement de la ville allemande de Dresde par les Alliés qui, en février 1945, à la fin de la seconde guerre mondiale fit 135 000 victimes - comment ce bombardement a-t-il pu avoir de telles répercussions et comment a-t-il pu acquérir une telle dimension universelle ? Or, moins d’un mois avant le bombardement de Guernica, celui de Durango, le 31 mars 1937- premier jour de l’offensive du général Mola sur la Biscaye – n’avait-il pas fait plus de 300 morts et de nombreux blessés, tout en ayant beaucoup moins de retentissement ? Certes, il avait été moins intense à Durango, et sans bombes incendiaires. Mais ces détails techniques n’expliquent pas tout. Déjà, le correspondant du Times à Bilbao en 1937, George Steer avait noté que pour les Basques, Guernica signifiait davantage que Durango » !
Alexandre de La Cerda