Cette année-là, parmi les quelques trois-cents invités qui se pressaient à la soirée que l’hebdomadaire régional basque avait coutume d’organiser au Trinquet de Paris à l’intention de ses lecteurs et abonnés d’Île-de-France, la présence du Chef de la Maison de France – et de Navarre – accompagné de la Comtesse de Paris n’était pas passée inaperçue.
De son adolescence à Pampelune et au collège de Lecaroz – là-même où, une décennie plus tôt, le Père Donostia recevait Ravel – jusqu’à son mariage religieux à Arcangues, les occasions n’avaient certes pas manqué au Comte de Paris d’affermir ses liens familiaux avec la Navarre et le Pays Basque. Je me souviens en particulier d’un des déjeuners à la maison où j’avais, comme pendant plusieurs étés de suite, réuni une douzaine d’amis autour du Comte de Paris: il s’agissait, le 16 juillet 2012, de commémorer plusieurs anniversaires dans notre histoire. Et, au fil de cette destinée mouvementée, les dynasties qui avaient régné sur la Navarre –« Nafarroa, Euskadi lehena », comme la chantait Michel Labéguerie – s’étaient incarnées dans ces événements déterminants.
Trois siècles après que, le 16 juillet 1212, à Las Navas de Tolosa, loin des terres basques, le roi de Navarre Sanche VII « le Fort » et ses chevaliers eurent pris une part déterminante dans la victoire des troupes chrétiennes coalisées sur celles du calife almohade Muhammad an-Nasîr - bataille décisive à plus d’un titre pour l’avenir de la Navarre et de toute la Chrétienté - l’invasion espagnole de 1512 ne laissait à la dynastie légitime des Albret que le petit appendice bas-navarrais d’« ultra-puertos ». L’ancêtre de notre hôte, Henri III d’Albret et de Bourbon, roi de Navarre, en hérita avant de monter sur le trône de France comme Henri le quatrième…
L’adolescence navarraise du Comte de Paris
Né en 1933 en Belgique à cause de la « Loi d’Exil » qui contraignit (entre 1886 et 1950) le Chef de la Maison de France d’alors et son fils aîné le Prince Henri (qui s’est éteint l’année dernière) à vivre hors de leur pays, il fallut attendre un décret spécial du Président Vincent Auriol qui permit en 1947 au jeune Prince Henri de résider (à titre personnel) sur le territoire français afin de poursuivre ses études à Bordeaux.
Entre temps, après un séjour au Maroc qu’elle doit quitter par la volonté des autorités anglo-saxonnes, la famille royale s’installe en 1944 à Pampelune, « ville des amitiés vigoureuses et fidèles », notait la mère du défunt Comte de Paris. « Toute la Navarre communiait dans une foi qui se doublait d’une connaissance très réelle des enseignements de l’Eglise et tous, à la ville comme à la campagne, étaient respectueux de la tradition; dans les bahuts des fermes anciennes gardés par les aînés, étaient serrées des archives familiales que les cadets, qui travaillaient en ville dans les boutiques et les fabriques, révéraient comme une part essentielle du patrimoine familial. Ce peuple, qui passe plutôt pour rustique, était pourtant très curieux de toutes sortes de systèmes de pensée. Même les gens modestes étaient ouverts au monde des idées et je me souviens de mon petit marchand de souliers installéà côté de moi dans la « Roncalesa », l’autobus qui nous conduisait à San Sebastian, qui, pendant tout le trajet, lisait et commentait Joseph de Maistre. Bref, Pampelune était alors le paradis sur terre et la Navarre, si saine de corps et d’esprit, une terre où l’on savait mieux qu’ailleurs bien prier, bien manger, bien boire et bien rire. Terre de Navarre où j’ai passé des années des années qui furent parmi les plus heureuses de mon existence et où je me suis fait des amis pour la vie », concluait dans ses mémoires (« Tout m’est bonheur », 1978, Robert Laffont) la mère du prince Henri qui, pour sa part, avec son frère, furent conduits « dans l’antique gazogène des capucins de Pampelune » au collège de Lecaroz, perdu au milieu des montagnes, où, entre deux leçons, ils s’adonnèrent à de sacrées parties de Mus dont l’enjeu était la « fameuse tortilla »…
Entre le roi et les « peuples de France »
Le Comte et la Comtesse de Paris n’avaient-ils pas honoré, à la veille de leur mariage à Arcangues, le 350e anniversaire de la Paix des Pyrénées entre les couronnes de France et d’Espagne qui avait réuni au château d’Urtubie une cinquantaine de consuls en poste le long de la chaîne des Pyrénées et représentant près d’une trentaine de pays, à l’invitation de l’Union des Consuls Honoraires en France dont j’étais alors le délégué régional ?
De fréquents séjours ont ramené les Princes dans nos provinces basques, à Bayonne (où je leur ai fait visiter, chez Mgr Aillet, la chapelle de l’évêché avec sa peinture du « Miracle de Bayonne »), Ascain, Arcangues, et jusqu’en Amikuze où, comme chaque été, les Princes retrouvaient leurs amis. « L’herbe très verte avec ses vaches et ses moutons, j’en aurais mangé tant j’éprouve de bonheur devant ces paysages », m’avait un jour lancé la Comtesse de Paris en contemplant la succession de collines et de landes qui conduit en Basse-Navarre et lui rappelait d’heureux souvenirs d’enfance au Pays Basque !
En digne successeur de ses ancêtres royaux de Navarre, Monseigneur n’hésitait pas, pour sa part, à réaffirmer qu’« un pouvoir qui ne respecte pas les différences et la multiplicité, pourtant inhérentes et nécessaires à notre monde, tendra à opérer une uniformisation politique, économique et sociale où tout ce qui est hors norme devient incorrect (…) La véritable unité se construit par le haut, tandis que la caricature de l'unité, c'est-à-dire l'uniformité, égalise par le bas (…) Or, le génie de la France réside dans sa diversité même, source de liberté. L'historien Jacques Bainville disait que du temps de nos rois, la France était hérissée de libertés. Mais cet état de libertés s'accompagnait nécessairement de responsabilités, et la multiplicité de la France se trouvait alors cimentée par les liens d'amour existant entre le roi et les peuples de France ».
A l’heure des « Gilets jaunes » et de nombreux autres manifestations de mécontentement, il faut croire que les dernières péripéties du pouvoir jacobin gérant l’actuelle république, dans un climat de réelles difficultés économiques, ont considérablement distendu ses liens avec ces « peuples de France »…