En prélude au palmarès du Prix des Trois Couronnes qui s'est déroulé au grand Salon d'Arnaga, Michel Fenasse Amat m’avait demandé de dire quelques mots sur Pierre d'Arcangues dans le cadre de l'hommage que lui rendait le Festival Musical et littéraire d’Arnaga.
Après mon intervention, le comédien Quentin Ostanel avait lu des extraits des « Chansons de Kaddour », poèmes en prose que Pierre d'Arcangues avait composées alors qu’il était un jeune officier au Maroc, avec une surprise pour l'auditoire réuni aux "Ecuries" : quelques gracieuses danses orientales exécutées par une danseuse et destinées à illustrer l'œuvre de l'écrivain !
Pierre d'Arcangues, marquis d’Iranda (1886-1973), fut maire de son village d’Arcangues pendant 40 ans (1929-1969).
Il embellit le cœur historique du bourg avec la participation des artisans du Pays Basque - construit les écoles, entrepris la réfection du clocher de l’église, l’agrandissement de la mairie, l’aménagement du cimetière, la construction des Maisons des Sœurs - et on lui doit le Théâtre de la Nature avec un grand décor peint (en 1968) par Ramiro Arrue : récemment réaménagé, ce théâtre mériterait assurément de porter son nom, mais comme le rappelle avec raison son petit-fils Michel d’Arcangues que nous sommes heureux de voir aujourd’hui parmi nous, avec son fils Louis, « il est vrai que nul n’est prophète en son pays » !
Président du Comité du Tourisme et des Fêtes de Biarritz, Pierre d'Arcangues organisa pendant les Années Folles de l’Entre-deux-guerres des fêtes, bals, et galas auxquels se rendirent toutes les célébrités de l’époque. Ramiro Arrue participait d’ailleurs souvent à ces festivités en dessinant des décors et des costumes.
Pierre d’Arcangues avait continué la tradition d'accueil des souverains initiée par ses aïeux, particulièrement le roi d'Espagne Alphonse XIII pour qui il organisa en 1922 une des plus somptueuses fêtes jamais donnée sur la côte, "Le bal Second Empire" mis en scène par Worth, Poiret, Jean-Gabriel Domergue, etc.
Mais surtout, parcouru lui-même par la fibre littéraire, auteur de plusieurs recueils de poésie, de comédies musicales, de pièces de théâtre et de divertissements costumés, typiques de l’esprit léger et joyeux de l’après guerre (la première), qui furent représentés avec succès sur les scènes nationales.
Il est l’auteur de plusieurs recueils de poésie : Le Chant des Sources, Tendresse (Flammes Vives), Le Grain de Sénévé (Perrin, 1918), La Maison du Soleil (Plon, 1927), Les Lauriers sur les Tombes (Pierre Laffitte), Les Chansons de Kaddour, poèmes en prose sur le Maroc, Six Poèmes sur le Pays Basque, Le Vieillard et la Rose (1968).
Ses comédies musicales, ses pièces de théâtre et ses divertissements costumés, typiques de l’esprit léger et joyeux de l’après guerre (la première), furent représentés sur les scènes nationales avec succès : Dans le Palais du Roi, La Folle Tournée, musique de Danilo Yovanovitch, La Chemise du Grand Duc, musique de Giulio Gonfalonieri, Le Retour de l’Ambassadeur, L’Ecole des Gigolos, musique de Leon Crutcher* et Mario Bragiotti, L’Impératrice de Chine est Malade, Le Prince et le Tailleur, Shorlekoua.
Sur un ton bien différent, La Cote 304 est une suite de courts de récits bouleversants sur son expérience de soldat pendant la Première Guerre Mondiale, bien loin des frous-frous et des élégances qui ont fleuri à la fin du conflit, où toute une jeunesse voulut oublier les horreurs de la guerre et se divertir sur des airs de Jazz et de Charleston.
Un Mois au Fort du Hâ raconte son emprisonnement avec son fils aîné Guy dans la sinistre prison de Bordeaux.
Sur un ton plus léger, Rois en Vacances à Biarritz nous rappelle que la petite cité balnéaire fut le refuge préféré des souverains et souveraines et de toute l’aristocratie Européenne.
Terres de Soleil et de Mystère (Flammes Vives) est un récit de ses voyages en Grèce et en Palestine qui l’ont profondément marqué.
En Californie, les Américains ont ils des Ailes est un opuscule humoristique sur la vie moderne américaine qu’il a connu au cours d’un voyage.
Il reste aussi dans les archives du château plusieurs projets d’adaptations pour le cinéma qui n’ont pas abouti.
« Un des poètes qui ont le plus profondément compris l’Euskal Herria » dira de lui Pierre Loti alors que notre fondateur du Prix des Trois Couronnes, le poète Pierre Espil, disait à propos de Pierre d’Arcangues, que « son nom était synonyme d’élégance, de noblesse spirituelle, d’art et de poésie. Le Pays Basque dont il est un des plus beaux fleurons, il le connaît, il le sent comme personne ! »
Et Pierre d’Arcangues fera de son château un salon où se retrouvent toutes les gloires artistiques, Rostand, Loti, Ravel, Stravinsky, Guitry, le basse Chaliapine, le chorégraphe Balanchine, et bien d'autres dont on voit les signatures autographes exposées sous vitrine dans un des salons du château.
Sans oublier le compositeur Ermend Bonnal avec qui il eut des liens très étroits : lorsqu'il assista à l'interprétation au Châtelet par quelques trois cents exécutants des célèbres Concerts Colonne de l'oratorio "Les Poèmes Franciscains"composé par Ermend Bonnal sur des poèmes de Francis Jammes, Pierre d'Arcangues, émerveillé par la qualité de l'œuvre et le succès de son auteur, ne put réprimer cette remarque si juste : « Nul n'est prophète en son pays, prétend le vieux proverbe. Hélas ! C'est vrai et combien regrettable. Il semble que pour apporter à un artiste que nous connaissons le tribut d'admiration auquel il a droit, nous ayons besoin qu'on vienne de l'extérieur, nous dire : - c'est beau, vous pouvez admirer » !
C'était en 1936 et Bonnal, organiste talentueux né à Bordeaux (en 1880), condisciple de Nadia Boulanger au conservatoire de Paris et de Maurice Ravel dans la classe de Gabriel Fauré, avait choisi délibérément "la solitude relative, la paix, le calme et l'air pur de la campagne" à la direction du Conservatoire de Bayonne auquel il imprima un souffle et un élan nouveaux, créant "L'Orchestre Rameau" et "Les Chanteurs de la Renaissance".
Nos compatriotes étaient-ils bien conscients d'avoir à leur portée un grand artiste, animateur inspiré de la vie musicale dans la région ? Certes, Bonnal reconnaissait bien que "l'éloignement de Paris pour la carrière d'un compositeur était un obstacle terrible." Mais, s'empressait-il d'ajouter, "il faut des musiciens en province ; c'est un effort quelquefois ingrat, mais nécessaire, que de défricher, d'ensemencer..."
Sa fille Marylis m’avait relaté ce qui était devenu un véritable rite à Noël : la Messe achevée à l'église Saint-André dont Bonnal était titulaire de l’orgue, on félicitait le maître, la famille rentrait à Biarritz dans sa villa « Ene Gutizia » située au Parc d'Hiver à Biarritz et le lendemain, les Bonnal étaient traditionnellement invités en son château par Pierre d’Arcangues.
D’ailleurs, n'est-ce pas l'actuel marquis, mon ami Michel d’Arcangues, qui est l'auteur de la biographie du compositeur, publiée chez Séguier il y a quelques années ?
Parmi les relations de Pierre d’Arcangues, il y avait encore Paul Dutournier, le maire de Sare, des pottoks et des contrebandiers. Il avait assisté au tournage du film « Ramuntcho » en compagnie de son fils Guy qui avait treize ans, car il connaissait bien Louis Jouvet qui jouait dans le film.
Guy m’avait raconté qu’à cette occasion, il eut la chance d’être le témoin du formidable numéro de « contrebande » qu’exécuta sous leurs yeux Paul Dutournier.
En effet, devant tous les douaniers officiels convoqués spécialement en tant que figurants pour le tournage, et auxquels le metteur en scène avait demandé, pour cette « prise », de se tenir sagement cachés derrière les arbres, « Popaul » réussit à faire passer la frontière espagnole, pour les besoins du film, mais en fait pour sa convenance personnelle, à quelques dizaines de chevaux « pottoks », au nez et à la barbe de la maréchaussée ! L’histoire est restée célèbre à Sare, où l’on en rit encore.
Parmi les amis de Pierre d’Arcangues, il conviendrait encore de mentionner Cocteau avec lequel il organisa en 1949 un "festival du film maudit".
Rappelons-en quelques détails : en 1948, au festival de Venise, lors d’une discussion avec Orson Welles et André Bazin sur l’importance grandissante que prenaient les logiques économiques dans le monde du cinéma, Jean Cocteau eut l’idée de créer un « ciné-club » pour promouvoir sa vision avant-gardiste du cinéma. C’était Objectif 49. Et dès 1949, les membres du ciné-club, son président, Jean Cocteau en tête, décidèrent d’organiser un festival réhabilitant les « films maudits » (c’est une référence explicite aux poètes maudits), des films novateurs, avant-gardistes et ayant un grand intérêt artistique mais qui avaient été confrontés à la censure pour des raisons de rentabilité économique ou qui n’avaient pas rencontré leur public. Ainsi naissait le Festival du Film maudit.
Le choix de Biarritz s’était fait par opposition à Cannes. Biarritz avait été la rivale malheureuse lors de la création du Festival du Film international et tenait là une belle revanche. L’amitié entre Jean Cocteau et Pierre d’Arcangues, président du Syndicat d’initiative de Biarritz, avait naturellement beaucoup joué dans ce choix.
Le Festival du Film maudit se déroula au Casino municipal du 29 juillet au 5 août 1949 et eut un grand retentissement jusque dans la presse parisienne. Les fêtes qui l’accompagnèrent sont restées de nombreuses années dans la mémoire des Biarrots, en particulier la fameuse « Nuit maudite » qui s’était tenue au Lac de la Négresse.
Mais le festival est surtout célèbre pour avoir été le point de rencontre entre deux générations de cinéastes, parmi les plus créatifs de l’histoire du cinéma français. Parmi les jeunes gens venus assister au festival, on ne comptait pas moins que François Truffaut, Jacques Rivette ou encore Eric Rohmer. Sans qu’on en ait été conscient à l’époque, le festival de Biarritz viendra à symboliser l’un des passages de témoin entre les deux époques les plus riches artistiquement de l’histoire du cinéma français.
Il y eut encore le prix littéraire des « Trois Couronnes » à la création duquel Pierre d'Arcangues avait participé dans les années cinquante avec les membres du corps préfectoral Pierre Daguerre et Gabriel Delaunay auxquels une certaine connivence de plume adjoignit les poètes Pierre Espil et Louis Ducla, fondateur de l'Académie pyrénéenne. Il compta dans ses rangs, entre autres, Jean et Maurice Rostand, Pierre Benoît, le Professeur Delay, la princesse Galitzine, etc.
Mais auparavant, le second conflit mondial, s'il n'affecta pas le château, touchera la nouvelle génération des Arcangues... Il faut dire que les prémices en avaient déjà été ressenties au moment de la guerre civile espagnole, lorsque le fils aîné de Pierre d’Arcangues, Michel, qui avait pris fait et cause en faveur de la culture basque et du gouvernement d’Euskadi dirigé par le président Jose Antonio Aguirre, prit part à une algarade avec son oncle le comte de Aguilar, proche du camp nationaliste espagnol de Franco.
Michel qui disparaîtra mystérieusement dans la nuit du 3 février 1946 à bord d’une barque de pêche en pleine mer au large de Saint-Jean-de-Luz. Avec ses quatre compagnons, Michel d’Arcangues tentait, depuis l’Espagne, de rejoindre la côte française par l’océan, la frontière étant fermée. La météo, cette nuit-là, était paraît-il particulièrement mauvaise et la mer très agitée. Mais quelques éléments troublants jettent le doute sur cette version communément admise à l’époque.
Les corps des quatre hommes n’ont jamais été retrouvés malgré les recherches intensives menées par les familles et les amis sur la côte basque et jusque sur les plages des Landes. Seul un morceau de la barque portant le nom du bateau, le « Sans-Souci », a été retrouvé échoué sur la grève près du fort de Socoa…
Mais revenons au début de la 2ème Guerre : en 1940, son père Pierre et son frère aîné Michel étant encore mobilisés, le jeune Guy, âgé de seize ans, dut "recevoir" et loger une vingtaine d'officiers accompagnant trois cents hommes des troupes d'occupation allemandes. Très inquiet, car il pense que les soldats vont tout voler, piller, brûler peut-être, le jeune homme conduit le général allemand au salon, et lui montrant la cafetière offerte par Wellington, lui rappelle que les occupants anglais en 1813 n'ayant rien emporté, avaient même laissé ce "cadeau" en partant...
Et à propos du fameux lit, encore conservé au château d'Arcangues, où avait couché Napoléon lorsqu'il plaçait son frère Joseph sur le trône espagnol, et où, donc, lui succéda quelques années plus tard Wellington, après avoir bouté hors d'Espagne la Grande Armée, Guy m’avait raconté que fort heureusement, Hitler avait oublié d’y coucher, alors qu’il en avait formé le projet : le führer était alors au comble de l' irritation pour s'être vu refuser par Franco le passage de ses troupes vers Gibraltar; c'était en 1940 à la gare de Hendaye, et le Comité d'Alger, artisan de la future libération de la France, tout comme le château d'Arcangues l'avaient échappé belle!
Mais pas ses propriétaires… Sans doute à cause des activités de Michel, son frère aîné, qui entretint une filière d'évasion en Espagne avant de rejoindre l'Angleterre et combattre dans les rangs de la 2e DB de Leclerc, la Gestapo arrêta le Marquis d'Arcangues et son fils Guy, accusés d'aider la résistance.
Après leur incarcération commune au Fort du Hâ, Guy d'Arcangues accepta de se laisser déporter en Silésie à la place de son père, à qui il fera dire plus tard, au frontispice de son roman "Le Silésien":
" Je t'ai donné la vie,
Tu m'as rendu la liberté,
Nous sommes quittes."
Mais, de Guy d’Arcangues, qui m’avait prouvé son amitié en maintes occasions, et particulièrement lorsqu’il suggéra - voici près d’un quart de siècle - à l’Académie des Jeux Floraux de m’accepter en son sein, nous reparlerons une autre fois.
En attendant, comment ne pas rendre hommage également au petit-fils de Pierre d’Arcangues, Michel, qui continue la tradition familiale et fait revivre sa belle demeure en y invitant les meilleurs talents du Royaume de la Musique : de la regrettée Brigitte Engerer et de Clara Malraux ainsi que Mikhail Rudy jusqu'au violoniste Augustin Dumay, sans oublier les grandes figures du jazz qui s'y sont également succédées, pas plus tard que jeudi dernier avec le trio du pianiste Franck Avitabile.
Ainsi que les nombreuses soirées de notre Prix littéraire des Trois Couronnes, dont la dernière, il y a un an, avait accueilli comme hôte de marque l’archiduc Imre d’Autriche...
Quelques années auparavant, dans la tradition sportive de ses pères, Michel d’Arcangues, en promoteur du jeu de paume et du trinquet à propos duquel il a écrit ce merveilleux album édité chez Kilika, accueillait dans sa belle demeure au cours d’une inoubliable soirée le prince Edward d’Angleterre, le frère cadet de l’actuel souverain britannique Charles III...
Et les lecteurs de Baskulture connaissent les chroniques de jazz particulièrement documentées que leur livre régulièrement l'actuel marquis d'Arcangues, dont le fils Louis, jeune étudiant, nous livre également quelques bons articles ! En un mot, la succession de Pierre d’Arcangues est bien assurée !